Un journaliste français établi à Beyrouth à l’époque de la funeste occupation syrienne avait relevé un jour que le pouvoir à Damas n’était pas parvenu, et ne parviendrait pas, en dépit de tous les grands moyens à sa disposition, à annihiler l’attachement viscéral des Libanais à leur liberté et leur dignité. Certains diront même qu’une telle posture est gravée profondément dans leur ADN. Une visite à la Vallée sainte de Qannoubine, dans la région de Becharré, et aux monastères construits à même la montagne et dans les grottes, permet de comprendre de quoi l’on parle à cet égard, permet de "vivre" et ressentir cette détermination à préserver sa liberté et sa dignité, à faire face à tout envahisseur ou oppresseur du moment.

Cette réalité sociétale est illustrée par la flopée de réactions en flèche, toutes tendances confondues, stigmatisant en des termes très durs l’interpellation, lundi, de l’archevêque maronite de Haïfa, Mgr Moussa el-Hajj, au poste-frontière de Ras Naqoura, par un appareil sécuritaire réputé proche du camp iranien. Pour le moins que l’on puisse dire, les commanditaires d’une telle bévue n’ont manifestement jamais effectué le déplacement jusqu’à Qannoubine… Et n’ont jamais lu l’histoire des maronites.

Il ne faut pas s’y méprendre : l’atteinte à Mgr Hajj, sous des prétextes fallacieux et non recevables, est visiblement une manœuvre politique  d’intimidation dont la finalité est d’exercer une pression sur le patriarche maronite Béchara Raï afin de l’amener à apporter un bémol à ses prises de position nationales, aux antipodes de la ligne de conduite du Hezbollah et de ses alliés locaux. A quelques semaines de l’échéance présidentielle, et dans un contexte régional ouvert à tous les scenarii possibles, il devenait sans doute nécessaire, aux yeux de l’instrument local des pasdarans, de juguler, autant que faire se peut, les ardeurs du patriarche maronite, de le contraindre à atténuer ses virulentes condamnations répétitives du diktat imposé par le Hezbollah et du laxisme destructeur du régime en place, sur fond d’affairisme démentiel et de clientélisme tentaculaire.

Les anti-souverainistes des temps modernes n’en sont pas à leur première offensive contre le patriarcat maronite afin de tenter de l’isoler et de le marginaliser. Avant les élections législatives de mai dernier, les médias du parti pro-iranien avaient mené une campagne de désinformation assidue pour entretenir l’illusion d’une prétendue divergence entre le Vatican et Bkerké au sujet du … Hezbollah !

Ces méthodes propres aux régimes totalitaires de type stalinien nous rappellent les manœuvres d’intimidation et les pressions politico-médiatiques auxquelles avait recours le régime Assad – lorsqu’il tentait d’imposer un Anschluss au Liban – afin de contraindre le patriarche maronite Nasrallah Sfeir de se rendre à Damas et de mettre une sourdine à ses positions (très fermes) à l’égard de l’occupation syrienne. L’épisode le plus virulent de cette cabale contre Bkerké était intervenu au début du mois de février 2000 lorsque l’évêque maronite de Tyr (Mgr Maroun Sader) avait officié aux obsèques du " numéro deux " de l’Armée du Liban-Sud (la milice supplétive d’Israël), Akl Hachem, qui avait été tué dans un attentat le 30 janvier 2000.

La présence du prélat à ces obsèques avait été exploitée par les porte-voix du pouvoir baasiste pour lancer une campagne haineuse et provocatrice contre le cardinal Sfeir. Loin de se laisser impressionner, le patriarche avait balayé cette cabale d’un revers de la main, lançant devant les journalistes : "Nous en avons assez des leçons de patriotisme". Confrontés aux positions robustes du patriarche, les anti-souverainistes resteront sur leur faim …

C’est à un scénario quelque peu similaire auquel nous avons assisté au cours des dernières 48 heures. Le communiqué fortement musclé rendu public hier soir par le conseil des évêques maronites – réuni à Dimane, face à la vallée de Qannoubine, symbole de résistance contre les oppresseurs – illustre une fois de plus le ferme attachement des maronites, et des Libanais en général, à leur liberté et leur dignité. Le texte apporte aussi une nouvelle preuve que toutes les tentatives de soumettre Bkerké se heurtent en définitive à un mur et finissent dans la poubelle de l’Histoire.

Si les différentes campagnes d’intimidation lancées ces dernières années contre le patriarcat maronite ont montré quelque chose, c’est le degré avancé d’ignorance de certains de nos hauts responsables qui n’ont visiblement pas lu l’histoire de la montagne… Et qui n’ont pas pris la peine, un jour, de visiter Qannoubine pour s’imprégner de l’esprit de résistance. La résistance souverainiste, la vraie …