La valeur de la livre libanaise face au billet vert a entamé une courbe baissière sans précédent, mais qui était somme toute prévisible. Un choc monétaire au lendemain des législatives était redouté.

Comme le taux de change du dollar face à la livre libanaise n’a apparemment plus de plafond et qu’il a brisé tous les records précédemment enregistrés, il est grand temps d’opter pour le flottement de ce taux de change. Cela exige du réalisme et du courage de la part des autorités monétaires et financières. Laissons au marché le soin de définir la valeur réelle de la livre et par conséquent la valeur d’équilibre du taux de change $/LL. Au bout du compte, la valeur d’une monnaie nationale reflète les fondements réels de l’économie d’un pays. Or la taille de l’économie du Liban se rétrécit et sa croissance est négative.

Flottement du dollar

"Le prix du flottement du dollar est élevé. Cependant, il est préférable à une agonie à feu doux de l’économie et des acteurs économiques", estime une source bancaire qui a requis l’anonymat, ajoutant qu’"une telle mesure contribuera à unifier de facto les taux de change, une démarche que le FMI insiste à mettre sur les rails" Certes, la source précitée avoue que la mesure aura des répercussions pénibles en termes d’aggravation de la paupérisation. Mais il faut bien toucher le fond du gouffre pour rebondir.

Soutien artificiel  

A priori, pour arrêter le chaos qui prévaut sur le marché de change, il faut passer par une abrogation de tous les outils et mécanismes artificiels de soutien à la valeur de la livre face au billet vert. C’est que par définition tout ce qui est artificiel n’est ni durable ni viable sur le long terme. Ce qui est artificiel est faux et fictif. En effet, l’application de la circulaire 161 de la Banque du Liban, émis à la mi-décembre 2021, qui a pour objectif d’assécher les livres sur le marché pour anéantir la demande d’achat du billet vert, n’a abouti qu’à réduire cette demande pour un temps limité et à créer un stress sur la disponibilité de liquidité en livre.

Les livres introuvables   

Jusqu’à récemment, le billet vert se faisait rare sur le marché ; aujourd’hui, c’est la livre libanaise que les gens recherchent. Cette demande n’est certes pas mue par une volonté de spéculation mais par les simples besoins quotidiens du citoyen moyen qui doit s’acquitter de certains services et charges impérativement en livre et non en dollar, sinon leurs prix seront démultipliés. Le taux d’escompte sur les chèques libellés en livres libanaises ont atteint plus de 45% dans les transactions interbancaires et sur le marché parallèle.

Un crime

Interrogé par Ici Beyrouth, l’ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban Ghassan Ayache réfute l’idée d’une crise de liquidité en livres. Il affirme  que "cette crise est fomentée cette fois-ci de concert entre le pouvoir politique et l’autorité monétaire", écartant "l’hypothèse qu’une rareté de la livre en espèce sur le marché soit le résultat de facteurs économiques non maitrisés par la BDL "

Et d’ajouter: "L’une des obligations de la Banque centrale est d’injecter des livres sur le marché. Elle s’abstient de le faire, encouragée par le gouvernement qui cherche à éviter une baisse du taux de change du $/LL pendant cette période transitoire."

Reprenant à son compte la déclaration cynique d’un expert financier, M. Ayache s’interroge sur un ton ironique sur le fait de savoir si un jour " une loi ne sera pas votée, qualifiant de criminel, passible de prison, celui qui utilise des livres dans ses transactions domestiques " !