Lors des assises sunnites à Dar el-Fatwa, le mufti de la République Abdellatif Deriane a plaidé pour l’élection d’un président qui "ne soit pas la cause ou une partie d’un problème".



Même si elles étaient ouvertes aux seuls députés de la communauté sunnite, les assises de Dar el-Fatwa, organisées samedi sous la houlette du mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, la plus haute autorité religieuse sunnite au Liban, avaient une dimension strictement nationale, mise en relief dans le discours de ce dernier.

Avec la prochaine mise en place d’un nouveau gouvernement – le mufti partage l’optimisme de nombreuses personnalités politiques à ce sujet – et l’approche de l’échéance présidentielle, le chef religieux sunnite a rejoint de nombreuses personnalités politiques parmi celles qui veulent jeter les bases d’une nouvelle gouvernance, à l’antipode de celle qui a prévalu au cours des six dernières années et qui n’a fait qu’accentuer les problèmes économiques et financiers auxquels le Liban était confronté, au point de plonger le pays dans l’abîme. Entouré de la majorité des députés sunnites, le mufti a identifié les principales caractéristiques du nouveau locataire de Baabda, "un grand commis de l’État" et un "homme rassembleur".

D’emblée dans son discours, le cheikh Deriane a précisé que l’objectif de la réunion "n’a rien de communautaire ou de sectaire". "J’ai voulu convoquer ces assises autour d’objectifs nationaux nobles, d’autant que nous sommes partisans de la coopération et de la consultation. Notre pays et notre État sont en danger et nos compatriotes sont dans un état de misère insupportable. Les responsabilités sont communes et j’ai voulu qu’on agisse comme un seul homme et qu’on tienne le même discours pour répondre aux vœux des Libanais, que ce soit au niveau de la formation d’un gouvernement, qui devrait voir le jour bientôt, ou de l’élection d’un chef de l’État", a déclaré le mufti, en insistant sur la coopération dans ce même objectif avec de nombreux autres députés à la Chambre, en allusion plus particulièrement à ceux de l’opposition.

Ses propos se recoupaient en effet avec le discours de celle-ci et pavent la voie à un retour en force de l’interlocuteur sunnite sur la scène locale, après le désengagement politique du chef du Courant Futur Saad Hariri. "La pérennité des États est tributaire de leurs institutions constitutionnelles, notamment de la magistrature suprême", a-t-il affirmé, en expliquant longuement l’importance de la présidence chrétienne au Liban, "symbole de coexistence". Le dignitaire sunnite a lié l’élection d’un nouveau chef de l’État à la nécessité de préserver le système libanais et la réputation du pays auprès des Arabes et des Occidentaux. "Les crises se sont multipliées et intensifiées, l’État s’est affaibli et les institutions se sont paralysées au point que le Liban est presque devenu un État failli et qu’on s’achemine à grands pas vers un non-État. Le monde est sur le point de se désintéresser de nous à cause de la mauvaise gouvernance politique à tous les niveaux", a martelé Abdellatif Deriane, en insistant sur la responsabilité des députés aux niveaux du choix du nouveau président ou du vide à la tête de l’État si jamais le Parlement rate l’échéance présidentielle.

Une liste de qualités

Le mufti a ensuite énuméré les qualités dont le nouveau locataire de Baabda devrait être doté.  Ce dernier doit "préserver les constantes nationales définies par Taëf et la Constitution, la coexistence et la conformité du Liban aux lois internationales pour maintenir notamment sa légalité par rapport aux mondes arabe et occidental", a-t-il dit, en insistant sur le fait que "celle-ci ne doit en aucun cas être dilapidée, quelles que soient les divergences et les divisions politiques".

Le nouveau président, a poursuivi le mufti, "doit mettre fin aux bras-de-fer sectaires artificiels au sujet des prérogatives (entre les pôles du pouvoir et plus particulièrement entre Baabda et le Sérail) et revenir au principe de la séparation des pouvoirs qui préserve le régime, la stabilité et l’entité du Liban". Dans ce contexte, il a mis en garde contre toute atteinte aux prérogatives de la présidence du Conseil, jugeant nécessaire de faciliter la mission du Premier ministre désigné Najib Mikati, pour la mise en place d’un gouvernement doté des pleins pouvoirs.

Le dignitaire sunnite a poursuivi en jugeant que le nouveau président doit aussi être "un grand commis de l’État, aux plans personnel et politique, parce qu’un commis de l’État est dirigé par son éthique professionnelle et son sens des responsabilités", toujours selon le mufti, qui a également préconisé le choix d’une "personnalité sage, intègre, fédératrice et capable de sortir le pays de sa crise en collaboration avec les institutions constitutionnelles".

"Un président ayant ces caractéristiques est indispensable, sinon le système libanais puis l’État seront voués à la disparition", a poursuivi le mufti de la République, qui a conclu en plaidant en faveur de "la cohésion, de l’entente et de l’unité libanaises, loin de toutes tensions, de tous discours ou provocations sectaires". "Nous voulons un président qui ne soit pas une cause ou une partie d’un problème", a-t-il insisté avant de lancer le débat.

Celui-ci s’est tenu à huis-clos. Les participants ont publié au terme de la réunion un communiqué reprenant les grandes lignes exposées par le mufti. Sur les 24 personnalités qui ont pris part à ces assises, 22 se sont rendus à la résidence de l’ambassadeur d’Arabie saoudite Walid Boukhari, où les concertations politiques se sont poursuivies autour d’un dîner.