
La nouvelle a réjoui les enthousiastes du père Béchara Abou Mrad, un prêtre de l’Église grecque-catholique, tenu par beaucoup pour être «le curé d’Ars libanais». La nouvelle, c'est qu'une femme souffrant d’une arthrose aiguë a été complètement rétablie à son intercession, et que le caractère miraculeux de cette guérison a été officiellement reconnu par un comité de sept médecins rattaché à la Congrégation pour la cause des saints du Vatican. La voie est donc ouverte pour la béatification de ce prêtre de l’Ordre salvatorien, déjà proclamé vénérable en 2010 par le pape Benoît XVI.
Décédé en 1930, le père Béchara Abou Mrad était déjà, de son vivant, vénéré pour sa sainteté de vie, sa prière ininterrompue et sa bonté. Au confessionnal, où il lui arrivait de passer douze heures d’affilée, sa science des âmes faisait merveille. En signe de révérence, sa dépouille mortelle, régulièrement visitée depuis par beaucoup de fidèles, est encastrée dans l’un des murs de l'église du couvent du Saint-Sauveur (Deir el-Moukhalles, Joun, nord de Saïda). Sainte, dans un lieu saint.
La guérison miraculeuse en question est celle de Thérèse Skaff Asmar. Elle remonte à 2009. Souffrant d’une arthrose de quatrième degré, la miraculée avait sollicité l’intercession du père Béchara Abou Mrad dans des circonstances assez fortuites. Elle était tombée sur une brochure qui parlait de lui, en fouillant dans un tiroir à la recherche d’un livret de piano que lui réclamait sa fille. Le caractère miraculeux de sa guérison a été établi en date du 27 mars 2015. La guérison a été «directe, complète et permanente», assure l’archimandrite salvatorien Mtanios Haddad, postulateur de la cause. Par directe, l’Église signifie qu’elle est directement liée à l’intercession d’un saint particulier, et non vaguement sollicitée.
Né en 1853 à Zahlé, la grande ville chrétienne de la Békaa, le père Béchara Abou Mrad, de son nom de baptême Salim Jabbour Abou Mrad, avait 7 ans quand ses parents durent fuir les massacres de 1860 et se réfugier au Kesrouan. Le danger passé et de retour à Zahlé, sa vocation religieuse naissante fut d’abord contrariée par son père, qui envisageait pour lui un avenir dans le commerce. C’est à sa mère qu’il dut de pouvoir, en 1874, à 21 ans, entrer dans l’Ordre basilien du Très Saint-Sauveur. Encore se fit-il prier pour devenir prêtre, s’estimant indigne de cet honneur, et prier de nouveau pour prendre charge d’âme et accepter d’entendre des confessions.
Infatigable marcheur
Son parcours religieux comprend trois temps: il est d’abord, malgré son jeune âge, confesseur et directeur spirituel au séminaire des Pères salvatoriens. Mais à partir du 8 novembre 1892, il est chargé d’une immense paroisse, celle de Deir el-Qamar. À cette époque, il n’y avait ni routes, ni voitures, mais des sentiers muletiers et des voies en terre battue. Cette décision en fit un infatigable marcheur entre la grande ville chrétienne du Chouf et les villages et hameaux qui en dépendent (Benouiti, Smar Jbeil, etc.). Trente années durant, il sillonnera inlassablement, et par tous les temps, les vallées entourant Deir el-Qamar, officiant, écoutant les confessions, rendant visite aux malades, ouvert à tous, égrenant son rosaire par monts et par vaux, au point que les plus familiers qui accompagnaient sa marche lui demandaient parfois de leur faire grâce de cette interminable récitation. En 1922, en raison de son âge, il est relevé de cette tâche écrasante et nommé prêtre à la cathédrale de Saïda, où il se constitue prisonnier du confessionnal. Il meurt au couvent du Saint-Sauveur en 1930, entouré de l’affection de ses frères.
Ses dernières années, à Deir el-Qamar, furent marquées par les épreuves de la Première guerre mondiale et de la famine qui affecta les villages du Liban, sous l’action conjuguée du blocus naval des côtes libanaises et de la confiscation des produits des récoltes par l’armée ottomane. Mangeant d’ordinaire moitié moins que ne le fait un homme normal, il se privait parfois de ce nécessaire pour sauver de la famine des villageois sans ressources. À sa mort, il ne tenait plus sur ses pieds, tant sa discipline de vie l’avait affaibli.
Il prit congé de ce monde le jour qui précède le dimanche d’ouverture du Grand Carême de l’année 1930. Ce jour est consacré au souvenir des morts. Dans la nuit, n’ayant plus mangé ni bu depuis cinq jours, le père Béchara Abou Mrad donna des signes d’impatience, jetant des regards au réveille-matin posé sur une étagère, comme un homme qui a rendez-vous et qui compte les minutes. Comme beaucoup de saints et de saintes, il faut présumer qu'il avait été averti du jour et de l'heure de son départ. Autour de lui, ses frères moines et prêtres accompagnaient son agonie, enchaînant à tour de rôle litanies et prières liturgiques. Il s’endormit au lever du jour.
Intercesseur des couples stériles
Pour ses contemporains, l’héroïcité des vertus de Béchara Abou Mrad ne faisait aucun doute. Elle éclatait dans tous les gestes et moments de sa vie, à la chapelle comme au réfectoire, à la cellule ou sur les routes. Les années de pénitence avaient fini par lui rendre justice: son corps était très affaibli, mais sa prière était entendue. À son intercession, des mourants s’étaient rétablis, des enfants naissaient à des couples stériles, il pleuvait après une longue période de sécheresse, de lourdes portes fermées à clé s’ouvraient toutes seules. Parmi les guérisons obtenues à sa prière figure celle du fils du gouverneur (Moutasarref) ottoman de Beiteddine. Comme saint Charbel, il pria et envoya son souffle sur un verre d’eau, avant de le donner à boire à un patient souffrant de la fièvre typhoïde, qui s’en trouva bien.
La plus grande discrétion entourait ces prodiges. Ainsi, c’est après sa mort que l’épisode de l’ouverture miraculeuse de la porte d’une chapelle fermée à clé a été connu. Le seul témoin de ce prodige avait juré de n’en rien dire de son vivant. Selon ce témoin, c’est par trois fois que le prêtre, tout en récitant tranquillement son rosaire, avait posé la main sur la porte close dont on avait oublié d’apporter la clé. La troisième fois, avant même qu’il ne la touche, la porte s’était entrebâillée. Il avait attribué ce signe à la bonté de la Sainte Vierge.
Maintenant qu’un miracle obtenu à son intercession, a été authentifié médicalement, il ne lui manque plus en principe au père Béchara Abou Mrad que d’ultimes vérifications d’orthodoxie théologique pour être béatifié. Toutefois, un retard dans le procès de béatification pourrait survenir, pour des raisons de procédure, telles que les délais de transmission des conclusions de la commission médicale, la quantité de dossiers qui parviennent à la Congrégation pour la cause des saints, la fréquence des réunions de celle-ci (deux fois par an), puis la transmission de ses conclusions au pape, avec les impondérables que cela comporte en raison de son emploi du temps. La procédure passe aussi par l’ouverture de la tombe du prêtre, les règles voulant que le Vatican conserve des reliques des bienheureux et saints dont il autorise le culte. Quoi qu’il en soit, même compte tenu de ces aléas, le père Mtanios a bon espoir d’obtenir, pour le père Abou Mrad, une exception de forme prévue par le règlement: une priorité touchant les premiers cas soumis par une congrégation. La cérémonie de béatification se tiendrait éventuellement au Liban et probablement au couvent du Saint-Sauveur.
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