Le Code pénal libanais consacre vingt-sept articles d’un chapitre entier aux crimes portant atteinte à la sécurité extérieure de l’État. Les principaux sous-titres de ce chapitre identifient certains crimes et leurs peines tels que: la trahison, l’espionnage, les liens illicites avec l’ennemi, les crimes contre le droit international, l’atteinte au prestige de l’État et à l’esprit national, et finalement les crimes des commanditaires.

D’aucuns qui regardent de près ces articles remarquent que le système judiciaire au Liban applique la loi de manière discrétionnaire, soit intentionnellement, soit parce que le fait accompli l’emporte. Sinon, comment expliquer cette intransigeance à l’égard de tout ce qui a trait à la trahison, à l’espionnage et aux contacts illicites, alors que d’autres articles sont totalement occultés, à l’instar de l’article qui prévoit des "sanctions contre quiconque est à l’origine d’actes, d’écrits ou de discours prohibés par le gouvernement, exposant le Liban à des hostilités, ou sabotant ses relations avec un pays étranger". Ou encore celui qui sanctionne "la formation de soldats recrutés sur le sol libanais dans le but de se battre pour le compte d’un pays étranger, sans l’approbation du gouvernement".

Après l’arrestation de l’archevêque maronite de Haïfa et de Terre Sainte, Mgr Moussa el-Hage, la question de la collaboration avec l’ennemi est revenue sur le devant de la scène au Liban, notamment avec les accusations de collaboration proférées par les partisans du Hezbollah et ses alliés contre l’évêque et le Patriarcat maronite, pour la simple raison que l’évêque transportait des aides, des médicaments et de l’argent provenant de Libanais, réfugiés en Israël, et destinés à leurs parents résidents encore au Liban. Des accusations rejetées en bloc par l’intégralité des forces politiques chrétiennes, qui se sont rassemblées autour de Bkerké, formant de ce fait une sorte d’immunité à l’évêque, face à toutes les tentatives visant à l’atteindre. Il convient de noter que dans cette affaire, l’interpellation du prélat est éminemment politique, en particulier après l’annonce du vicaire général patriarcal, l’archevêque Paul Sayah, fondateur du diocèse de Haïfa et de Terre Sainte, vicaire patriarcal pour la Palestine, Jérusalem et la Jordanie, et qui pendant seize ans a occupé le poste d’archevêque de Haïfa et de Terre Sainte. Ce dernier a rappelé que ses allers-retours entre le Liban et les territoires occupés se passaient sans la moindre anicroche aux frontières, et qu’il n’a jamais été importuné ni fouillé. Il a ajouté que tout le monde était coopératif avec lui, même durant la période de l’occupation syrienne, sachant que ses activités étaient semblables à celles de Mgr Hage, et qu’il lui arrivait de transporter de l’argent et des aides des territoires occupés vers le Liban.

Cet incident et ses répercussions nécessiteraient un réexamen approfondi de nombreuses notions et terminologies erronées au Liban, une révision de certains articles de loi, et l’application de certains autres. Sinon, comment expliquer l’accusation de collaboration et de trahison envers quiconque ayant eu un contact avec une personne détenant la citoyenneté israélienne, sans s’être enquis au préalable du contexte de ce contact?  Ne faudrait-il pas questionner la visée de ces rapports, afin de s’assurer qu’ils ne portent pas atteinte à la souveraineté et à la sécurité nationale de l’État libanais? En revanche, celui qui fait rentrer de l’argent et des armes, et qui met en œuvre l’agenda iranien, mettant à risque les intérêts suprêmes de l’État dans son ensemble, est sacralisé et qualifié de héros résistant.

Au regard de ce qui précède, ces interrogations (et bien d’autres encore), mèneraient le Liban vers la partition, si elles étaient soulevées ouvertement dans le cadre d’un dialogue national, notamment en présence d’un parti puissant, armé jusqu’aux dents, qui rejetterait automatiquement toute entente visant à réduire son rôle, son pouvoir et son influence.

Actuellement, on cherche à clôturer l’incident de l’archevêque el-Hage à la manière libanaise, selon laquelle il y a "ni vainqueur, ni vaincu". Ceci, après que le Hezbollah a livré son message de manière on ne peut plus claire à Bkerké, malgré les tentatives de son secrétaire général de nier son implication dans l’incident, et de s’ériger en chef de l’Église, en demandant que les évêques désirant se rendre dans les territoires occupés, le fassent via la Jordanie et non le Liban.

En réalité, le Hezbollah et certains juges qui gravitent dans son orbite sont parfaitement conscients qu’aller trop loin dans ce dossier, mettrait le pays à feu et à sang. De ce fait, le constitutionnaliste et expert juridique, l’avocat Saïd Malek, confirme que le tribunal militaire n’a pas l’intention d’accuser l’archevêque el-Hage de collaboration avec l’ennemi, mais plutôt de placer cet incident dans le cadre d’une violation de la loi sur le boycottage d’Israël, qui stipule que le Liban et ses citoyens ne doivent pas traiter, s’engager ou établir des contacts directs ou indirects avec l’entité sioniste ennemie.

Dans une interview accordée à Ici Beyrouth, Me Malik estime qu’en amont de toute modification du texte de loi concernant la collaboration et les collaborateurs, il serait plus judicieux de se demander si ce texte, en l’état, est appliqué de manière égale entre toutes les parties? Sur ce point, il affirme que "certaines parties qui font rentrer au Liban de l’argent, du matériel, et des armes de pays étrangers se trouvent au-dessus de la loi, alors qu’un archevêque qui vient en aide à ses paroissiens, est interpellé et poursuivi en justice. C’est une question qui doit être réévaluée indépendamment des enjeux politiques, ainsi que des messages adressés au patriarche Raï".

De son côté, le chef du Rassemblement Saydet al-Jabal, le député Farès Souhaid met en garde contre la tentative d’accuser une confession entière de collaboration avec l’ennemi, ce qui menacerait profondément la coexistence dans le pays, et ferait aboutir le stratagème utilisé par le parti pro-iranien pour mettre la main sur tout le pays.

Dans un entretien avec Ici Beyrouth, M. Souhaid tient à rappeler que le boycott du patriarche maronite libanais par le Hezbollah a commencé par la visite du pape François à Jérusalem en 2014. À cette occasion, le patriarche Rai avait pris part à la visite et prié à Jérusalem. D’ailleurs, depuis ce voyage, aucune visite du Hezbollah pour Bkerké n’a été enregistrée. De plus, le parti chiite a bloqué la tenue de tout sommet spirituel, qui exige la présence de représentants de toutes les confessions, en interdisant la participation d’un représentant de la communauté chiite.

M. Souhaid considère que la visite que Mgr. Raï a effectuée à Jérusalem en compagnie du Pape s’inscrit dans le cadre du soutien apporté à nos concitoyens résidant dans les territoires occupés, notamment les chrétiens, les musulmans et les juifs non sionistes. Cette visite doit être perçue comme une visite en soutien au prisonnier et non à son geôlier. D’autre part, le boycottage de Jérusalem et de ses habitants, sous prétexte de vouloir boycotter l’occupation israélienne, s’avère stérile et contreproductif, dans la mesure où il sert les plans de colonisation et de judaïsation de la ville, en participant à son siège et en isolant ses habitants palestiniens.

Quoi qu’il en soit, le chef du Rassemblement de Saydet al-Jabal souligne que face à la tentative du parti chiite d’accuser toute une confession de collaboration, les réactions sur le plan local restent particulièrement timides. À savoir, qu’auparavant, le parti pro-iranien avait diabolisé les sunnites, en les accusant de corruption et de terrorisme. Mais, à l’époque, nous avions fait bloc aux côtés des sunnites face à cette fourberie, mus par notre loyauté aux principes de coexistence et de solidarité patriotique, afin de faire échouer l’agenda du Hezbollah. Sachant que la mainmise iranienne sur le pays ne peut pas être consolidée par la puissance des armes uniquement, mais en épuisant et neutralisant toutes les confessions du Liban.