S’il y avait le moindre doute sur une possible instrumentalisation de la colère des déposants face aux restrictions bancaires, canalisée vers un ciblage alarmant des banques, le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, l’a balayé vendredi. " Certaines parties politiques poussent les déposants à ces agissements ", a-t-il affirmé dans l’après-midi, au terme d’une réunion du Conseil central de sécurité, avant d’ajouter : " Je ne peux pas en dire davantage en raison du caractère secret de l’enquête. Nous traitons cette affaire avec sagesse, d’autant qu’il s’agit d’une situation malsaine qui menace la sécurité du pays ".

Le ministre n’avait pas besoin d’en dire davantage. Il suffit de mettre en place tous les morceaux du puzzle pour deviner qui, parmi les forces politiques libanaises, a intérêt aujourd’hui à provoquer un chaos dans le pays, en poussant l’acharnement contre les banques jusqu’à mettre en danger l’ordre public. Bassam Maalaoui a été intransigeant sur ce point, en prenant le temps d’expliquer aux déposants dans sa conférence de presse, qu’ils se laissent exploiter et que les braquages desservent principalement leurs compatriotes qui sont dans la même situation qu’eux mais qui n’auront pas la possibilité d’avoir accès à leurs fonds, par les voies légales, le jour où les banques seront à court de devises.

Toute la journée vendredi, le Liban a vibré au rythme des nouvelles et des rumeurs successives sur des braquages de banques. Jusque tard dans la journée, les forces de l’ordre parlementaient avec des preneurs d’otages dans quatre établissements principalement, dont la Lebanon & Gulf Bank à Ramlet el-Bayda. Au moins six banques avaient été prises d’assaut. À 19h, le braqueur Jawad Slim qui réclamait 50 000 dollars a fini par en obtenir 15 000 qu’il a remis à son frère avant de se rendre aux forces de l’ordre, au bout de six heures de négociations.

Les hold-ups ont commencé le matin. La première banque ciblée a été la Byblos Bank à Ghaziyeh, au Liban-Sud. Un déposant de la famille Korkomaz et son fils, tous deux armés de revolvers, ont obtenu par la force 19.200 dollars après une brève prise d’otages et des menaces de s’immoler par le feu. Ils se sont ensuite rendus aux forces de l’ordre.

Deux heures plus tard, c’est au tour de la branche de la Blom Bank à Tarik-el-Jdidé à Beyrouth, d’être prise d’assaut également par un déposant armé, qui exigeait d’avoir toute son épargne.

La branche de la Lebanon & Gulf Bank à Ramlet el-Bayda a été par la suite attaquée par Jawad Slim, armé d’un fusil de chasse, et qui réclamait 50.000 dollars, alors que selon la chaîne locale MTV, 10.000 dollars seulement étaient disponibles dans la caisse. Au même moment, la Blom Bank à Verdun, la Banque libano-française, à Kafaat, à la périphérie de la banlieue-sud de Beyrouth, étaient également prises d’assaut. Un peu plus tard, c’est la Bank Med à Chhim dans l’Iqlim el-Kharroub, qui était attaquée par un officier des Forces de sécurité intérieure, Karim Serhal. Ce dernier réclamait, sous la menace d’une arme, l’ensemble de son épargne. Il devait l’obtenir en soirée avant de se livrer à la police.

Face à ce chaos, l’Association des banques au Liban, qui a tenu une réunion extraordinaire en fin de matinée, a annoncé une fermeture de tous les établissements bancaires les lundi, mardi, et mercredi prochains, pendant que la banque Byblos annonçait la fermeture, jusqu’à nouvel ordre, de l’ensemble de ses branches au Liban-sud, " afin de préserver la sécurité de ses employés ".

Parallèlement, le ministre sortant de l’Intérieur a présidé deux réunions extraordinaires de sécurité dans son bureau, en présence du directeur des FSI, le général Imad Osman, du chef des services des renseignements, le général Khaled Hammoud, ainsi que de représentants des différents services de sécurité et de la Cour de cassation.

Le principal objectif des deux réunions est de mettre en place un plan pour barrer la route aux pêcheurs en eau trouble, dénoncés par le ministre de l’Intérieur. Ceux-là même qui n’avaient pas hésité à menacer de livrer le pays au chaos au cas où leurs exigences relatives aux deux échéances gouvernementale et présidentielle ne seraient pas prises en compte, et, surtout, qui ont les moyens de leurs menaces.

La question reste de savoir si le ministère de l’Intérieur va neutraliser ces moyens. Depuis dix jours, le groupe Mouttahidoun, qui avait accompagné la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, dans ses incursions rocambolesques de la société Mecattaf en 2021, et soutenu ses campagnes acharnées contre les banques, avait annoncé sur sa page Facebook le lancement d’une opération visant, " au Liban et à l’étranger, les établissements bancaires libanais et leurs PDG ".

Depuis quelques jours, la même page multipliait les provocations contre les banques. Celles-ci étaient accompagnées littéralement d’incitations au meurtre et au désordre, ce qui s’est effectivement traduit par les braquages armés, mettant en danger la vie des employés et des clients des banques attaquées.

Mouttahidoun est passé à la vitesse supérieure vendredi, après avoir revendiqué la responsabilité des attaques contre les banques, dont celle de mercredi, menée par une jeune activiste, Saly Hafez contre la branche de la Blom Bank à Sodeco. La jeune femme voulait retirer la somme de 50 000 dollars pour financer le traitement de sa sœur atteinte d’un cancer.

Au cours d’une conférence de presse, le chef de ce groupe, Rami Alleik, a annoncé qu’avec la fermeture des banques la semaine prochaine, ce sont les demeures de leurs PDG qui vont être prises d’assaut " au Liban et à l’étranger ", dans le cadre d’une opération qu’il a baptisée " le compte à rebours a commencé " et qu’il a située dans le cadre d’une " légitime défense ".  Le ministère de l’Intérieur laissera-t-il faire, surtout que l’avocat a bien précisé sa cible: le secteur bancaire qui est depuis plusieurs mois dans la ligne de mire du camp présidentiel ? Paradoxalement, l’avocat s’est montré plutôt bienveillant avec la classe dirigeante qui, en trois ans de crise, s’est surtout distinguée par le vide abyssal de son potentiel d’initiative, responsable, entre autres, de l’aggravation des difficultés à la fois du secteur bancaire, de la population et de tous les secteurs d’activité au Liban.