L’appel à la mise en place d’une commission d’enquête internationale, et un autre adressé directement à la France pour qu’elle saisisse à cette fin le Conseil des droits de l’homme, ont marqué le temps fort de la deuxième commémoration jeudi de l’explosion au port et de la destruction de plusieurs quartiers de Beyrouth, le 4 août 2020.

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C’est une journée chargée de beaucoup d’émotions, et surtout d’une immense colère, à peine retenue, qui a marqué jeudi la deuxième commémoration de l’explosion au port, le 4 août 2020, à cause de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium mal stocké.

Une journée placée, pour la deuxième année consécutive, sous le signe de la quête d’une justice que les politiques libanais s’efforcent d’étouffer depuis deux ans. Et qui s’est surtout distinguée par la détermination des parents des victimes à obtenir que la justice internationale prenne le relais d’une justice locale défaillante, dans l’impossibilité de se libérer du joug de la classe politique.

Sur les pancartes brandies aux trois points de rassemblement qui étaient prévus en début d’après-midi (Palais de justice, caserne des pompiers de la Quarantaine et immeuble d’an-Nahar), les manifestants ont laissé libre cours à leur frustration et à leurs revendications, qui s’articulent toutes autour d’un déblocage de l’enquête. Une investigation à laquelle ils ne croient pourtant plus au niveau local. Tout comme ils ne croient plus, avec des milliers d’autres Libanais, que cette classe politique qui s’arrange toujours pour se régénérer est capable du moindre bien à un pays en agonie.

Cette immense frustration, exprimée au rythme des slogans scandés par les protestataires, a donc poussé les familles des victimes à changer de tactique cette année. Faisant écho aux manifestations de solidarité exprimées par de nombreux pays, notamment la France, avec le peuple libanais, les proches des victimes ont mis la communauté internationale, et plus particulièrement Paris, devant leurs responsabilités: parce que l’enquête locale ne va pas être débloquée, parce que la classe politique ne reconnaîtra pas sa négligence criminelle, pointée du doigt par le juge d’instruction Fadi Sawwan, puis par son successeur Tarek Bitar. Et cela, la communauté internationale le sait très bien. Aussi, Aya Majzoub, de l’ONG Human Rights Watch, puis Tracy Naggear, la maman de la petite Alexandra tuée dans l’explosion du 4 août, ont directement appelé le président Emmanuel Macron à l’aide, non sans lui faire quelques reproches "amicaux". "Il est regrettable que la France refuse jusque-là de présenter une demande au Conseil des droits de l’homme pour mettre sur pied une commission d’enquête internationale", a déclaré Aya Majzoub. "Nous ne réclamons aucune ingérence de la part de la France ni d’autres puissances. C’est une justice internationale dont la saisine existe qui est demandée", a renchéri Tracy Naggear.

Un appel lancé quelques minutes seulement avant qu’une partie du bloc nord des silos ne s’effondre, faisant jaillir un gigantesque nuage épais de fumée. En dépit de la valeur symbolique de ce témoin silencieux d’un crime sans nom, la chute d’une partie des silos a laissé les protestataires de marbre. Parce qu’à l’heure où ils sont tombés, ils étaient des centaines de personnes rassemblées devant une voie d’accès menant au Parlement, devant la municipalité de Beyrouth, à crier toute leur colère contre le président de la Chambre, Nabih Berry, accusé de couvrir deux anciens ministres, Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil, poursuivis par Tarek Bitar, avec d’autres responsables politiques. Les manifestants ont lancé par-dessus la barrière métallique les cercueils en carton qu’ils portaient à bout de bras, proférant des injures à l’adresse des présidents du Parlement et de la République, avant de poursuivre leur chemin vers la statue de l’Émigré où le rassemblement central était prévu. Et là, de nouveau, un appel solennel à la formation d’une commission internationale d’enquête a été lancé. Par des centaines de Libanais rassemblés pour commémorer le jour où la négligence de l’État a détruit leur vie.

Patrick Baz / AFP