Les développements qui ont ébranlé lundi dernier l’Irak ne sont pas sans rappeler, à certains égards, la situation qui prévaut depuis plusieurs années au Liban. Deux pays aux réalités macro-politiques différentes, certes, mais qui partagent des points en commun et, surtout, un même enjeu stratégique…

C’est à la suite de la décision d’un chef religieux irakien de faire acte d’allégeance au wali el-faqih (le Guide suprême de la République islamique iranienne) que Moqtada Sadr a annoncé avec fracas sa décision de se retirer de la vie politique – c’est la huitième fois qu’il le fait en plusieurs années – pour dénoncer les tentatives de diviser encore davantage les rangs chiites en Irak. Ce coup de théâtre a provoqué un ouragan populaire, les masses du courant sadriste se rendant maîtres rapidement des places publiques de la capitale et de certaines grandes villes, prenant d’assaut des institutions officielles ainsi que le siège d’une formation pro-iranienne à Bagdad qui a été incendié dans le feu de l’action. Indice significatif du sentiment de la rue, les portraits de l’un des principaux anciens dirigeants des pasdarans iraniens, Qassem Souleimani (tué par les Américains) étaient arrachés et brûlés.

Ces développements, accompagnés d’accrochages sanglants dans plus d’une ville, étaient dans une large mesure prévisibles. Et pour cause: Moqtada Sadr, porte-étendard du vaste courant chiite irakien opposé à l’influence iranienne, et soutenu par l’ayatollah Sistani, chef suprême de la communauté chiite en Irak, a été privé de sa victoire aux dernières élections législatives. Optant pour un scénario "à la libanaise", les formations inféodées à Téhéran devaient rejeter les résultats du scrutin, allant jusqu’à bloquer le fonctionnement des institutions constitutionnelles pour tenter d’imposer à Moqtada Sadr un gouvernement qui ne tienne pas compte du verdict des urnes, sous prétexte que la situation nécessite la formation d’un cabinet "d’union nationale". Les suppôts du régime des mollahs de Téhéran s’obstinant dans leur entreprise de blocage des institutions, Moqtada Sadr devait annoncer sa décision de recourir à la rue pour s’opposer à la tentative d’hégémonie iranienne – dont l’un des objectifs est de soumettre l’instance religieuse irakienne de Najaf pour valoriser celle de Qom, en Iran.

C’est là qu’apparaît l’enjeu commun qui se joue en Irak et au Liban: l’affranchissement de la tutelle iranienne, et le combat contre les formations locales qui se font l’instrument de la République islamique. Force est de relever à ce propos  que le comportement de la coalition chiite irakienne inféodée à Téhéran est pratiquement calqué sur la stratégie suivie par le Hezbollah au Liban depuis des décennies : rejet ou court-circuitage, manu militari, des élections lorsque les résultats ne sont pas en phase avec la "raison d’Etat" des pasdarans ; et, comme conséquence, blocage des institutions constitutionnelles pour empêcher le camp adverse, souverainiste, de gouverner seul, en prenant pour prétexte les impératifs de "l’entente nationale".

La réaction de la coalition pro-iranienne à la victoire remportée par Moqtada Sadr aux élections et l’obstination à imposer la formation d’un "gouvernement d’union" pour barrer la route au camp souverainiste mené par le leader chiite, rappellent (sans grande surprise) la "riposte" du Hezbollah après le scrutin législatif de 2009 remporté par le 14 Mars.

Les semaines et les mois à venir permettront de déterminer si le recours à la mobilisation populaire permettra au leader irakien chiite de faire barrage réellement à l’expansionnisme des pasdarans. Au Liban, la question qui se pose avec acuité est de savoir si une telle option est aujourd’hui envisageable, et surtout efficace, comme elle le fut lors de la Révolution du Cèdre, en 2005. Rien n’est moins sûr. Dans le contexte présent, une autre carte pourrait être jouée à court terme: celle de la présidentielle. Elle nécessite, cependant, que le Conseil constitutionnel soit autre chose qu’un simple instrument manipulé par le Hezbollah pour inverser les résultats des élections de mai dernier. Elle implique aussi de mettre un terme à l’enfantillage politique que manifeste malencontreusement une poignée de parlementaires.

Faire face au diktat iranien: pari difficile, certes… Mais impossible n’est pas français. Surtout en politique… Et surtout au Liban. L’Histoire récente et ancienne l’a bien prouvé.