L’Association des banques au Liban (ABL) a publié mardi un communiqué d’une rare virulence à l’encontre de l’État représenté par le gouvernement sortant de Nagib Mikati, stigmatisant "le génie des experts" qui sont à l’origine du plan de redressement proposé par le vice-Premier ministre sortant, Saadé Chami.

L’Association des Banques a réaffirmé mardi son opposition à la feuille de route gouvernementale pour une sortie de crise au Liban (le plan de redressement), dont l’exécution "se fera au détriment de l’argent des déposants et des banques", soulignant que les établissements se tiennent "dans la même tranchée que les déposants qui rejettent un plan qui n’a de redressement que le nom".

"Réjouissez-vous déposants, car l’État a supprimé vos dépôts d’un trait de plume. C’est tout ce que " le génie des experts " a pu donner, malgré l’existence de plans alternatifs clairs, dont celui qui avait été proposé par l’ABL et qui consiste à créer un Fonds d’investissements qui permettra, à moyen ou à long terme, de restituer leurs droits aux déposants", a affirmé l’Association des banques dans son communiqué.

Est-ce un ultime cri d’alarme qu’a lancé l’ABL mardi? Pour certains banquiers interrogés par Ici Beyrouth, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, a cherché une sortie "honorable" à son équipe, tout comme il a cherché à lui donner du crédit en termes de bilan des travaux qu’elle a entrepris avant qu’elle ne se mette à expédier les affaires courantes à partir de samedi à minuit.

Selon les mêmes sources, le Premier ministre sortant a ignoré ses promesses répétées vis-à-vis de l’ABL de réviser la stratégie de redressement. Une demande qui lui a été formulée avec insistance et à plusieurs reprises par les banques. "Les fonds extérieurs des banques ne suffisent pas pour rembourser tous les déposants et les aides qui seraient accordées au Liban par les instances internationales ne pourraient pas, à elles seules, assurer une sortie de crise", relève-t–on de mêmes sources.

Optimisme modéré

"Les dés ne sont pas jetés et les jeux ne sont pas encore faits", insiste une autre source bancaire qui fait part d’un optimisme modéré. "Les dispositions du plan de redressement nécessitent, pour leur mise en œuvre, une série de lois et feront l’objet de débats et de discussions au sein du Parlement" dont les composantes sont divisées au sujet des démarches prévues dans le cadre de cette feuille de route, a-t-elle souligné. Elle a rappelé au passage que non seulement le patrimoine de l’État est important, mais également celui de la Banque centrale qui détient un important portefeuille immobilier et des sociétés lucratives comme la MEA et l’Intra.

En d’autres termes, cette source bancaire estime que l’État a d’autres possibilités à exploiter que celles de faire assumer aux banques et aux déposants tout le poids du redressement.

Cela dit, le temps presse et les pressions externes et internes s’amplifient sur le secteur bancaire. Le Liban est dans une impasse qui lui coûte cher. Le trou financier ne fait que s’accentuer. Il aurait dépassé le montant de 90 milliards de dollars mentionnés dans le plan de redressement. "Une décision sage aurait été d’adopter, au lendemain du soulèvement populaire du 17 octobre 2019, une loi sur le contrôle des capitaux et d’entamer des pourparlers avec le FMI", dit-elle. Pourquoi cette démarche n’a pas été faite? Parce que tout le monde était persuadé que la situation pourrait être aisément récupérable".

Les divisions autour de l’opportunité du plan de redressement augurent d’un véritable bras de fer politico-financier qui va se jouer au moment de son examen à la Chambre et dont les signes ne font que se multiplier.

Pas d’aides de la part du FMI  

Le vice-Premier ministre sortant, Saadé Chami, n’a pas mâché ses mots pour répondre à l’Association des banques au Liban.

Dans un communiqué paru mardi en début de soirée, M.Chami a noté que "la déclaration de l’ABL, pour le moins que l’on puisse dire, est contraire à la vérité et représente une fuite en avant dans une tentative claire de faire croire qu’elle veut protéger les déposants".

Tout en affirmant comprendre l’inquiétude des actionnaires des banques, il a accusé ces derniers de chercher à lier leur sort à celui des déposants. Ceci cache, selon lui, une tentative de contournement d’un plan "complet, qui a pris en considération tous les éléments de la crise et qui a fait l’objet d’une évaluation et d’une appréciation de la part de pays et d’institutions internationales, tous prêts à aider le Liban", souligne le communiqué.

M.Chami a rappelé que le plan du gouvernement se base sur le principe d’une hiérarchie des droits et des obligations, ce qui signifie que l’argent des déposants ne peut pas être touché avant que le capital des actionnaires des banques ne soit épuisé. "Nous avons cru un instant que les " génies " à l’origine de cette déclaration connaissaient bien ce principe, et qu’ils savaient que la non-application de ce principe éliminerait inévitablement tout espoir de parvenir à un accord avec le FMI", a indiqué le ministre.

 

Le cabinet Mikati a approuvé le plan de redressement deux jours avant que sa démission ne devienne effective avec le début du nouveau mandat parlementaire, mais il n’est pas sûr que ce plan soit approuvé par la Chambre. Certes, il faut attendre l’élection du bureau de la Chambre, devant se tenir en principe la semaine prochaine, pour que les tendances des groupes parlementaires commencent à se préciser.

Mais ce qui est confirmé jusqu’à nouvel ordre est la position des ministres relevant de Amal et du Hezbollah, ainsi que du Parti socialiste progressiste, qui se sont ouvertement opposés au plan de redressement au sein du cabinet pour des raisons liées principalement à la répartition des pertes. Il s’agit en l’occurrence des ministres Ali Hamiyé, Moustafa Bayram, Mohammad Mourtada, Abbas el-Hajj Ali, et Abbas Halabi, dont les noms avaient été révélés par le ministre de l’Information à l’issue de la réunion du gouvernement, le vendredi 20 mai.

Ces noms sont confirmés à Ici Beyrouth par le vice-Premier ministre Saadé Chami, chargé de l’élaboration de ce plan et des négociations avec le FMI.

Il s’est toutefois abstenu d’identifier d’une manière définitive les groupes parlementaires qui appuieraient ce plan ou s’y opposeraient. Il a en même temps dit espérer que la Chambre puisse faciliter la démarche du FMI et affirmé, en réponse à une question, que ce plan ne risque pas d’être modifié le cas échéant.