"Il est plus commun d’aimer Dieu que son prochain, cela coûte moins", affirmait l’écrivain français Alfred Bougeard. Un proverbe que l’armée de l’air israélienne (IAF) semble s’efforcer de mettre en oeuvre dans le ciel du pays du Cèdre.

Une pratique mise en valeur, au-delà des bombardements ravageant le sud du pays – et parfois l’est – par une mise en scène devenue récurrente dans tout le Liban. Un "bang" soudain, généralement suivi d’un second, pour laisser place aux rugissements des réacteurs d’avions de combat envoyés par l’État hébreu.

Guerre psychologique

Pour rappel, le "mur du son" est une barrière physique atteinte lorsqu’un avion dépasse la vitesse du son dans l’air (environ 1230 km/h). En le franchissant, une onde de choc se forme autour, produisant un "bang supersonique" sonore distinct. Un phénomène clé en aéronautique, expliqué plus en détail dans la vidéo ci-dessous.

 

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Dans leurs cockpits, une mission de routine – si ce n’est un jeu – pour les pilotes israéliens, dont le risque relatif encouru face aux potentiels missiles est rapidement atténué par le largage de leurres thermiques. Dans leurs maisons, un douloureux rappel des traumatismes du passé pour les Libanais, qu’il s’agisse du 4 août 2020 (explosion au port de Beyrouth) ou des réminiscences de la guerre civile, pour les plus anciens.

Mais pour les caciques de l’establishment politico-militaire israélien, ce type d’intrusion relève surtout d’une technique de guerre psychologique. Histoire de rappeler à ceux situés en dessous qui possède la véritable maîtrise du ciel libanais.

Un rappel qui, même s’il est moins onéreux qu’une bombe guidée de 800 kilogrammes, n’en reste pour autant pas gratuit. Car les avions qui produisent ce "bang supersonique" ont aussi un coût.

Inventaire de l’armée israélienne

L’armée de l’air israélienne (IAF) opère actuellement trois types de chasseurs, tous de fabrication américaine, capables de franchir le fameux "mur du son".

(De gauche à droite) Un F-16 "Sufa", un F-15 "Ra’am" et un F-35 "Adir", tous portant la cocarde israélienne. (AFP)

Le premier est le F-16 "Sufa" ("Tempête" en hébreu). Il s’agit d’un appareil monoréacteur considéré comme plutôt "léger" et particulièrement agile, conçu pour accomplir une grande variété de missions. Ses origines remontent à la fin des années 1970, mais il a connu, depuis, de nombreuses mises à niveau. Prix à l’unité: environ 45 millions de dollars.

Plus lourd en raison de sa configuration de biréacteur, le F-15 "Ra’am" (pour "Tonnerre") est aussi plus puissant que son petit frère, tant en termes de performance que d’emport d’armements. Il fut d’abord conçu pour la supériorité aérienne au cours des années 1970, bien que les versions plus récentes soient aussi capables d’attaquer des cibles au sol. Des performances qui se font toutefois ressentir sur le prix, chaque unité coûtant en moyenne 84 millions de dollars.

Beaucoup plus récent, le F-35 "Adir" ("Tout puissant" en hébreu) vient compléter la triade. Mis en service au milieu des années 2010, ce monoréacteur intègre des technologies furtives pour échapper aux radars, une avionique extrêmement avancée, ainsi que des capteurs de pointe. En somme, toute une batterie d’innovations qui, forcément, finissent par faire exploser son prix: 110 millions de dollars l’unité.

À noter toutefois que le nombre commandé à Lockheed Martin, l’entreprise chargée de sa conception, a fini par en faire baisser le prix. Les exemplaires obtenus par l’armée israélienne coûtent ainsi autour de 85 millions de dollars.

"Un service vaut ce qu’il coûte"

Au premier abord, on pourrait donc chiffrer le montant d’un franchissement du mur du son par rapport au coût unitaire de l’appareil qui le produit. Une tâche néanmoins ardue en pratique puisque son utilisation dépasse habituellement cette unique tâche.

Mais le prix d’un avion ne se limite pas à l’achat. Il faut aussi prendre en compte l’entraînement de l’équipage, son entretien, le carburant, les pièces de rechange, la maintenance et autres frais opérationnels de l’appareil. En d’autres termes, il s’agit d’être en mesure d’évaluer son coût de vol.

En ce qui concerne le F-16, la fourchette se situe entre 8.000 et 25.000 $, selon le degré de modernisation du modèle. Pour le F-15, ce montant varie de 22.000 à 30.000 $. Enfin, le F-35, plus récent, demande entre 35.000 et 44.000 $ de frais par heure de vol.

L’autonomie de ces trois avions varie de 1h30 à 3h de vol, selon le modèle. Au vu de la petite taille du pays du Cèdre, on peut donc affirmer que l’option minimale (1h30) est amplement suffisante aux pilotes de l’IAF pour mener à bien leur "mission".

"Un service vaut ce qu’il coûte", affirmait Victor Hugo. Aussi, cela nous amène à effectuer un simple calcul. Prenons le cas d’un F-15 modernisé: pour avoir une idée approximative, multiplions donc le coût de l’heure de vol (pour rappel, 30.000 $) par 1,5.

On peut donc grossièrement chiffrer le coût de l’opération visant à raviver votre traumatisme à environ 45.000 dollars. Sachant que les patrouilles israéliennes évoluent régulièrement en formation d’au moins deux appareils, il est aussi possible de doubler ce résultat.

Pour une poignée de dollars

C’est ainsi que vous pourrez estimer qu’il aura fallu à l’État hébreu dépenser en moyenne 90.000 $ pour vous mettre, vous, votre famille et vos amis, sous pression. Dans l’hypothèse où il s’agirait de deux F-35, le montant pourrait même dépasser les 130.000 $.

Néanmoins, ce genre d’opération est généralement plutôt mené par des F-16, moins onéreux. En considérant l’hypothèse la plus basse – peu probable, ces avions ayant depuis subi de lourdes modifications – on arrive à un modeste total d’environ 24.000 $. Après tout, le Liban ne semble pas valoir bien cher aux yeux des Israéliens…

Si l’on pousse le cynisme encore plus loin en divisant ce prix par le nombre d’habitants affectés, il est possible de dire qu’il s’agit d’une opération fructueuse, pour seulement une poignée de dollars par tête – voire quelques centimes, pour les zones urbanisées. Du moins, tant que ceux situés en dessous ne s’y habituent pas.

"À qui veut se venger, trop souvent, il en coûte", affirme un vieux proverbe français. Il incombe aux Israéliens d’en prendre la mesure. Notamment pour un État dont le déficit était déjà équivalent à 7,7 % de son PIB en mai dernier.