Au Royaume Uni, une souveraine s’en va mais le Royaume est toujours là bien vivant et, surtout, cimenté par ce que représente la figure du chef de l’État. Au Liban, un mandat présidentiel s’achève péniblement. Le chef de l’État met en garde contre l’imminence de la vacance après lui. Il proclame solennellement qu’il prendrait les mesures qui s’imposent afin de ne pas laisser un supposé vide constitutionnel s’installer sur le fauteuil tant convoité du Palais de Baabda.

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Depuis jeudi nous vivons au rythme des cérémonies qui accompagnent le décès de la Reine Élisabeth II. Les autorités libanaises, par mimétisme démesuré et grandiloquent, décrètent trois jours de deuil national alors que le 4 août 2020 elles n’ont pas eu la présence d’esprit de se solidariser avec le pays ensanglanté et meurtri par le crime de l’explosion sur le port de Beyrouth. Pas une minute de silence, pas une fleur déposée sur les lieux de la tragédie, pas une cérémonie d’hommage ni une seule journée de deuil à la mémoire des victimes et de la capitale libanaise. Rien, absolument rien. Certes on a simplement vu le chef de l’État faire une tournée sur la scène du crime, mains dans les poches.
On demeure frappé par la dignité, la rigueur, la discipline protocolaire, la sincérité de l’émotion du peuple britannique, des reporters et présentateurs de la BBC ainsi que des principaux médias internationaux. Rien de tous ces signes extérieurs du deuil n’a eu lieu au Liban après la catastrophe. Il est vrai que le président français, accouru à Beyrouth le 6 août 2020, avait pris soin de nouer une cravate noire par respect aux morts et aux victimes. Quant aux responsables libanais, des parvenus plébéiens et de vulgaires nouveaux-riches pour la plupart, ils ne songent qu’à faire bonne figure devant la monarchie britannique avec leurs inutiles journées de deuil national. Sans doute, l’un ou l’autre freluquet de Beyrouth, se frotte déjà les mains à l’idée de pouvoir participer à Westminster Abbey aux obsèques de la défunte reine Élisabeth II face aux caméras des médias du monde entier. Ainsi, ils ont l’illusion de se hisser au niveau des grands de ce monde, dont certains membres de lignées dynastiques prestigieuses qui ont fait l’histoire humaine.
La tragédie libanaise reste un crime d’État. Oui l’État libanais est criminel, il est assassin, il est pilleur, bandit, mafieux, car il n’existe plus d’hommes d’État au Liban. Décréter, dans ces conditions, un deuil national par solidarité avec le Royaume Uni, est une insulte abjecte et sinistre à l’égard du peuple libanais de la part d’une vulgaire association de malfaiteurs. Avant de mettre en berne les drapeaux à la mémoire d’Élisabeth II, l’État libanais devrait s’atteler à ne pas étouffer la vérité des crimes, de tous les crimes, qui ont mené le peuple libanais en enfer.
Mais il y a un très grand message politique que les images en provenance du Royaume-Uni adressent aux incompétents responsables du Liban. Ce message est simple, il se formule ainsi : Il ne saurait exister de vide constitutionnel dans l’exercice du pouvoir. Que le régime soit monarchique ou républicain ou impérial, l’unité politique est cimentée par une loi fondamentale ou une Constitution à laquelle tout le monde se soumet, à commencer par le chef de l’État. C’est la Constitution qui crée l’État. La sérénité de la passation de la couronne à Londres a bien montré l’éminente valeur de la fonction du chef de l’État. En théorie et en principe, le chef de l’État est le ciment de la nation, le mortier qui rassemble les briques de la multiplicité pour en faire une unité. Le souverain britannique, en tant que chef d’État, est dépourvu de tout pouvoir. Et pourtant, toutes les nations du Royaume-Uni lui font allégeance comme ciment de leur unité. Le drapeau britannique dit Union-Jack le démontre suffisamment. Au Liban, le chef de l’Etat est supposé avoir le même rôle afin de maintenir la cohésion de l’unité nationale dans un pays aux multiples composantes confessionnelles. Le chef de l’État au Liban occupe, non un trône de despote, mais une éminente position qui transcende les débats politiques.
Et pourtant, le chef de l’État libanais met en garde et proclame solennellement qu’il dénie au gouvernement démissionnaire de Najib Mikati toute légitimité pour assumer l’intérim en cas de vacance du pouvoir présidentiel. Au même moment, il affirme, tout aussi solennellement, qu’il quitterait le Palais de Baabda le 31 octobre prochain tout en assurant qu’il prendrait les mesures adéquates pour qu’un pouvoir légitime puisse assurer l’intérim présidentiel. Les observateurs se perdent en conjectures. Le chef de l’État aurait-il oublié qu’il n’est pas un autocrate mais le sommet de la pyramide institutionnelle, au même titre que le monarque britannique. Le Président libanais a une seule obligation : se soumettre à la lettre de la Constitution et non interpréter cette dernière selon la lecture opportune qui lui sied.
Sans doute la grande leçon que les chrétiens du Liban doivent tirer des images venues de Londres, serait d’accepter de remplacer le fauteuil présidentiel qui remplit les têtes, par un authentique cerveau rationnel. Ils comprendront alors que le " Liban-message " dont ils se gargarisent a pour garant et messager un chef d’État au-dessus de la mêlée politique. À regarder avec émotion les cérémonies britanniques, les chrétiens du Liban doivent s’estimer heureux de ce que les Accords de Taif leur concèdent. Vouloir revenir en arrière est, au mieux, un suicide, au pire un saut dans le néant.