Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s’est réuni mardi pour poursuivre ses délibérations au sujet de la nomination d’un juge suppléant à Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Il s’agit de la seconde réunion consacrée à ce dossier qui divise. Celle-ci a cependant pris fin sans qu’aucune décision ne soit prise. Les membres du CSM restent apparemment divisés sur deux points: l’opportunité d’une telle démarche et le choix éventuel d’un juge qui plancherait sur les demandes de remise en liberté des personnes détenues dans le cadre de cette affaire.

Contacté par Ici Beyrouth, le bâtonnier, Nader Gaspard, farouchement opposé à cette démarche qu’il juge "illégale" et "en violation du principe de la séparation des pouvoirs", a estimé que le président du CSM, Souheil Abboud, "aurait, depuis notre dernière réunion, changé d’avis au sujet de la nomination d’un juge suppléant". "C’est peut-être pour cette raison qu’aucun juge n’a été nommé" mardi, a-t-il ajouté.

Le 15 septembre dernier, M. Gaspard s’était rendu auprès du président du CSM pour discuter de divers dossiers judiciaires, dont celui de la nomination d’un juge suppléant à Tarek Bitar. Au cours de cet entretien, le président de l’ordre des avocats de Beyrouth avait insisté sur l’illégalité d’une éventuelle nomination d’un remplaçant à M. Bitar pour des raisons qu’il avait longuement exposées dans un mémorandum qu’il avait adressé le 14 septembre au CSM. Dans ce document, Nader Gaspard avait exhorté cette instance à ne pas tenir compte de la demande du ministre sortant de la Justice, Henry Khoury, de nommer un juge suppléant à Tarek Bitar, dénonçant une violation du principe de la séparation des pouvoirs et considérant que cette requête n’avait aucune base légale.

À Ici Beyrouth, le bâtonnier a confié que M. Abboud était favorable à cette nomination "pour des raisons humanitaires" également évoquées par Henry Khoury. Celles-ci, rappelle-t-on, sont liées au maintien en détention d’un groupe de personnes pour les besoins d’une enquête qui reste bloquée, plus de trois ans après son ouverture, à cause d’interférences politiques.

"J’ai cependant insisté sur la primauté de la loi sur les considérations humanitaires", a fait valoir Me Gaspard, en insistant sur le fait que le président du CSM "ne voulait pas d’un juge partisan, mais d’une personne indépendante, transparente, forte et franche". "Je ne crois pas qu’il acceptera la nomination du juge Samaranda Nassar", a-t-il soutenu en réponse à une question.

Le choix de Mme Nassar, considérée comme étant proche du camp présidentiel, est contesté par une partie des membres du CSM, appelés à choisir un magistrat suppléant parmi huit candidats.

Le bâtonnier juge par ailleurs que pour éviter ce genre de problèmes, la loi devrait être modifiée de sorte à permettre à la chambre de mise en accusation de protéger un juge face à des recours abusifs et de lui donner la possibilité d’observer les tâches qui lui sont confiées. Mais il explique aussi que Tarek Bitar "a manqué d’habileté dans la stratégie qu’il a suivie". "Il aurait dû commencer par déterminer qui sont les coupables avant de vouloir interpeller qui que ce soit. Si les personnes concernées refusent de se présenter devant lui, a expliqué Me Gaspard, le juge d’instruction aurait pu malgré tout les épingler dans l’acte d’accusation qui sera présenté à la Cour de justice", un tribunal d’exception dont les jugements sont sans appel.