C’est donc Chalcédoine qui est à l’origine de cette Église devenue un avec le Liban. C’est pour défendre leur foi chalcédonienne que les communautés de Beit Moroun se sont érigées en Église autocéphale et ont commencé leur symbiose avec le Liban sacralisé.
En l’an de grâce 451, l’empereur byzantin Marcien et son épouse Pulchérie convoquaient le quatrième concile œcuménique du christianisme en l’église Sainte-Euphémie de Chalcédoine. Le concile a clairement affirmé le dyophysisme, ou les deux natures, humaine et divine, du Christ, vraiment homme et vraiment Dieu. «Un seul Christ reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation», dit la profession de foi connue comme «symbole de Chalcédoine».
Statue de Saint Maron à Bkerké avec la confession de foi chalcédonienne.
Le monophysisme
Les Syriaques, dont l’approche théologique était plutôt anthropologique que philosophique, avaient du mal à comprendre ces subtilités, d’autant plus que leur vocabulaire ne comportait pas toutes ces nuances. Une partie des Syriaques reconnaissaient bien l’humanité et la divinité du Sauveur, mais ils les voyaient confondues en une seule nature, telle que définie par le miaphysisme. Cependant, ils seront accusés de monophysisme, qui est une doctrine qui ne prêche en réalité que la nature divine du Christ.
Bien au-delà de la problématique théologique, ces chrétiens suspectaient un risque d’assimilation politique et culturelle dans l’empire byzantin grécophone. Attachés à leur langue et à leur identité syriaque, ils préféraient refuser Chalcédoine en bloc, rejetant le spirituel avec le temporel. Pour ces mêmes aspirations d’indépendance culturelle, ils allaient être suivis par les coptes et les Arméniens qui, dans le fond, n’ont jamais condamné la doctrine chalcédonienne.
Les Syriaques orientaux étant déjà séparés de l’Église universelle depuis le concile d’Éphèse en 431, ce sont les Syriaques occidentaux qui se sont trouvés confrontés à la polémique déclenchée par le concile de Chalcédoine. Ils se sont sentis condamnés à avoir à choisir entre l’unité de l’Église d’une part et la sauvegarde de leur culture face à l’assimilation par Byzance d’autre part. Ce dilemme a provoqué l’apparition de trois courants qui allaient engendrer trois Églises distinctes chez les syriaques occidentaux.
Le «symbole de Chalcédoine» gravé sur la statue de Saint Maron à Bkerké.
Groupe 1: les Roum
Un premier groupe a opté sans détour pour l’unité chrétienne, en adoptant le concile avec toutes ses implications liturgiques, culturelles et même identitaires. Bien que demeurés syriacophones pour l’usage quotidien, ces fidèles ont adopté le grec pour leur liturgie. Le reste des Syriaques les désigneront dès lors comme «Roum» dans leur langue, signifiant byzantins. De là, viendra également l’appellation de «Grecs». Ce premier groupe formera ainsi l’Église roum ou grecque-orthodoxe dont se détachera, en 1724, une branche uniate dite grecque-catholique ou melkite.
Groupe 2: les syriaques-orthodoxes
Le second groupe, fortement attaché à son appartenance culturelle, a rejeté le concile dans son ensemble. Taxé dès lors de monophysite, il sera connu au Moyen Âge comme jacobite, relativement à son saint, Jacques Baradée. Refusant ces deux désignations, il prendra le nom d’Église syriaque-orthodoxe, dont se détachera, en 1662, une branche uniate dite syriaque-catholique.
Saint Jean Maron surmonté de la devise patriarcale qui associe son Église au Liban: «La gloire du Liban lui est donnée.»
Groupe 3: Beit Moroun
La troisième composante a préféré tenter un pari audacieux. Celui de l’unité chrétienne bien que dépendante d’un concile tenu par les Byzantins, et celui de l’inébranlable attachement à la langue, la culture, l’identité et la spiritualité syriaques. Ce groupe connu comme Beit Moroun, ou communautés de Saint Maron, a fini par s’ériger en Église indépendante dotée d’un patriarcat, dès la fin du VIIᵉ siècle, avec Saint Jean Maron.
L’Église maronite
Il est remarquable que l’attachement à la langue syriaque apparaisse clairement comme étant à l’origine de la formation de cette Église. Sans cette valeur qui leur était inaliénable, ils auraient pu œuvrer pour l’unité chrétienne à travers leur dissolution dans le monde byzantin. Loin de là, ils ont sacralisé leur langue autant que leur appartenance à l’Église universelle. Dans leur esprit, aucune de ces deux valeurs n’est négociable et aucune ne peut être conditionnée. Il y va de leur existence car c’est sur cette double dimension que se sont construites leur foi et leur présence.
C’est donc Chalcédoine qui est à l’origine de cette Église devenue un avec le Liban. C’est pour défendre leur foi chalcédonienne que les communautés de Beit Moroun se sont érigées en Église autocéphale et ont commencé leur symbiose avec le Liban sacralisé.
Aujourd’hui encore, à l’entrée du siège patriarcal de Bkerké, se dresse le «symbole de Chalcédoine» gravé en syriaque sur la statue contemporaine de Saint Maron. Nous y lisons justement: «Trein kionin, had Aloho, kad lo plig, oflo méchtahlaf» soit «deux natures, un seul Dieu, indivisible et inchangeable». Cette confession de foi est là pour affirmer ce qui fait cette Église et ce qui la rend si particulière parmi ses sœurs syriaques.
Schéma des églises syriaques.
Charles Malek
Pour le philosophe Charles Malek, la langue, qui est «le phénomène le plus significatif des civilisations», détermine l’appartenance, l’identité et la nation. Dans le cas du Liban, elle est à la fois le lien avec ses racines et la continuité avec sa diaspora. L’ayant traquée dans l’histoire et dans la spiritualité maronite, il fait de la langue syriaque, le support de la projection vers l’avenir en lui octroyant une responsabilité et un devoir de paix dans cette région du monde.
C’est vers la fin des années 1970 que, dans ses Deux lettres aux maronites, Charles Malek associait leur héritage linguistique à la raison d’être du Liban et à sa mission. Il se demandait alors pourquoi les maronites avaient préservé leur langue syriaque jusqu’à nos jours dans cette région soumise durant des siècles à une culture unique. En bon croyant, il refusait la notion de coïncidence et lui préférait l’intervention de la Providence.
Selon lui, la région du Levant et du Moyen-Orient demeurera dans l’instabilité aussi longtemps qu’elle ne reposera que sur deux assises: les Arabes et les Hébreux. À cet égard, l’introduction d’une troisième assise s’avère nécessaire pour y rétablir l’équilibre. C’est là qu’intervient la composante syriaque, représentée par les maronites, qui transformerait la dualité en stabilité.
La tradition maronite s’est affirmée avec Chalcédoine afin de préserver sa langue syriaque durant son processus d’ouverture au monde. Pour le grand philosophe grec-orthodoxe, Charles Malek, elle se doit maintenant de préserver cette identité linguistique afin de participer au rapprochement des peuples et à la construction de la paix.
En l’an de grâce 451, l’empereur byzantin Marcien et son épouse Pulchérie convoquaient le quatrième concile œcuménique du christianisme en l’église Sainte-Euphémie de Chalcédoine. Le concile a clairement affirmé le dyophysisme, ou les deux natures, humaine et divine, du Christ, vraiment homme et vraiment Dieu. «Un seul Christ reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation», dit la profession de foi connue comme «symbole de Chalcédoine».
Statue de Saint Maron à Bkerké avec la confession de foi chalcédonienne.
Le monophysisme
Les Syriaques, dont l’approche théologique était plutôt anthropologique que philosophique, avaient du mal à comprendre ces subtilités, d’autant plus que leur vocabulaire ne comportait pas toutes ces nuances. Une partie des Syriaques reconnaissaient bien l’humanité et la divinité du Sauveur, mais ils les voyaient confondues en une seule nature, telle que définie par le miaphysisme. Cependant, ils seront accusés de monophysisme, qui est une doctrine qui ne prêche en réalité que la nature divine du Christ.
Bien au-delà de la problématique théologique, ces chrétiens suspectaient un risque d’assimilation politique et culturelle dans l’empire byzantin grécophone. Attachés à leur langue et à leur identité syriaque, ils préféraient refuser Chalcédoine en bloc, rejetant le spirituel avec le temporel. Pour ces mêmes aspirations d’indépendance culturelle, ils allaient être suivis par les coptes et les Arméniens qui, dans le fond, n’ont jamais condamné la doctrine chalcédonienne.
Les Syriaques orientaux étant déjà séparés de l’Église universelle depuis le concile d’Éphèse en 431, ce sont les Syriaques occidentaux qui se sont trouvés confrontés à la polémique déclenchée par le concile de Chalcédoine. Ils se sont sentis condamnés à avoir à choisir entre l’unité de l’Église d’une part et la sauvegarde de leur culture face à l’assimilation par Byzance d’autre part. Ce dilemme a provoqué l’apparition de trois courants qui allaient engendrer trois Églises distinctes chez les syriaques occidentaux.
Le «symbole de Chalcédoine» gravé sur la statue de Saint Maron à Bkerké.
Groupe 1: les Roum
Un premier groupe a opté sans détour pour l’unité chrétienne, en adoptant le concile avec toutes ses implications liturgiques, culturelles et même identitaires. Bien que demeurés syriacophones pour l’usage quotidien, ces fidèles ont adopté le grec pour leur liturgie. Le reste des Syriaques les désigneront dès lors comme «Roum» dans leur langue, signifiant byzantins. De là, viendra également l’appellation de «Grecs». Ce premier groupe formera ainsi l’Église roum ou grecque-orthodoxe dont se détachera, en 1724, une branche uniate dite grecque-catholique ou melkite.
Groupe 2: les syriaques-orthodoxes
Le second groupe, fortement attaché à son appartenance culturelle, a rejeté le concile dans son ensemble. Taxé dès lors de monophysite, il sera connu au Moyen Âge comme jacobite, relativement à son saint, Jacques Baradée. Refusant ces deux désignations, il prendra le nom d’Église syriaque-orthodoxe, dont se détachera, en 1662, une branche uniate dite syriaque-catholique.
Saint Jean Maron surmonté de la devise patriarcale qui associe son Église au Liban: «La gloire du Liban lui est donnée.»
Groupe 3: Beit Moroun
La troisième composante a préféré tenter un pari audacieux. Celui de l’unité chrétienne bien que dépendante d’un concile tenu par les Byzantins, et celui de l’inébranlable attachement à la langue, la culture, l’identité et la spiritualité syriaques. Ce groupe connu comme Beit Moroun, ou communautés de Saint Maron, a fini par s’ériger en Église indépendante dotée d’un patriarcat, dès la fin du VIIᵉ siècle, avec Saint Jean Maron.
L’Église maronite
Il est remarquable que l’attachement à la langue syriaque apparaisse clairement comme étant à l’origine de la formation de cette Église. Sans cette valeur qui leur était inaliénable, ils auraient pu œuvrer pour l’unité chrétienne à travers leur dissolution dans le monde byzantin. Loin de là, ils ont sacralisé leur langue autant que leur appartenance à l’Église universelle. Dans leur esprit, aucune de ces deux valeurs n’est négociable et aucune ne peut être conditionnée. Il y va de leur existence car c’est sur cette double dimension que se sont construites leur foi et leur présence.
C’est donc Chalcédoine qui est à l’origine de cette Église devenue un avec le Liban. C’est pour défendre leur foi chalcédonienne que les communautés de Beit Moroun se sont érigées en Église autocéphale et ont commencé leur symbiose avec le Liban sacralisé.
Aujourd’hui encore, à l’entrée du siège patriarcal de Bkerké, se dresse le «symbole de Chalcédoine» gravé en syriaque sur la statue contemporaine de Saint Maron. Nous y lisons justement: «Trein kionin, had Aloho, kad lo plig, oflo méchtahlaf» soit «deux natures, un seul Dieu, indivisible et inchangeable». Cette confession de foi est là pour affirmer ce qui fait cette Église et ce qui la rend si particulière parmi ses sœurs syriaques.
Schéma des églises syriaques.
Charles Malek
Pour le philosophe Charles Malek, la langue, qui est «le phénomène le plus significatif des civilisations», détermine l’appartenance, l’identité et la nation. Dans le cas du Liban, elle est à la fois le lien avec ses racines et la continuité avec sa diaspora. L’ayant traquée dans l’histoire et dans la spiritualité maronite, il fait de la langue syriaque, le support de la projection vers l’avenir en lui octroyant une responsabilité et un devoir de paix dans cette région du monde.
C’est vers la fin des années 1970 que, dans ses Deux lettres aux maronites, Charles Malek associait leur héritage linguistique à la raison d’être du Liban et à sa mission. Il se demandait alors pourquoi les maronites avaient préservé leur langue syriaque jusqu’à nos jours dans cette région soumise durant des siècles à une culture unique. En bon croyant, il refusait la notion de coïncidence et lui préférait l’intervention de la Providence.
Selon lui, la région du Levant et du Moyen-Orient demeurera dans l’instabilité aussi longtemps qu’elle ne reposera que sur deux assises: les Arabes et les Hébreux. À cet égard, l’introduction d’une troisième assise s’avère nécessaire pour y rétablir l’équilibre. C’est là qu’intervient la composante syriaque, représentée par les maronites, qui transformerait la dualité en stabilité.
La tradition maronite s’est affirmée avec Chalcédoine afin de préserver sa langue syriaque durant son processus d’ouverture au monde. Pour le grand philosophe grec-orthodoxe, Charles Malek, elle se doit maintenant de préserver cette identité linguistique afin de participer au rapprochement des peuples et à la construction de la paix.
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