L’Irak était à deux doigts de plonger dans un conflit sanglant si le leader chiite Moqtada Sadr n’était pas intervenu pour demander à ses partisans de mettre fin à leur mouvement de protestation dans les rues de Bagdad. Les affrontements des 29 et 30 août qui ont transformé la Zone verte de la capitale irakienne en un champ de bataille menaçait du pire, mais l’appel mardi du leader chiite irakien à ses partisans a mis fin aux violences qui auraient fait basculer le pays dans le chaos.

L’éruption de la violence qui a suivi l’annonce faite lundi par Moqtada el-Sadr de son retrait de la vie politique a été précédée d’informations sur une mobilisation au niveau des forces alliées à l’Iran, notamment les partisans du " Cadre de coordination " en Irak (une coalition qui regroupe des factions chiites pro-iraniennes, proches de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et du Hezbollah au Liban). Cette mobilisation est intervenue dans un contexte de relations tendues entre Moqtada el-Sadr et Ismail Qaani, chef de la brigade al-Qods (relevant des Gardiens de la révolution iranienne), qui a remplacé le général Qassem Souleimani, liquidé par les États-Unis, le 3 janvier 2020.

Selon certaines informations, l’atmosphère de la dernière rencontre entre le général iranien et le leader chiite, qui n’a duré qu’une demi-heure, était extrêmement tendue, et s’est terminée à la demande de ce dernier. Plus tard, le quotidien arabe basé à Londres " Asharq al-Awsat " a rapporté qu’à la mi-août, quatre chefs de factions chiites ont tenu une réunion à Bagdad avec deux cadres des Gardiens de la révolution iranienne et du Hezbollah qui ont écouté attentivement "les hypothèses" de leurs hôtes au sujet "de la forme que prendra une confrontation armée avec le courant de Moqtada Sadr, à commencer par l’expulsion des partisans de ce dernier de la Zone verte, en passant par des affrontements ciblés à Bagdad et dans d’autres villes" irakiennes.

Ce n’était pas la première fois que le Hezbollah intervenait en Irak, a confié à Ici Beyrouth un ancien ministre chiite qui a été à la tête d’importants ministères au Liban et qui a suivi la montée en puissance de la formation pro-iranienne, à partir des années 1990. Selon lui, ces interventions se sont multipliées depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003. Elles ont atteint leur apogée au cours des quelques années qui ont précédé le meurtre du général Soleimani. L’ancien ministre chiite a attiré l’attention dans ce contexte sur le rôle passé et présent en Irak, de Mohammad Kawtharani, un haut responsable religieux du Hezbollah. Il y a trois ans, raconte-t-il, ce dernier avait contribué, en coordination avec le général Soleimani, à la répression sanglante du soulèvement populaire irakien, qui a immédiatement suivi la révolution d’octobre de 2019 au Liban. Ce qui s’est passé ces derniers jours au centre de Bagdad a été en définitive une réédition du scénario d’il y a trois ans Irak. Et cela, Moqtada el-Sadr l’a tout de suite compris et s’est empressé d’appeler ses partisans à se retirer de la Zone verte afin d’éviter un bain de sang.

Des proches du Hezbollah au Liban présentent Mohammad Kawtharani comme un coordonnateur et un trait d’union entre cette formation et les différentes forces en Irak. Son nom figure sur la liste américaine des individus frappés de sanctions et sa tête est mise à prix, depuis que Washington a fait assassiner Qassem Soleimani. L’Administration américaine a promis une récompense à quiconque lui fournira des informations à son sujet.

Quoi qu’il en soit, l’épreuve sanglante à laquelle l’Irak a été confrontée ne semble pas terminée. La dernière apparition de Sadr au cours de laquelle il avait appelé ses partisans à lever leur sit-in au centre de Bagdad et les propos qu’il a tenus révèlent qu’il s’attend à un agissement quelconque de ceux qu’il a appelés les milices et de leurs responsables, en référence au rôle de certains partis affiliés à Téhéran. Parallèlement, les médias iraniens faisaient assumer au leader chiite la responsabilité des événements en Irak. Parmi ces médias, la chaîne télévisée Al-Aalam qui, par la voix de l’un de ses analystes, a interprété " le retrait de Moqtada el-Sadr de la vie politique comme un signe donné à ses partisans pour qu’ils agissent à leur guise ". L’analyste politique a dit ne pas s’attendre à un retour au calme " en raison des incursions dans des propriétés publiques et privées " et a pointé du doigt " des forces occultes qui déstabilisent l’Irak ".

Quid du rôle du Hezbollah ? Selon l’ancien ministre chiite, du moment que cette formation relève directement de la Brigade al-Qods, qui relève des Pasdaran, elle est tenue d’intervenir dans les régions que son commandement iranien considère comme une zone d’opérations. Il se réfère dans ce cadre à des propos tenus par le chef du Hezbollah lui-même, Hassan Nasrallah, qui s’est défini comme " un soldat de l’armée du Wali al-Faqih ", ou plus précisément du guide suprême l’Ayatollah Ali Khamenei.

Il n’en demeure pas moins que de l’avis de cet ancien ministre, la base populaire chiite au Liban est plutôt favorable à Moqtada el-Sadr, qui représente une autorité religieuse importante en Irak. De plus, il est à la tête d’un mouvement politique qui lutte contre la corruption en Irak, un pays qui présente de nombreuses similitudes avec le Liban.

Par voie de conséquence, il n’est pas dans l’intérêt du Hezbollah que le mouvement de Moqtada el-Sadr progresse, voire réussisse. La formation pro-iranienne ne voudrait pas voir son influence s’étendre au Liban. Auquel cas, elle serait obligée d’intervenir, comme elle l’avait fait en Syrie, lorsqu’elle était intervenue, sous les ordres de Téhéran, pour soutenir le régime de Bachar el-Assad face au soulèvement populaire de 2011.

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