La plupart des femmes au Liban ne veulent pas travailler. Ce n’est pas un jugement de valeur sexiste, mais un constat étayé par la dernière fournée statistique de l’ACS (Administration centrale de la statistique), enquête réalisée en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT), datée de janvier 2022, et récemment publiée. Ce n’est pas une nouveauté, puisque le taux de participation des femmes au marché de l’emploi au Liban a toujours été minime, près du tiers de celui de la participation des hommes. Ce qui est étonnant, en revanche, est que ce taux tend à diminuer par rapport à une enquête similaire effectuée en 2018-2019, soit juste avant la crise, alors que l’on s’attendait à une plus grande adaptation aux conséquences sociales de l’appauvrissement général.

À ce propos, soyons précis. Le fait n’est pas que les femmes ne trouvent pas de travail, suite à la dégradation de la situation économique et à la montée du chômage à 29,6%, selon la même enquête. Le fait est que la plupart ne cherchent même pas à travailler. Une observation, sexiste cette fois, serait: "Déjà les hommes ne trouvent pas de travail, alors les femmes…" Un commentaire irrecevable si l’on considère que le critère premier d’une embauche est la compétence, alors que le taux des étudiantes dans les universités est au moins égal à celui des étudiants.

Allons-y pour les détails.

Dans les détails, l’enquête a révélé les spécificités suivantes:

– La participation des femmes au marché du travail est de 22%, contre 66% pour les hommes. Il faut noter ici que ces taux s’entendent sur le total de la population de 15 ans et plus, selon la nomenclature internationale dans ce domaine. Cela veut dire que seulement 22% des femmes de plus de 15 ans travaillent ou cherchent à travailler (même si elles ne trouvent pas de travail). Il est vrai que l’enquête englobe toute la population résidente, sans distinction de nationalité, mais elle exclut les réfugiés et autres vivant dans des installations informelles. D’ailleurs les chiffres concernant uniquement les Libanais ne sont pas foncièrement différents.

– Le pic d’activité pour les femmes est atteint entre 25 et 29 ans. Puis il décline suite au mariage et au premier enfant, pour remonter un peu à 40-44 ans quand les enfants sont assez grands. Mais la courbe descend rapidement après, car, suite à un arrêt de dix-quinze ans, la femme, même instruite, a déjà perdu une bonne partie de sa compétence (ou perçue comme telle par les employeurs).

– Cela dit, dans toutes les classes d’âge, le taux de participation des femmes en 2022 est moindre que celui de 2018-2019. Au pic de l’activité, soit à 25-30 ans, le taux en 2018 était de 50%, contre 40% actuellement. Et c’est cela qui est étonnant. La crise socio-économique n’a pas incité les femmes à davantage d’activité.

– On pourrait croire que les femmes, ne travaillant pas, pourraient être occupées à s’instruire. Mais un chiffre, encore un, fournit une indication surprenante: dans la catégorie d’âge des 15-24 ans, un tiers des femmes (32%) ne sont pas occupées, ni par le travail, ni par l’éducation, ni par un stage de formation. En gros, des centaines de milliers de femmes dans la force de l’âge ne font rien, et ne cherchent même pas à changer ce statut.

– Le temps de travail effectif est encore une indication de la disparité hommes-femmes. Ce temps est de 42,6 heures par semaine pour les hommes, contre 35,7 heures pour les femmes. Celles qui travaillaient moins de 30 heures par semaine en 2018 n’étaient que 20%, contre 25,5% aujourd’hui. Leur taux d’absentéisme est également le double de celui des hommes.

– Il est vrai que la disparité des revenus pour une même occupation a de quoi désappointer. Le différentiel de salaires atteint en moyenne 20% avec un pic de 25% pour les professionnels. Étonnamment, dans la catégorie des managers uniquement, la femme jouit d’un avantage de salaire par rapport à l’homme.

Inverser la vapeur

Cet étalage n’a pas pour objectif de dénigrer les femmes, alors que les plus actives d’entre elles ont prouvé une compétence certaine, mais d’en tirer une conséquence économique. Suite à cette désaffection féminine, le pays est en train de perdre 30 à 35% de la richesse potentielle chaque année, constituant donc le PIB.

Les justifications, ou potentielles explications de ce phénomène ne sont pas étudiées par l’enquête en question. Des sociologues citent pêle-mêle: le manque de crèches, les traditions machistes, les pressions sociales… Autant de justifications qui ne tiennent pas la route, puisqu’elles n’opèrent pas dans d’autres pays, tous niveaux confondus. Preuve en est, le Liban est dans le peloton des 20 derniers pays en termes de taux de participation des femmes. À titre d’exemple, et pour comparer à notre pourcentage de 22%, on trouve les taux suivants: 52% en France, 61% en Australie, mais aussi 56% en Côte d’Ivoire, 50% au Chad, 43% au Bahreïn et 36% au Bengladesh.

Au moment où le besoin est pressant, accroître le taux d’occupation des femmes serait certainement l’un des moyens les plus efficaces d’augmenter la richesse produite dans le pays. Surtout que le télétravail, largement popularisé depuis le Covid-19, ouvre maintenant de nouvelles opportunités.

Le plus important est que tout cela n’a besoin d’aucune initiative étatique. De telles tentatives pataugent dans les sables mouvants des cercles du pouvoir depuis trois ans, sans jamais voir le jour. Et quand elles sont proposées, elles se révèlent improductives, ou même nuisibles.