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Benjamin Netanyahou restera dans les annales comme "le boucher de Gaza", selon les propos incisifs du président turc, Recep Tayyip Erdogan. Ces déclarations surviennent plusieurs semaines après le début de la guerre israélienne dans la bande de Gaza, qui a fait plus de 27.000 morts et persiste encore à ce jour.

Ce "revirement" dans la position politique turque survient après une période de flottement au cours de laquelle le président Erdogan aspirait à jouer le rôle de médiateur entre Tel-Aviv et le Hamas. Les relations turco-israéliennes amorçaient une légère normalisation après des années marquées par des tensions, voire une hostilité entre les deux pays.

Cette normalisation progressait de manière fluide et graduelle, culminant par une poignée de main entre Recep Tayyip Erdogan et Benjamin Netanyahou à New York en septembre 2023, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Des échanges de visites entre les hauts responsables étaient prévus à partir d’octobre, mais l’opération "Déluge d’Al-Aqsa" du 7 octobre dernier a complètement bouleversé les dynamiques politiques non seulement au niveau des relations bilatérales, mais également dans toute la région.

Le pari turc de jouer un rôle de médiateur dans la guerre de Gaza a vite fait d’échouer, à l’instar de la médiation entre Moscou et Kiev concernant le dossier du blé et les efforts visant à trouver une solution politique à la guerre qui oppose les deux pays depuis près de deux ans. À Gaza, les données ont radicalement changé, car la nature du conflit est profondément ancrée dans des considérations historiques, religieuses et politiques.

Les dirigeants et le peuple turcs ne sont pas directement concernés par les éléments du conflit russo-ukrainien. La volonté de jouer un rôle de médiateur est lié à l’ambition persistante de la Turquie d’étendre son influence régionale et sa présence internationale. Ankara cherche ainsi à présenter une image selon laquelle elle est capable de résoudre des conflits de grande envergure, ou du moins d’obtenir des accords partiels en cours de confrontation.

Si la politique étrangère turque a connu des hauts et des bas dans ses relations avec Israël, elle a également subi des changements importants dans les rapports avec les pays arabes. Elle est passée du principe de "zéro problème" avec ses voisins arabes à l’occupation de certaines parties de la Syrie et de l’Irak sous différents prétextes liés à la sécurité nationale turque.

Il est vrai qu’impossible n’est pas français, encore plus en politique, où d’anciens adversaires peuvent soudainement devenir des amis ou des alliés; cependant, il ne sera pas aisé de faire abstraction du grave déclin des relations turco-israéliennes au fil des ans, notamment après la tournure très négative qu’elles ont prise après la guerre israélienne à Gaza.

Bien que dépourvus de frontières géographiques communes, les deux pays disposent de leurs propres projets et ambitions au sein de la région arabe, sans oublier un troisième acteur régional majeur, l’Iran, dont le rôle et l’influence dans la région se sont étendus de manière sans précédent au cours des vingt dernières années. Ce contexte est exacerbé par l’absence d’un projet arabe unifié, en raison des divisions profondes et des dissensions historiques qui persistent entre les pays arabes.

Cependant, une convergence d’intérêts contre les pays arabes ne constitue pas en soi une garantie de rapprochement entre la Turquie et Israël. En effet, le président turc, en raison de son appartenance religieuse, ne peut négliger des considérations historiques et religieuses liées à Jérusalem et aux autres territoires palestiniens occupés; ceci est particulièrement valable en ce qui concerne l’opinion publique turque et son parti au pouvoir en Turquie qu’il dirige depuis de nombreuses années.

Partant, il ne faut pas sous-estimer le positionnement fort de la Turquie contre la guerre à Gaza, notamment face au silence de nombreux autres pays (fussent-ils arabes ou non) et en dépit de la couverture occidentale de la guerre, malgré sa brutalité, son ciblage des civils et l’appel de la Cour internationale de Justice à Israël à empêcher tout acte éventuel de génocide. Toutefois, cette position turque, aussi ferme soit-elle, n’a pas fondamentalement modifié les équilibres régionaux, et Ankara ne s’est pas impliquée directement dans le conflit militaire.

Il est indéniable que le retour des relations turco-israéliennes ne sera pas une tâche facile, tant que Benjamin Netanyahou et Recep Tayyip Erdogan sont au pouvoir; mais, comme toujours en politique, rien n’est impossible, car c’est essentiellement un jeu de calculs politiques, d’intérêts économiques, commerciaux et militaires.