Nous, Libanais, vivons déboussolés dans deux pays qui ont en commun le même nom: Liban.  Il y a le Liban des Mayyas, et celui qui entonne "Respect au Mahdi". Nous vivons entre l’enfer tel qu’il a été prévu par le "président fort", et la fascination de centaines de millions de personnes par la créativité libanaise.

La danse chorégraphique du groupe Mayyas sur America’s Got Talent résume notre réalité. Dans ce magnifique tableau s’entremêlent la douleur et la souffrance des Libanais.

La danse des Mayyas a été interprétée de différentes manières, selon chaque Libanais et la tragédie qui l’entoure. Ce tableau incarnait l’image de la femme forte telle qu’affirmée par le chef de la troupe. De plus, elle nous a transportés vers l’image des fumées noire et rouge qui se mélangeaient dans le ciel de Beyrouth le 4 août 2020, lorsque la capitale a été secouée par la plus grande explosion non nucléaire au monde.

Trente-six jeunes femmes libanaises se mouvaient sur une scène américaine, accompagnées d’enchantements et d’une créativité incommensurable, dans un contexte de plus de trente-six crises auxquelles nous faisons face ici au Liban.

L’une des danseuses de Mayyas a déclaré: " Nous portons sur scène l’image du Liban au monde. Cette image est une grande responsabilité. " À sa place, j’aurais probablement dit: " Quelle image du Liban est-ce que j’aimerais transmettre au monde? "

Cette jeune femme n’a peut-être pas suivi hier la chaîne télévisée Al-Manar, dont la direction éditoriale n’est toujours pas au courant qu’une troupe de danse libanaise a ébloui le monde et capté l’attention de millions de téléspectateurs. Le bulletin a débuté avec une information sur le premier vice-président de la République islamique d’Iran, Mohammad Mokhber, suivie d’une glorification de la décision du ministre de la Justice aouniste de nommer un enquêteur judiciaire auxiliaire qui pourrait libérer Badri Daher et ses compagnons. En réalité, la chaîne Al-Manar a des priorités avec lesquelles on ne badine pas. Ne nous arrêtons pas trop sur ce point, car l’image de leur Liban n’a rien à voir avec la créativité théâtrale. Elle se rapporte uniquement aux guerres.

Peut-être que la jeune femme ne se souvient pas non plus de la vidéo du président Michel Aoun qui nous promettait un enfer proche, ou bien encore de la récente conférence de presse du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, que certains ont résumé en quelques mots: "C’est soit moi soit le pays brule." Cette même jeune femme n’a probablement pas vu les vidéos du ministre de l’Énergie, Walid Fayad, tantôt chantant, tantôt lançant des cailloux vers Israël alors que le pays sombre dans l’obscurité totale.

Cette jeune femme porte haut le nom du Liban, qui n’a rien offert à sa troupe à part un message de félicitations de la part de Gebran Bassil sur Twitter. Le chef du Courant patriotique libre a reçu une réponse de l’un des tweeteurs, qui lui a demandé de participer à l’émission comme magicien qui a le don de faire disparaitre complètement l’électricité, lui garantissant une victoire certaine.

Hier, en parcourant les réactions sur les réseaux sociaux de partisans de l’axe de la "moumanaa", l’une nous a particulièrement attiré l’attention. Elle pose la question suivante: "Où se trouve la dignité dans cette danse?"

Certes, la dignité ne se trouve ni dans les files d’attente, ni dans les crises qui s’enchainent, et sûrement pas dans les guerres. La dignité, c’est de vivre dans un seul et même Liban.

Vous trouverez cette dignité également parmi le public du monde entier qui vous encourage lorsque vous brandissez haut le drapeau libanais et l’embrassez. La dignité équivaut à insuffler de la joie et de l’espoir sur tous les visages qui ont regardé le dernier tableau de Mayyas. C’est aussi être fier de son pays quand un jury international déclare que le groupe libanais a fait son entrée dans les pages de l’histoire.

Hier, l’image de cette troupe et de sa danse était un reflet de l’explosion du port de Beyrouth. Une photo publiée par Daniel Georr montrant la troupe d’un côté et la fumée émanant du port de Beyrouth de l’autre, était accompagnée du commentaire suivant: " Les deux facettes du Liban ". Ces quelques mots nous suffisent pour décider quelle image du Liban nous désirons porter à l’étranger!