Beyrouth, 1945. De Gaulle n'est pas loin ...
©Fondation Charles De Gaulle - Liban

Avant d’être le chef de la France libre, le fondateur de la Ve République ou la figure tutélaire du gaullisme, Charles de Gaulle a été un officier en poste au Levant. Il y a vécu, commandé, observé. Le Liban a toujours occupé une place à part dans sa vision du monde. Une relation marquée par l’histoire, la guerre et une certaine idée de la France.

Entre 1929 et 1932, le commandant Charles de Gaulle est affecté au Liban. Il travaille à Beyrouth, au sein de l’état-major, plus précisément au 2e Bureau (les services de renseignement de l’armée française). Il forme des troupes, rédige, analyse, observe. Il découvre aussi un pays pluriel, où cohabitent communautés religieuses, traditions locales et influences étrangères… Ce séjour n’est pas anodin. Il marque profondément sa vision du Levant.

Le 31 juillet 1931, il prononce un discours à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il s’adresse à la jeunesse libanaise, parle d’État, d’institutions, de justice.

«Il vous faudra créer et nourrir un esprit public… Point d’État sans sacrifices.»

Un discours qui résonne encore aujourd’hui. Et qui traduit déjà une conviction: le Liban n’est pas un État comme les autres. Il est, à ses yeux, un laboratoire d’équilibre, un modèle de coexistence. Plus tard, il dira: «C’est le seul lieu du monde où islam et chrétienté ont réussi une convivialité que ses institutions politiques favorisent.»

Une vision complexe de l’indépendance

En novembre 1941, au nom de la France libre, le général Catroux proclame l’indépendance du Liban. Mais celle-ci ne devient effective qu’en 1943. Et les troupes françaises restent présentes jusqu’en 1946.

La position de Charles de Gaulle vis-à-vis de cette indépendance est souvent perçue comme ambivalente. Il la reconnaît, sous pression britannique et internationale, mais il entend maintenir un lien étroit entre les deux pays.

«De Gaulle reconnaissait l’indépendance, mais pas comme une rupture», explique Georges Nour, président de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine du général de Gaulle au Liban. «Il la concevait comme une indépendance encadrée, dans laquelle la France continuerait à jouer un rôle actif.»

Ce rôle s’exprime par la langue, l’éducation, la francophonie, les liens religieux, les accords militaires. Le Liban reste, pour lui, un point d’ancrage dans la région.

Il voyait également dans la diversité du pays une force stratégique. «Il estimait que la capacité des Libanais à coexister, à commercer, à négocier, les rendait indispensables dans un Proche-Orient en mutation», ajoute Georges Nour.

Une guerre dans la guerre

Avant la reconnaissance de l’indépendance, une autre page marque la présence française au Liban: la campagne de Syrie et du Liban, en 1941. Pendant plus d’un mois, les troupes fidèles à Vichy s’opposent aux Forces françaises libres de De Gaulle épaulées par les Britanniques.

Cette bataille entre deux France, sur le sol libanais, laisse des traces. Et en mai 1945, alors que l’Europe fête la victoire contre l’Allemagne nazie, des tensions persistent sur place. Certains témoignages évoquent des affrontements, des répressions et des heurts entre soldats français.

Mais dans la mémoire gaullienne, ces événements occupent une place marginale.

«On parle plus souvent du rôle du général dans la reconnaissance de l’indépendance que des tensions qui ont suivi», reconnaît Georges Nour.

La Fondation Charles de Gaulle préfère insister sur le rôle du général comme garant de la souveraineté des nations. Et sur sa volonté de maintenir un lien durable, mais respectueux, entre la France et le Liban.

Une politique arabe en construction

Plus tard, dans les années 1960, De Gaulle élargit sa vision à l’ensemble du monde arabe. Il s’éloigne alors de l’alignement automatique avec les États-Unis, développe une politique de dialogue avec les pays arabes, critique la politique israélienne après 1967 et se positionne en médiateur entre blocs.

Cette orientation renforce son image dans la région. Et, au Liban, elle trouve un écho particulier. Car le général n’a jamais cessé de considérer ce pays comme un lieu d’équilibre, de culture et de potentiel.

Aujourd’hui encore, son nom résonne dans les rues, sur les façades, dans les souvenirs. Mais pour certains, cette mémoire va bien au-delà des hommages symboliques: «Charles De Gaulle est une Nation, et non un aéroport, une place, une rue ou une avenue», insiste Georges Nour, président de la Fondation CDG. Une manière de rappeler que son legs ne se résume pas à des noms gravés sur des plaques, mais à une vision stratégique, une présence durable et une philosophie politique.

Au-delà du mythe, c’est cette histoire précise, cette relation directe, cette présence de plusieurs années (militaire, diplomatique, symbolique) que cet article a voulu retracer. Non pas pour figer une image, mais pour comprendre une trajectoire. Celle d’un homme, d’une époque et d’un lien entre deux nations.

Chronologie – La campagne de Syrie au Levant (1941)

• 8 juin - 12 juillet 1941: Le Levant devient un champ de bataille entre les Français de Vichy et ceux de la France libre.

• 8 - 13 juin: Les Australiens entrent au Liban par Tyr. Premiers combats à Saïda et Marjayoun.

• 21 juin: Damas est déclarée ville ouverte.

• 9 juillet: Damour tombe, ouvrant la route vers Beyrouth.

• 14 juillet: Signature de l’armistice. Les soldats de Vichy doivent choisir: rentrer ou rallier la France libre.

Sources: Paul Gaujac, Maurice Albord, J. Le Corbeiller, Éric de Fleurian - (Les Tirailleurs)

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