Le système monétaire dans la plupart des pays est caractérisé par des taux de change qui fluctuent librement, laissant parfois sur leur chemin ce qui semble être désordre et confusion. Essayons quand même d’illuminer la caverne. Avec une application locale.

Un taux de change représente bien sûr la valeur relative de la monnaie d’un pays par rapport à celle d’un autre pays. Mais, outre des facteurs tels que les taux d’intérêt et l’inflation, il est aussi l’un des paramètres majeurs de la santé économique d’un pays, puisqu’il détermine son pouvoir d’achat.

Pourquoi ces fluctuations du taux de change ?

Les taux de change des devises évoluent en réponse à nombre de facteurs, dont on va choisir les plus importants. Les fluctuations des taux de change, à l’instar des fluctuations des prix des produits, sont tout d’abord dues aux variations de l’offre et de la demande de devises.

La demande de devises est tirée principalement par le tourisme externe, les investissements sortants, les importations, et les transferts des travailleurs immigrés vers leurs pays d’origine. L’offre provient des exportations, du tourisme entrant, des investissements étrangers, des transferts des expatriés, et des aides internationales. Ces facteurs sont en général plus ou moins prévisibles, ou du moins calculables avec une marge d’erreur acceptable. Mais il existe un facteur qui ne l’est pas. C’est la demande due à la panique, un comportement plus ou moins rationnel qui incite les gens à acheter une devise forte, car ils ont perdu confiance dans la monnaie locale, et ce sans qu’ils aient besoin de cette devise.

Une fois ces principes théoriques connus, regardons de plus près le cas libanais. À chaque fois que le dollar s’échappe par rapport à la livre libanaise, vers le bas ou vers le haut, une pléthore de supputations se déversent sur la scène publique, sur l’origine de cette variation.

Pêle-mêle, on ressasse les mêmes prétendues causes de ce psychodrame financier qui dure depuis 2019. Les plus fréquemment citées par les responsables et quelques analystes sont les suivantes : méchants spéculateurs, obscures plateformes internet, manipulation/hémorragie à la BDL, argent politique, vilains banquiers rapaces, sordides changeurs illégaux, etc. Puis, on trouve toujours quelqu’un qui tente de persuader le public victime que ‘’cette hausse n’est pas justifiée’’ ; maigre consolation pour ceux qui vont quand même rogner encore plus sur leur pouvoir d’achat.

On ne peut vaincre le marché

Le cerveau plein de ces manifestations oiseuses, on en oublie le principe de base de la ‘chose’. Le dollar, puisqu’il faut l’appeler par son nom, fluctue encore une fois selon un certain équilibre entre l’offre et la demande. Cela ne signifie pas que les joueurs ci-haut perchés, et bien d’autres encore, sont inexistants. Leur intervention peut influer sur le taux, ponctuellement, ou à court terme, mais à long terme c’est le marché qui décide.

Mais quid de la spéculation, qu’on accuse souvent d’être à l’origine de ces opérations ? En fait, la spéculation émane d’intervenants financiers qui parient sur la hausse ou la baisse d’une monnaie pour réaliser des plus-values. Au niveau mondial, c’est un des marchés les plus actifs (le célèbre forex). Il est donc normal que la spéculation soit aussi active au Liban, cela fait partie de la règle du jeu, alors que certains crient au scandale comme s’ils venaient de découvrir l’eau chaude.

Le rôle des banques centrales

Dans cette arène, les banques centrales interviennent parfois pour influer sur le taux de change de leur monnaie nationale, vers le haut ou le bas, selon la politique économique des autorités. La banque centrale libanaise (BDL) le fait aussi épisodiquement. Actuellement, elle injecte des dollars sur le marché, selon la circulaire 161, et retire en même temps des livres libanaises de la circulation, d’où la pénurie des LL. Cette pratique a effectivement jugulé la hausse du dollar.

Mais soyons réalistes, cela ne saurait changer le cours des choses, ni la valeur réelle de la livre libanaise à long terme. Le gouverneur de la BDL l’a dit et répété: la Banque centrale ne peut pas créer un environnement économique favorable dans le pays. C’est le rôle des autorités législatives et exécutives, à travers une série de réformes et d’accords avec le FMI et les autres donateurs. Mais aussi et surtout, à travers le retour de la confiance. Une confiance qui est actuellement au ras des pâquerettes. Jugez-en: Sur un total de 136 pays couverts par fDi Markets (dont le PIB est supérieur à 10 milliards de dollars), le Liban était en 2021 au dernier rang en termes d’investissements productifs étrangers entrants (Greenfield FDI). En effet, un seul projet d’investissement étranger à 500.000 dollars a été enregistré. Merci qui?

Pour revenir enfin au rôle de la banque centrale, un petit saut historique illustre les limites de ce rôle. Edmond Naïm, un homme des plus intègres, régnait sur la BDL dans les années 1980. Des commentateurs le citent volontiers ces temps-ci en montrant que, ‘’lui au moins’’ a refusé de prêter à l’État, malgré une quasi-coercition physique – sous-entendu ce qui a évité au pays un désastre financier. Cela n’a pas empêché que sous son mandat (1985-1991), le taux du dollar a été multiplié par 50 (passant de 18 à 928 LL), jetant là aussi dans la pauvreté 80% des Libanais. Une banque centrale ne peut échapper aux lois de la pesanteur.