La scène locale est pleine de ces diatribes mastiquées sans cesse par les politiques, les " experts" , les médias, l’opinion publique, puis de nouveau par les politiques pour plaire à l’opinion publique. Personne ne veut creuser pour vérifier si la chose discutée existe vraiment.

En voilà un exemple: les taux d’intérêt payés par les banques. Le qualificatif le plus courant est " excessifs ", ou " exorbitants ". On crie alors au scandale et on appelle à récupérer ces intérêts, source de tous les maux d’aujourd’hui.

Que veut dire excessif?

Première observation: personne n’a pris la peine de définir le qualificatif " exorbitant/excessif ". Est-ce 10%? 15%? Plus? Moins? Ensuite, comment définir le taux d’intérêt normal dans un pays donné? Plusieurs facteurs sont en jeu, mais le plus important est le " risque pays " perçu par les agences spécialisées et par les marchés financiers. Or, les taux d’intérêts pratiqués au Liban ont toujours été inférieurs à la notation du pays (rating). Tout un chacun peut vérifier cette assertion par une simple recherche.

Cela dit, dans les hautes sphères, ou chez votre épicier, vous trouverez toujours quelqu’un qui vous dira: en 2018, l’ami d’un ami de mon cousin germain s’est vu offrir 15% sur un million de dollars s’il accepte de le rapatrier et de le bloquer sur trois ans. On prend ce cas, plausible, et on extrapole que les taux d’intérêt étaient exorbitants. Ce qui a causé donc la faillite du système financier. Or, pour avoir une évaluation précise, et avec tout le respect qu’on doit au cousin susmentionné, le plus logique est de prendre la moyenne pondérée des intérêts payés sur les dépôts. Simple principe statistique. Quelles étaient donc ces moyennes selon les chiffres de la Banque centrale?

Pour les dépôts en livres libanaises, la moyenne pondérée des taux d’intérêt dans les années 1990 a démarré par des niveaux élevés, 12-15%, pour remonter à 19% en 1995, puis redescendre à 7-10% dans les années 2000, puis 5-6% dans les années 2010 jusqu’en 2018, où les taux ont commencé à grimper et arriver à 8-9% en 2019, pour ensuite redescendre jusqu’à 2% en 2021. Comme il se doit, ces taux bancaires suivaient la même courbe que les bons de trésor (dette en LL) émis par le gouvernement. Pourquoi cette montagne russe? Dans les années où les Syriens régnaient en maîtres, leur tactique était de créer des tensions politiques artificielles pour profiter et de la spéculation sur la livre et des taux d’intérêt. L’exemple le plus flagrant est celui de 1995, lorsqu’ils ont maintenu pendant des mois un suspense vers la fin du mandat Élias Hraoui, jusqu’à ce qu’ils décident de le prolonger. Au passage, ils ont profité d’une émission de bons de trésor à 40%. Plus tard, ce sont leurs alliés locaux qui ont pris la relève.

Quid des ingénieries financières?

Pour les dépôts en dollars, la moyenne pondérée des taux d’intérêt dans les années 1990 a été de 5-6%, réduite ensuite à 3-5% dans les années 2000 et 2010. Même dans le feu de l’action des ingénieries financières à partir de 2016, la moyenne a été de 3-4%, remontant à 5-7% en 2019, pour dégringoler rapidement ensuite et s’approcher actuellement de 0%. Donc l’offre tout à fait crédible présentée au cousin germain ci-haut cité, n’était qu’un épiphénomène, dont l’effet sur le système financier était minime. Il faut chercher les causes de la faillite ailleurs, nommément les coups de semonce militaires et politiques répétés que le Hezbollah et ses alliés ont asséné à l’économie locale entraînant une fuite de capitaux et un déficit de nos balances de paiement.

Et voici le risque pays qui dégringole en parallèle, jusqu’à atteindre actuellement un plancher ahurissant. Selon les dernières données de Euromoney Group, le Liban est au 170e rang sur 174 pays sur l’échelle du risque pays. Il n’y a que la Syrie, le Yémen, le Zimbabwe, et la Corée du Nord qui font pire. Résultat: quel que soit le taux d’intérêt qui pourrait être proposé, aucun sensé ou farfelu ne placerait un dollar dans le pays. C’est peut-être le but recherché, que le pouvoir ne cesse de perpétuer avec ses pseudo-plans.