Le compte à rebours de l’élection présidentielle libanaise a été donné. Cette échéance cruciale, que beaucoup considèrent comme un prélude vers un changement sur la scène politique, là où les élections législatives ont échoué, va probablement apporter son lot de cris d’orfraie et d’escalades en tous genres. Ces dernières vont d’ailleurs aller crescendo à l’approche de la fin de ce mois et au début du mois de septembre. Pour rappel, la Constitution prévoit la convocation de la Chambre pour élire le président de la République durant les deux mois précédant la fin du mandat de ce dernier, soit le 31 octobre.

Les premiers signes de ces escalades attendues semblent se dessiner dans le discours et les prises de position tranchantes du leader des Forces libanaises (FL) Samir Geagea et du chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, qui se considèrent comme les "candidats naturels" à la présidence de la République, du fait qu’ils se trouvent à la tête des deux plus importants blocs parlementaires chrétiens. Toutefois, les deux leaders sont également conscients qu’ils n’ont aucune chance d’accéder à la Première magistrature. Si bien qu’on devrait s’attendre à ce qu’ils recourent à la tactique devenue monnaie courante au pays du Cèdre, et qui consiste à chauffer la base populaire jusqu’à l’émergence d’un consensus sur un troisième candidat, imposé par la communauté internationale, ou par le rapport de force interne, dominé par le Hezbollah.

C’est sur fond de tension entre les aounistes et les FL sur le traitement du dossier de la présidentielle, qu’intervient soigneusement le chef des Marada, Sleiman Frangié, convaincu d’être le candidat qui bénéficie des meilleures chances pour succéder à Michel Aoun. De ce fait, il se présente comme un candidat de compromis, alors que d’aucuns savent pertinemment que M. Frangié est fidèle à l’axe mené par le Hezbollah, qui se garde bien d’ailleurs de nommer un candidat à la présidence de la République. Et pour cause : le candidat qui bénéficiera du soutien de la formation pro-iranienne verra ses chances réduites, et fera l’objet d’un veto des forces extérieures et intérieures.

Des informations rapportées à Ici Beyrouth affirment que le Hezbollah éviterait la réédition en 2022 du scénario qu’il avait adopté avec Michel Aoun, étant bien conscient que la situation qui prévalait en 2014-2015 et 2016 a complètement changé. Le parti chiite se rend bien compte que l’excès de force dont il dispose ne pourra pas être exploité dans un pays au bord de la faillite et de l’effondrement total. Partant, le parti de Dieu n’a donc aucun intérêt à plébisciter un candidat selon la fameuse équation "lui ou personne". De ce fait, le Hezbollah devra s’assurer au préalable que son candidat sera en mesure d’obtenir un quorum et une majorité à la séance parlementaire lui garantissant son élection. En effet, le Hezbollah refuse d’endosser le rôle de l’empêcheur de tourner en rond, et encore moins du grand perdant, au cas où il ne parviendrait pas à sécuriser la victoire de son poulain.

Par ailleurs, l’annonce faite par Samir Geagea depuis quelques jours, était explicite. Pour la première fois, le leader des Forces Libanaises a avoué ne pas exclure l’option de boycotter les séances parlementaires consacrées à l’élection présidentielle, et ceci afin d’empêcher l’élection d’un candidat issu de l’axe pro-iranien, arguant que "la nécessité autorise ce qui est interdit". Sachant qu’en 2016, le chef des FL était parmi les premiers à critiquer la politique de blocage exercée par le camp du 8 Mars lors des sessions de l’élection présidentielle. La position de Samir Geagea a franchement basculé concernant les développements du dossier de la présidentielle, si bien que les forces souverainistes et de l’opposition qui avaient misé sur la position initiale du chef des FL de ne pas "en principe" boycotter ces élections, vont probablement recourir à la même tactique, dans le but d’empêcher l’accession d’une figure affiliée au Hezbollah à la présidence de la République.  À savoir que les forces dites souverainistes et celles de l’opposition n’ont jusqu’à présent pas réussi à unifier leurs positions sur le choix d’un candidat. En tout état de cause, même si leur candidat venait à remporter dans le meilleur des cas 67 votes en sa faveur, il ne pourra pas toutefois garantir le quorum de la session qui est de 86 députés.

Malgré ce qu’on a pu entendre sur l’obtention par ces forces dites souverainistes de la majorité parlementaire aux élections de 2022, celles-ci n’ont toujours pas pu imposer leurs choix au Parlement, que ce soit pour élire le nouveau président de la Chambre, son vice-président, ou même les membres des commissions parlementaires.

D’aucuns prévoient que l’échéance présidentielle ne fera pas exception, surtout à la lumière des différends parmi les rangs des souverainistes et de l’opposition, notamment après que le Parti socialiste progressiste (PSP) a annoncé que son chef, Walid Joumblatt, a sollicité une rencontre avec un responsable du Hezbollah. Ce qui peut signifier que nous sommes fort probablement face à des modifications de positions et d’alliances politiques à la veille de l’élection présidentielle.

Entretemps, des cercles proches des FL tentent tant bien que mal d’absorber les divergences qui s’accumulent avec le PSP. La dernière en date ayant porté sur l’interpellation et la fouille de l’archevêque Moussa el-Hage à la frontière libano-israélienne, qui a dégénéré en une passe d’armes menée par Sethrida Geagea entre les deux formations politiques.

Dans un entretien à Ici Beyrouth, des sources proches des FL considèrent que "la spécificité politique est le droit de tout parti". Elles soulignent que "les différends avec le PSP se limitent à l’incident avec Bkerké, et ne dépassent pas le cadre du dossier en question".  Ces mêmes sources rappellent que c’est dans "l’intérêt commun de toutes les forces souverainistes de s’entendre sur un candidat à la présidence de la République". Et, d’ajouter qu’à défaut d’entente, "le Hezbollah imposera son propre président qui ne fera que prolonger le supplice que nous vivons depuis six ans".

Selon les sources proches des FL, "une divergence de points de vue est inévitable, mais il faut que les fronts soient unifiés concernant les dossiers stratégiques". "Nous sommes dans la même galère, à moins que certains aient changé leur fusil d’épaule, soulignent les sources FL. Dans ce cas, chacun devra assumer ses propres responsabilités face à sa base populaire et à celle des forces souverainistes".

Par ailleurs, les milieux FL minimisent l’importance de la rencontre prévue entre Walid Joumblatt et le responsable de l’unité de coordination au sein du Hezbollah, Wafik Safa, estimant que "des rencontres entre les deux parties ont toujours eu lieu depuis 2007 afin de préserver la sécurité de la montagne, et rien ne présage de la formation de nouvelles alliances, comme l’ont appréhendé certains".

Les milieux proches du PSP, quant à eux, se montrent soucieux de préserver les relations avec les FL et essayent de rapprocher les positions entre les deux partis. De plus, ils préfèreraient ne pas s’étendre à présent sur les raisons pour lesquelles Walid Joumblatt a souhaité la rencontre avec Wafik Safa, et si cette entrevue portera sur le dossier présidentiel. À noter que des sources proches du Hezbollah semblent convaincues que le chef du PSP cherche à "sonder le parti de Dieu sur le dossier présidentiel, au regard du rôle clef et déterminant qu’il joue sur la scène politique et au niveau de l’échéance présidentielle".

Dans une déclaration faite à Ici Beyrouth, ces mêmes milieux estiment que "Walid Joumblatt a constamment essayé d’avoir des rapports apaisés avec chaque président nouvellement élu, afin de s’assurer un rôle sur la scène politique, et avoir son mot à dire lors de l’élection présidentielle". Et de conclure : "La priorité de Walid Joumblatt est de préserver coûte que coûte ses intérêts et ceux de sa communauté, au prix de concessions de sa part et de perpétuels revirements de positions".