Les ingérences politiques dans le dossier de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, ont atteint cette semaine un nouveau pic. Après les multiples tentatives de recours présentées contre Tarek Bitar, premier juge d’instruction chargé de l’enquête, pour le dessaisir du dossier, le blocage des permutations judiciaires et le recours à la rue le 14 octobre dernier (manifestation armée de l’axe de la moumanaa qui a dégénéré à Tayyouné, NDLR), l’exécutif a trouvé une nouvelle méthode pour empêcher que vérité soit faite, mais aussi pour permettre la libération des détenus proches du gendre présidentiel, notamment Badri Daher, directeur général des douanes.

Mardi dernier, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a approuvé la proposition d’Henry Khoury, ministre sortant de la Justice, proche du camp présidentiel, de nommer un juge suppléant à Tarek Bitar. Selon nos confrères d’al-Modon, huit noms circulent, dont plusieurs connus pour leurs liens avec le Courant patriotique libre (CPL), le parti du président de la République: Samaranda Nassar, Nicolas Mansour, Roland Chartouni, Fadi Oneissi, Samer Lichaa, Samer Younes, Bassam el-Hajj et Roula Othman.

Toujours selon al-Modon, Samaranda Nassar serait proche de Claudine Aoun, fille du président, et de May Khreich, vice-présidente du CPL. Nicolas Mansour, premier juge d’instruction du Mont-Liban, a été nommé par le camp présidentiel lors des dernières permutations judiciaires. L’adhésion de Roland Chartouni au CPL est un secret de polichinelle et le camp présidentiel l’avait fortement défendu en 2016 lorsqu’il avait été déféré devant le conseil de discipline. Quant au juge Samer Younes, c’est la troisième fois que son nom est avancé pour prendre en charge ce dossier: le CSM avait refusé de le nommer juge d’instruction en août 2020 et février 2021. Enfin, le juge Fadi Oneissi, proche des Forces libanaises, a d’ores et déjà refusé catégoriquement d’être suppléant, affirmant ne pas vouloir prendre la place du juge Bitar et "ne pas croire à une enquête menée par deux juges d’instruction".

L’enquête sur l’explosion au port est bloquée depuis octobre 2021, non seulement à cause des recours présentés contre le juge Bitar, mais parce que l’assemblée plénière de la Cour de cassation, qui est l’autorité compétente pour statuer sur une partie de ces recours, s’est retrouvée paralysée avec le départ à la retraite d’un de ses membres. Ce départ avait provoqué un défaut de quorum qui perdure à ce jour. Et pour cause: le décret de nominations de nouveaux magistrats, censé remédier à cette faille, est toujours bloqué au ministère des Finances, le ministre sortant, Youssef Khalil, proche du mouvement Amal, refusant de le signer.