Dignité de l’Église bafouée par les siens
Le scandale de l’interpellation du vicaire patriarcal maronite Mgr Moussa El Hage, évêque de Haïfa et de Terre Sainte, n’en finit pas de faire des remous. Ce serait commettre une méprise d’analyser ce conflit selon une approche exclusivement confessionnelle. L’affaire de Mgr El Hage dégage un parfum politique libanais familier. D’une part, on ne peut ignorer l’hégémonie iranienne qui prend l’État libanais en otage. Mais d’autre part, elle rappelle les précédents de même nature des années 1988-1990 ainsi que toutes les tentatives, mises en œuvre depuis 2016, d’instrumentaliser la justice et les services de sécurité au service de la rivalité « intra » et « inter » maronite en vue des élections présidentielles.

Dans la scandaleuse affaire Moussa El Hage, il ne s’agit pas de l’honneur de Dieu, comme dans « Beckett » la tragédie de Jean Anouilh, mais de la dignité de l’Église. Mgr El Hage, comme individu, peut commettre les pires turpitudes et crimes. Il demeure justiciable devant les tribunaux compétents. Mais même condamné, voire damné en enfer, il n’en demeure pas moins « prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech ». La plénitude du sacerdoce, dont il est dépositaire, fait de lui un représentant éminent de la dignité inviolable de l’Église. La justice pénale ne peut le poursuivre sans en avertir ses autorités de tutelle, en l’occurrence le Patriarcat maronite et, bien entendu, le Saint-Siège. Or, le voici physiquement humilié par les subalternes d’une justice d’exception, le Tribunal militaire, qui aurait dû disparaitre depuis longtemps du paysage d’un État qui prétend être démocratique mais qui demeure féodal, tribal et clanique.

Mgr El Hage ne faisait pas du tourisme en Israël. Le poste-frontière de Naqoura lui est perméable en sa qualité d’évêque maronite de Haïfa et de Terre-Sainte où il était en visite dans sa juridiction. Il a pu collecter des dons, en nature et en espèces, pour les libanais auprès des membres des communautés chrétienne et druze en Israël. On rappellera que les « saints contrebandiers et jihadistes du parti de Dieu » se promènent comme bon leur semble sur la frontière syro-libanaise. Ils passent sous le regard bienveillant des autorités libanaises, elles-mêmes surveillées par les préposés aux affaires divines de la milice iranienne d’occupation. Faire passer du Captagon et autres friandises est licite. Faire passer des missiles iraniens par dizaines de milliers est un devoir canonique ordonné par les Mollahs de Téhéran. Par contre, oser ramener de quoi soulager une population réduite à la disette par la bande de malfaiteurs au pouvoir, serait un crime de haute trahison maquillé par l’accusation fallacieuse d’intelligence avec l’ennemi. On connaît la chanson. Passez ; plus personne ne prête attention à votre charabia.

L’affaire est exclusivement politique. Sa lecture selon une vision victimaire chrétiens v/s musulmans n’est qu’un faux semblant réducteur, destiné à brouiller les pistes selon le tweet de Jean Aziz. On doit répondre aux deux questions politiques suivantes : Qui est l’auteur ? Quel est l’enjeu de son acte ?

Qui est l’auteur ?

Le magistrat Akiki qui a exécuté l’affaire est un fidèle de l’Église maronite à laquelle il est disciplinairement soumis. Délégué du gouvernement auprès du sinistre Tribunal militaire, on le dit proche du mouvement Amal au sein du tandem chiite. Mais ceci risque de brouiller les pistes et noyer le poisson.

Pour l’enquête identificatoire, il faut d’abord rappeler certains antécédents remontant au premier mandat du Général Michel Aoun en 1988-1990. Le siège patriarcal de Bkerké fut assailli et saccagé par les partisans du Général, et le patriarche Mgr Sfeir indignement humilié dans sa personne physique, comme Mgr El Hage en 2022. À l’époque, la propagande essaya en vain de détourner l’attention en accusant les Forces Libanaises.

Le 1er juillet 2022, l’ancien conseiller du Président Michel Aoun, Jean Aziz, publie dans un tweet une confidence faisant état d’un dossier judiciaire et sécuritaire en préparation à l’encontre d’une personnalité religieuse très éloignée des querelles politiciennes et médiatiques. Ce dossier, selon J. Aziz, aurait un triple but :


  1. « Susciter les crispations identitaires et sectaires afin de détourner l’opinion publique des crimes de la bande de malfaiteurs au pouvoir ».

  2.  « On » souhaite « faire pression sur une haute autorité religieuse conformément à un agenda opportun ».

  3. « Le charlatan, auteur du dossier, se démènera alors pour faire stopper la procédure et apparaître en héros ».


Ce héros serait-il celui des « droits des chrétiens » et de leurs privilèges supposés ?

Quel est l’enjeu politique ?

Que le juge Akiki soit au service du tandem Amal-Hezbollah, rien n’est plus banal dans un pays failli, un État décomposé à l’état de putréfaction avancée grâce à ses dirigeants. Mais quel est l’intérêt politique du tandem chiite à s’en prendre à l’Église catholique dont l’Église maronite est une composante ? Le Hezbollah a certes commis les pires crimes au Liban et ailleurs. Ses méfaits ont une dimension transcontinentale pourrait-on dire. Il s’en est directement pris aux musulmans sunnites, ses pires ennemis.  Cependant, il n’est pas dans les mœurs du Hezbollah de porter atteinte à la dignité d’une institution religieuse, comme l’Église, en s’en prenant physiquement à un de ses représentants. Il serait abusif de confiner l’affaire Moussa El Hage dans le cadre étroit d’un vulgaire conflit inter-religieux rappelant les terribles exactions de l’époque Mamelouke contre les Chrétiens, les Chiites Septimains et Duodécimains ainsi que les Alaouites et d’autres confessions.

Si le Hezbollah n’est pas l’auteur direct du grave incident, pourquoi son organe officiel de presse Al-Akhbar reprend-il à son compte, même du bout des lèvres, l’accusation d’intelligence avec l’ennemi ? Sans doute pour sauver la face et se donner bonne figure auprès de sa base comme dans l’affaire des drones inoffensifs qui sont allés prendre quelques photos aériennes au-dessus des bateaux qui prospectent la nappe sous-marine Karish. En même temps, il demeure solidaire de son allié chrétien le CPL qu’il ne peut pas abandonner à la veille des élections présidentielles où deux candidats en lice, S. Frangié et G. Bassil, sont ses hommes-liges.

Politiquement parlant, cette affaire reflète l’état des rivalités impitoyables entre chefferies maronites à l’approche de l’élection présidentielle. Les services du palais de Baabda ont suffisamment démontré leur disposition à s’en prendre, non à ceux qui violent la souveraineté des frontières, piétinent le pouvoir de l’Etat et les textes constitutionnels, mais uniquement aux rivaux, surtout chrétiens, du pouvoir : activistes des réseaux sociaux, intellectuels leaders d’opinion, hauts fonctionnaires, figures de proue, religieux récalcitrants à imiter l’archiprêtre Camille Moubarak, hommes politiques ennemis etc. De telles figures ne représentent pas le « pouvoir en place » mais « l’autorité de la puissance » qui peut le dénoncer et le déstabiliser . Depuis un certain temps, le Patriarche maronite ébauche le profil du candidat présidentiel capable de rassembler tout le pays autour d’une politique médiane de souveraineté et de neutralité positive. L’Église maronite a donc fait comprendre, à ses ouailles d’abord, qu’elle s’oppose à la vision iranienne de faire du Liban un théâtre permanent de guerre. Or, la stratégie des Mollahs de Téhéran est précisément celle de favoriser l'accès à la présidence de S. Frangié ou de G. Bassil, ce dernier souhaitant plus que tout succéder à son beau-père.

Discipline ecclésiastique et justice séculière

Comme réaction officielle, le Synode maronite restreint a exigé la restitution de tous les dons en nature et en espèces saisis sur Mgr Moussa El Hage, ainsi que la destitution du juge Akiki. Cette dernière condition est problématique car l’Église n’a aucune prérogative pour faire pression sur le pouvoir judiciaire au nom de sa propre dignité bafouée. Seul le Hezbollah s’est permis d’exiger le dessaisissement du juge T. Bitar qui instruit le crime de l’explosion sur le port de Beyrouth.

Par contre, l’Église dispose du pouvoir et de l’autorité nécessaires pour imposer à ses ouailles les sanctions disciplinaires adéquates en cas de non-respect de la discipline en son sein. Le juge Akiki, chrétien maronite, s’est rendu coupable d’un manquement grave à la dignité de sa propre église qui a toute la latitude nécessaire de lui imposer les sanctions ecclésiastiques. Comme jadis l’empereur Théodose puni d’interdit par Ambroise, évêque de Milan ; comme l’empereur Henri IV excommunié par le pape Grégoire VII ; comme Thomas Beckett, archevêque de Cantorbéry, n’hésitant pas au prix de sa vie à affronter le pouvoir de son ancien compagnon de débauche le roi Henri II Plantagenêt au nom de l’honneur de Dieu.

"Frapper de la crosse" n’est pas exceptionnel dans l’histoire du Christianisme. Dans cette lamentable affaire, préjudiciable à l’ensemble des maronites et de tous les chrétiens, il y va de la dignité de l’Église bafouée par un de ses fidèles. Que l’Église le châtie conformément au Droit Canon.
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