Selon des informations relayées par la presse locale, un responsable proche du Premier ministre désigné, Najib Mikati, aurait rencontré l’ambassadeur d’Iran au Liban, Mojtaba Amani, et accepté l’offre iranienne de fournir gratuitement du carburant au Liban.

Pendant ce temps, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) Walid Joumblatt déclarait qu’il était "impératif d’avoir un dialogue avec le Hezbollah ainsi qu’avec d’autres partis ", avant de recevoir une délégation de la formation pro-iranienne chez lui, à Clemenceau, " non pas pour discuter de problèmes politiques épineux, mais pour tenter plutôt de résoudre des problématiques liées au dossier de l’électricité ou encore à la mise en place d’un fonds souverain pétrolier ".

Il ne fait aucun doute que cette évolution dans les positions des deux hommes reflète une volonté de rapprochement avec le Hezbollah. Les deux auraient peut-être des propositions à faire à la formation pro-iranienne. Ils pourraient consacrer la " légitimité " du Hezbollah, et la mainmise de l’axe iranien sur le Liban dans le cadre notamment d’un marchandage dans le dossier de la présidence de la République. Sans aborder bien sûr le sujet directement.

Dans ce contexte, il serait intéressant de se poser la question de savoir où se situe le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, par rapport à cette nouvelle donne. Quel prix peut-t-il payer ? Serait-il sacrifié par le Hezbollah en contrepartie d’une reconnaissance de son influence par MM. Joumblatt et Mikati ?

Il ne fait aucun doute que c’est la tête du chef du CPL qui est aujourd’hui en jeu, sinon le marchandage politique n’aurait pas porté sur les dossiers du pétrole et de l’électricité, en d’autres termes, sur le ministère de l’Energie, géré pendant plus de dix ans par Gebran Bassil, qui a littéralement réduit ce secteur à néant. Il l’a voué à une mort certaine, dont il pourra difficilement ressusciter.

Nul besoin d’ailleurs d’être un devin pour comprendre les motivations de Najib Mikati et de Walid Joumblatt. Le chef du PSP considère que le mandat de Michel Aoun s’est distingué par " son échec et sa rancune qui le pousse à vouloir éliminer tous ses opposants ". Il estime que " le Liban est un pays dont la diversité doit être respectée ", que " le sexennat n’a engendré que des catastrophes ", qu’un " président de la République doit avoir un minimum de vision réformiste " et que " chaque bloc parlementaire devrait voter selon ses convictions " pour un nouveau chef de l’Etat. Pour sa part, Najib Mikati riposte par tous les moyens dont il dispose, à la campagne menée par Gebran Bassil contre lui.

En attendant, le Hezbollah joue la politique de la main tendue pour pouvoir profiter des appels d’offre. Dans son discours d’il y a quelques jours à l’occasion de la commémoration de l’Achoura, son secrétaire général, Hassan Nasrallah, a insisté sur la nécessité d’une "coopération politique, populaire et officielle maximale pour surmonter les difficultés et les crises actuelles". Il avait aussi appelé à la formation d’un gouvernement doté des pleins pouvoirs, en évoquant les " menaces " d’un vide présidentiel.

Il n’a évidemment pas fait la moindre allusion à son candidat potentiel pour la présidence de la République, en attendant d’y voir plus clair du côté des négociations entre Téhéran et Washington sur le nucléaire et en multipliant les surenchères au point de brandir la menace d’une guerre. La situation a atteint "un point de blocage total", selon lui.

Pour le Hezbollah, le dossier de la présidentielle reste tributaire de l’évolution de ces pourparlers. Ceci laisserait éventuellement peu de place pour Gebran Bassil en tant qu’acteur incontournable dans la perspective de l’échéance d’octobre, au moment où ce dernier compte principalement sur la formation pro-iranienne pour lui ouvrir la route vers Baabda.

La force du chef du CPL résidait dans le fait que le Hezbollah avait besoin de la couverture chrétienne qu’il assurait au projet de l’axe iranien au Liban. Mais aujourd’hui, la stratégie de Gebran Bassil -qui porte sur une allégeance absolue à l’axe iranien et qui consiste à sacrifier pour cela les relations du Liban avec son milieu arabe et à jouer sur les contradictions internationales- n’est plus payante dans la mesure où le Hezbollah dispose d’offres qui sont plus avantageuses encore que les services rendus par ce dernier.

Gebran Bassil devrait-il craindre pour son avenir politique ? Quid des sanctions américaines à son encontre, surtout qu’elles reposent sur des accusations de corruption ou encore des informations sur une rencontre secrète présumée qu’il aurait eue avec des responsables israéliens ?

Peut-il même prétendre à un avenir politique s’il ne succède pas à son beau-père, Michel Aoun, à la présidence de la République ?

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas perdre de vue le fait que les candidats potentiels à la présidence de la République seraient disposés à faire des concessions à la formation pro-iranienne, dans la mesure du possible. Ces personnalités n’auront toutefois pas besoin de prêter une allégeance absolue au Hezbollah, surtout que de nombreux et fidèles services qui étaient rendus à la milice et qui étaient la spécialité de Gebran Bassil, ne sont plus indispensables. Notamment à l’aune des développements régionaux qui nécessitent de nouveaux repositionnements, surtout avec l’amélioration des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

Plus important encore, le jeu de Gebran Bassil qui consiste à s’abstenir de soutenir le chef des Marada Sleiman Frangieh ou tout autre candidat à la présidence de la République, et de menacer de ne pas donner les voix de son bloc parlementaire, (Le Liban fort), à tout candidat dont il n’est pas satisfait, est une problématique que le parti chiite peut surmonter. Comme il avait pu surmonter le refus de la majorité parlementaire d’élire Michel Aoun en 2016.

Dès lors, entre les propositions de MM Mikati et Joumblatt d’une part, et l’impossibilité pour Gebran Bassil d’accéder à la présidence de la République d’autre part, le Hezbollah peut manœuvrer et imposer son tempo en fonction des intérêts de son axe… qu’il y ait une ou non un vide à la tête de l’État.