Cette mesure marque la première intégration formelle de combattants blessés du Hezbollah dans le système national civil de protection sociale.
Le Liban fait face à un fort retour de flamme diplomatique après la décision du ministère des Affaires sociales (MoSA) d’étendre les allocations de handicap, financées par l’État et les bailleurs internationaux, aux milliers de combattants du Hezbollah blessés lors de l’opération israélienne de septembre 2024, qui ciblait ses dispositifs de communication.
Ce que le ministère présente comme une dérogation humanitaire est désormais interprété par des diplomates occidentaux et des experts juridiques comme une décision politiquement motivée, susceptible d’enfreindre les lois américaines de lutte contre le financement du terrorisme et de fragiliser l’aide internationale future au Liban.
Cette mesure marque la première intégration formelle de combattants blessés du Hezbollah dans le système national civil de protection sociale.
Une dérogation humanitaire aux conséquences politiques majeures
Dans un communiqué publié le 14 novembre par Al-Liwaa, la ministre des Affaires sociales Hanine Sayyed a affirmé que le ministère continue d’appliquer ses «critères unifiés et fixes» pour l’octroi des cartes de handicap, sans exception dans la classification médicale.
Elle a toutefois annoncé une nouvelle dérogation humanitaire supprimant la limite d’âge pour les personnes blessées lors de l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 ainsi que lors des «explosions de pagers», en référence aux attaques de septembre 2024.
Cette dérogation rend pleinement éligibles les combattants du Hezbollah à l’ensemble du dispositif, qui comprend:
- Une allocation mensuelle de 40 dollars pour la tranche d’âge concernée
- Des soins gratuits ou subventionnés, rééducation spécialisée et suivi médical
- Des exonérations fiscales (foncières, municipales, douanières, immatriculation de véhicules)
- Des exemptions d’examens nationaux
- Des facilités de stationnement et de mobilité
- Des certificats officiels de handicap ouvrant l’accès à des aménagements publics et privés
Le ministère des Affaires sociales avait enjoint les centres pour personnes handicapées et les services sociaux d’accélérer le traitement de tous les dossiers concernés.
Le ministère précise que plus de 400 combattants ont déjà présenté une demande.
Dans un communiqué publié mardi, le MoSA semble être revenu sur sa décision concernant l’octroi de prestations aux combattants du Hezbollah, probablement en raison des pressions américaines, mais l’étendue exacte de ce recul demeurait floue au moment de la publication de cet article.
Un autre ministère amplifie l’impact: couverture hospitalière totale.
Une circulaire distincte du ministère de la Santé (MoPH) ordonne à tous les hôpitaux publics et privés d’assurer une prise en charge à 100% pour les détenteurs de la carte de handicap.
Cela revient à étendre automatiquement et entièrement la couverture hospitalière financée par l’État aux combattants du Hezbollah blessés pendant des opérations militaires, alors que le secteur de la santé libanais s’effondre déjà sous le poids de la dette, de la pénurie de personnel et de l’essoufflement des donateurs.
Lecture politique: un bras de fer au sein du gouvernement
Si le MoSA qualifie la décision de mesure humanitaire, de nombreux observateurs libanais y voient un message politique calculé.
L’analyste Elie Khoury déclare à Ici Beyrouth: «La décision de la ministre a deux objectifs: tout d’abord, c’est la manière dont le président du Parlement Nabih Berri exprime son agacement face à la pression américaine accrue; ensuite, c’est une démonstration que le duopole peut encore imposer sa volonté au sein du Cabinet.»
Il ajoute, à propos du Hezbollah et de ses alliés: «Inclure des membres de l’axe [de la résistance] dans le gouvernement n’était pas l’idée la plus judicieuse qui soit. C’est une énième occasion manquée qui démontre à quel point elle l’était.»
La décision est largement perçue comme:
- Une démonstration de force du Hezbollah et du mouvement Amal,
- Une affirmation délibérée que les pressions étrangères ne dictent pas les décisions du Cabinet,
- Une preuve supplémentaire de l’influence de l’“axe de la résistance” sur des ministères clés.
Risque juridique: possible violation des lois antiterroristes américaines
Des experts juridiques américains alertent sur une possible violation majeure. «Si le gouvernement libanais accorde des allocations de handicap aux combattants du Hezbollah, l’argument juridique peut considérer qu’il s’agit de financement d’une organisation terroriste, en violation de la loi américaine», avertit Hagar Chemali, ancienne responsable au département du Trésor.
«L’on pourrait faire valoir l’argument juridique selon lequel cela constituerait un financement du terrorisme en violation de la législation américaine, — une décision susceptible d’avoir de lourdes répercussions sur les aides américaines (et européennes) au Liban », a déclaré Hagar Chemali, ancienne directrice pour la Syrie et le Liban au Conseil de sécurité nationale des États-Unis.
L’analyste a expliqué que «si un gouvernement accepte une aide américaine tout en versant simultanément de l’argent à toute personne liée à une organisation terroriste désignée par les États-Unis, cela reviendrait à dire que des dollars américains parviennent in fine aux membres de cette organisation, ce qui est interdit par la loi américaine. Même si le gouvernement libanais soutient que ces fonds proviennent d’une autre enveloppe, l’argent reste fongible».
Selon Chemali, la décision du Liban était politiquement inopportune, indépendamment du risque juridique, car elle «rendrait difficile pour les parlementaires américains de défendre la poursuite de l’aide au Liban, sachant que des fonds pourraient potentiellement parvenir à des combattants du Hezbollah».
«Espérons que cette ministre se ressaisira, qu’elle fera preuve de discernement et reviendra sur cette décision», a-t-elle ajouté.
Pourquoi les bailleurs sont inquiets:
- Détournement de programmes financés par les donateurs
Les programmes d’allocations du MoSA sont financés par:
• Les États-Unis,
• L’Union européenne,
• Le PNUD, l’Unicef, et d’autres.
Inclure des combattants du Hezbollah pourrait violer les conditions des bailleurs, compromettre la neutralité du dispositif et potentiellement entraîner des sanctions.
- Reclassification de combattants en victimes civiles
Le MoSA a assimilé les combattants du Hezbollah blessés aux victimes de l’explosion du port de Beyrouth; une comparaison hautement sensible qui efface la distinction entre:
- des civils touchés par un drame national, et
- des combattants blessés lors d’opérations menées sous la houlette de l’Iran.
- Décision unilatérale sans consensus gouvernemental
La décision a été prise sans l’approbation du Cabinet et sans concertation préalable avec les bailleurs, révélant de profondes vulnérabilités en matière de gouvernance.
- Renforcement du réseau clientéliste du Hezbollah
En accédant aux fonds publics et internationaux, le Hezbollah peut réallouer ses ressources propres vers des objectifs militaires ou politiques, tout en accroissant son influence à travers ces prestations sociales.
Réactions américaine et européenne
Selon des sources diplomatiques, Washington prévoit une mise en garde formelle à la ministre Sayyed, en s’appuyant sur plusieurs régimes de sanctions:
- Global Magnitsky (corruption)
- Executive Order 13224 (financement du terrorisme)
- Executive Order 13441 (souveraineté libanaise)
Les États-Unis, l’UE et plusieurs agences onusiennes coordonnent actuellement pour persuader Beyrouth de suspendre ou d’annuler la décision.
Un test pour les affirmations de souveraineté du Liban
Le Liban affirme vouloir renforcer l’État et réduire l’influence des milices.
En étendant des prestations civiles à des combattants du Hezbollah, il accentue au contraire la porosité entre institutions étatiques et acteurs armés non étatiques.
Les risques à long terme sont clairs:
- Suspension ou réduction drastique de l’aide extérieure.
- Perte de confiance dans le système de protection sociale.
- Remise en cause croissante de la neutralité de l’État.
La décision d’accorder des allocations de handicap aux blessés du Hezbollah lors des «explosions de pagers» dépasse largement le cadre d’une simple dérogation humanitaire: c’est un acte de défi politique, un risque juridique et une erreur stratégique susceptible de compromettre la principale bouée de sauvetage du pays, à savoir, le soutien international, à un moment où le Liban en a plus que jamais besoin.
À moins d’être annulée, la décision pourrait durablement dégrader la relation du Liban avec ses bailleurs de fonds, à un moment où le pays peut le moins se le permettre.




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