Hymnes et musique syriaque maronite
Dans un retour aux sources, pour sauver l’humain qui est en nous, notre héritage millénaire, et un Liban agonisant, une jeune moniale s’était consacrée au chant syriaque, à la spiritualité maronite, à la musique en général et à la beauté comme valeur absolue. Pour cela, sœur Marana Saad a fondé plus récemment Philokalia, un terme que le syriaque vient emprunter au grec, et qui signifie «amour de la beauté».

À la sortie d’un récital maronite en langue syriaque, les spectateurs sont surpris d’avoir ressenti les mots et la spiritualité au plus profond de leur être, et d’avoir éprouvé des sentiments avec plus de force que s’il s’agissait d’une autre langue. Ils se demandent alors comment un vocable qu’ils ne comprennent pas est en mesure de les envahir avec plus d’intensité qu’une langue enseignée dans leurs écoles. Le syriaque est à la source de la spiritualité maronite et il l’a également été pour les autres Églises antiochiennes. Cette langue, même dénigrée, est restée dans notre quintessence. Elle parle à notre esprit et étanche notre soif du spirituel.

Sœur Marana Saad. © Amine Jules Iskandar

Un patrimoine vivant

Les hymnes chantés remontent aux IVᵉ-Vᵉ siècles avec Saint Éphrem et Saint Jacques de Saroug. Elles ont accompagné la naissance du christianisme oriental, son développement et son enracinement dans cette terre. Elles sont porteuses de la plus haute antiquité cananéenne, araméenne et mésopotamienne. Elles sont les garantes de la survie de cet héritage inestimable qui continue à raisonner encore sous les voûtes de nos églises et dans les processions paroissiales. Eugène Roger, Jean de la Roque, Laurent d’Arvieux, Volney, Gerard de Nerval, Alphonse de Lamartine, Henri Lammens, Ernest Renan, et tant d’orientalistes et de missionnaires ont parlé de ces hymnes syriaques chantés dans les églises et les chapelles et qui maintiennent vivante cette langue porteuse d’une culture et d’une spiritualité spécifique.

Si l’école s’est désistée de son devoir national qui consiste à transmettre la culture et l’héritage, si l’Église a failli à sa mission dans la transmission de cette valeur, c’est le chant syriaque qui incarne la continuité avec un passé fondateur de la spécificité, de la personnalité et donc du sens de l’existence. Ces hymnes syriaques forment un patrimoine vibrant et vivant.

Sculpture comportant «Philokalia», inscrit en lettres syriaques dans un vitrail, et l’hymne maronite «Glorifiez le Seigneur», gravé dans la pierre. © Amine Jules Iskandar

Le trésor

La forêt du chant syriaque est un univers, un vaste trésor. C’est d’ailleurs ainsi qu’est désigné son répertoire connu comme Beit Gazo: le trésor. «Le haut Moyen Âge est à peine l’Occident, c’est la forêt d’un Orient qui connaît les chants syriaques avant de recevoir les chapes byzantines», dirait encore André Malraux. Du Souguito (octosyllabique) au Yaacouboyo (dodécasyllabique) en passant par le Éphremoyo (mettre de Saint Éphrem); et du Qolo pshito (ton simple) au Qolo nguido (ton long) en passant par le Qolo yawnoyo (grec), nousroto (mélodique), Afifo (deux alléluias), piosto (invitant), etc., c’est une profusion de créativité musicale venue du fond des âges, qui anime encore toutes les paroisses du Liban et qui maintient cette montagne en vie par-delà tous ses calvaires.


Dans un retour aux sources, pour sauver l’humain qui est en nous, notre héritage millénaire, et un Liban agonisant, une jeune moniale s’était consacrée au chant syriaque, à la spiritualité maronite, à la musique en général et à la beauté comme valeur absolue. Pour cela, sœur Marana Saad a fondé plus récemment Philokalia, un terme que le syriaque vient emprunter au grec, et qui signifie «amour de la beauté». C’est une école d’art et un institut de musique, mais aussi une école culinaire et un monastère ouvert à la société. On y enseigne autant la peinture que la théologie, aussi bien l’oud ou le violon que la batterie ou la guitare électrique. On y peint aussi bien des icônes que de l’art moderne, cubiste ou abstrait. Son monastère-école est une ruche de vie où, entre philanthropie et philocalie, le cœur du Liban continue de battre, de nous émouvoir et de nous émerveiller.

Manuscrit syriaque.

La triade maronite

Sœur Marana a redécouvert à la source du maronitisme, une triade infaillible qui avait érigé les communautés de Beit-Moroun en peuple constamment tourné vers le progrès. C’est une recette magique qui lui a permis de traverser les siècles et les génocides, et de survivre aux empires qui ont tenté de le supprimer. Cette triade est formée par la complémentarité entre l’Église, le monastère et la société, qui chez les maronites, constituent trois réalités indissociables, nous dit sœur Marana.

L’Église maronite s’est construite sur un ensemble de monastères gérant chacun une communauté ou un regroupement de villages. Le couvent, toujours ouvert aux fidèles, forme l’école, l’hôpital, la ferme, le champ et le refuge. Les moines complètent leur vie monacale en servant le peuple. Contrairement à d’autres traditions monastiques qui cherchent à s’isoler du monde, la tradition maronite «unit ensemble la vie érémitique, la vie monastique et la vie d’apostolat, dans la personne du moine qui unit lui-même dans son cœur l’Église, le monastère et la société, ayant pour but de vivre en recherchant son propre salut et le salut du monde pour la gloire de Dieu», écrit sœur Marana dans sa thèse doctorale.

Les fils du pacte

Celle dont le prénom (Marana) signifie en syriaque «Notre Seigneur», se reconnaît elle-même comme bat qyomo (fille du pacte), en référence aux premiers moines maronites connus comme bnay qyomo (fils du pacte). Ce terme rappelle aussi étrangement la forme bnay qyomto (fils de la Résurrection) par laquelle se désignaient tous les chrétiens, clercs ou laïcs. Les maronites ont été plus particulièrement enclins à cette dénomination relative à leur capacité à se redresser après chaque cataclysme tels que les deux génocides perpétrés par les mamelouks puis par les ottomans.

Bat qyomo fait revivre aujourd’hui sa langue et son patrimoine syriaque. Elle refuse de les voir restreints aux musées. À partir de sa chorale de sainte Rafqa, elle a monté Philokalia, le monastère-école, la maison ouverte à tout le monde. Elle est consciente de l’importance de la mission de l’Église à laquelle elle appartient. L’activité apostolique est, en effet, une caractéristique essentielle du monachisme maronite. Lorsque pour des raisons techniques, le monastère ne pouvait plus contenir l’université ou l’hôpital, il en a bâti, développé et géré. Les moines et moniales doivent aller vers la société dont ils sont issus, et leurs couvents sont appelés à accueillir le peuple qui leur insuffle leur raison d’être.  Philokalia, fondé en 2019 avec l’effondrement du Liban, est un énième défi lancé par le monachisme maronite qui a fait le choix de la vie et de l’excellence par-delà tous les obstacles.

Inscription syriaque.
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