
C’est au pas de charge que l’émissaire américain, Tom Barrack, a entamé sa seconde mission au Liban. À 11h30, il était au palais présidentiel de Baabda, où son entretien avec le président Joseph Aoun a duré près d’une heure. Le chef de l’État lui a présenté la réponse libanaise à la feuille de route américaine censée aider Beyrouth à établir et à mettre en œuvre un mécanisme pour le désarmement du Hezbollah. Après Baabda, cap sur Aïn el-Tiné, où il a eu des discussions avec le président de la Chambre, Nabih Berry. Celles-ci ont été suivies d’autres avec le Premier ministre, Nawaf Salam, à 14h, au Sérail, puis avec le ministre des Affaires étrangères, Joe Rajji.
De la déclaration à la presse qu’il a faite à Baabda, deux idées principales peuvent être retenues: son insistance sur l’opportunité qui se présente aujourd’hui, pour le Liban, alors que la région est en pleine mutation, afin de prendre les bonnes décisions dans le but d’édifier un État au vrai sens du terme. Tom Barrack a souligné dans ce contexte qu’il n’existe pas de calendrier fixé pour le désarmement du Hezbollah, passage obligé cependant pour l’édification d’un État et pour que le pays puisse bénéficier du soutien international dont il a désespérément besoin pour se remettre sur pied.
Si l’émissaire américain a rappelé que la communauté internationale ne fera pas le travail à la place du Liban, il a aussi averti que «la patience du président Donald Trump a ses limites».
D’emblée, M. Barrack a qualifié de «satisfaisant» son entretien avec le président Aoun. «J’ai reçu la réponse libanaise à la proposition américaine, et nous sommes reconnaissants pour la rapidité et le ton mesuré de cette réponse», a-t-il affirmé, en précisant qu’il n’a pas eu le temps de lire «en entier» les amendements apportés par le Liban au document américain. Selon lui, celui-ci comprend quinze points à résoudre «de manière diplomatique, en s’appuyant principalement sur l’armée et le gouvernement libanais».
La présidence de la République a plus tard indiqué que ce sont «des propositions libanaises pour une solution globale» qui ont été remises à M. Barrack.
«Rester à la traîne»
Les modifications proposées par la Liban sont consignées dans «sept pages», a expliqué l’émissaire américain, sans entrer dans les détails. Il a juste relevé que Washington va en prendre connaissance, avant de souligner l’importance de l’opportunité qui se présente aux autorités libanaises pour prendre les bonnes décisions, au risque de rater le coche.
Des propos que M. Barrack a tenus, il ressort que la balle est aujourd’hui strictement dans le camp du Liban qui peut prendre, selon lui, les décisions qu’il juge les plus appropriées. Il devrait cependant tenir compte des résultats directes de ses décisions, négatives ou positives.
En quelque sorte, c’est la politique de la carotte et du bâton. «Le président américain est engagé en faveur du Liban qu’il soutient à fond. Il veut l’aider à parvenir à une paix et à une prospérité», a-t-il insisté, avant de souligner, un peu plus tard, que la patience de Donald Trump «a des limites». «Il croit que le Liban reste la clé de la région et qu’il peut redevenir la perle de la Méditerranée», a-t-il encore dit.
«Ces moments sont passionnants pour le Liban et pour la région. Il y a une occasion magnifique qui se présente aujourd’hui, et nul n’est mieux placé que les Libanais pour saisir les opportunités disponibles», a poursuivi l’émissaire américain.
Il a souligné dans ce contexte que «la région est en train de bouger», et que «les pays voisins vivent d’importantes transformations». Selon lui, cette dynamique doit également s’étendre au Liban. «Pourquoi le Liban ne se lance-t-il pas à son tour? Comment peut-il accepter de rester à la traîne au niveau mondial?», s’est-il interrogé.
«Une initiative intérieure»
Pour M. Barrack, le véritable défi réside dans un redressement qui doit commencer de l’intérieur du Liban. «C’est là que réside le véritable défi. Si vous voulez le changement, alors engagez-le vous-mêmes. Nous vous soutenons. Ce n’est pas aux États-Unis de vous dicter quoi faire. Nous sommes là uniquement pour vous aider. Nous n’imposons rien», a-t-il lancé.
Selon M. Barrack, toutes les parties concernées devraient faire des concessions, «renoncer à quelque chose» pour avancer vers la paix.
Il a estimé que le Liban devrait tirer les leçons de l’accord de Taëf, qui avait mis fin à la guerre du Liban, mais dont de nombreuses clauses sont restées sans application. Il a également relevé que le mécanisme qui régit les relations entre Beyrouth et Israël n’a pas été respecté, en allusion à l’accord d’armistice.
L’émissaire américain a, en revanche, indiqué que le gouvernement libanais «est en train de combler les lacunes concernant le mécanisme de mise en œuvre du cessez-le-feu» avec Israël.
«La paix avec Israël»
Selon lui, Tel Aviv veut la paix avec le Liban et ne cherche pas à occuper le pays. Il a rappelé que le dialogue a commencé entre la Syrie et Israël, et qu’il faut qu’il en soit de même pour le Liban. «La Syrie est passée du chaos à l’espoir, alors qu’elle ne dispose pas des mêmes atouts que le Liban. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le Liban?», s’est-il interrogé.
M. Barrack a en outre indiqué qu’il n’existe aucun lien entre les pourparlers avec Beyrouth et l’Iran.
Il a mis l’accent sur l’importance cruciale de la paix et de la sécurité: «Elles sont fondamentales. Personne ne viendra vers vous si vous êtes en guerre», a-t-il commenté. M. Barrack n’a pas fait de déclarations à la presse après ses entretiens avec MM. Berry, Salam et Rajji.
Selon le bureau de la présidence de la Chambre, les discussions avec M. Berry étaient «constructives». Elles ont «pris en compte l’intérêt du Liban, sa souveraineté, les préoccupations de tous les Libanais ainsi que les revendications du Hezbollah», selon le communiqué de Aïn el-Tiné.
«Pas de décisions en dehors du gouvernement »
Dans l’après-midi, lors d’une conférence de presse, au Grand Sérail, M. Salam a affirmé que le retrait israélien des cinq points frontaliers et le maintien des armes sous l’autorité exclusive de l’État devaient aller de pair. Rappelant que la question du monopole des armes n’était pas nouvelle, il a souligné qu’elle figure depuis longtemps dans l’accord de Taëf, sans avoir été pleinement appliquée.
Les discussions menées avec l’émissaire américain Tom Barrack se sont inscrites, selon lui, dans le cadre des «constantes libanaises» déjà affirmées dans la déclaration ministérielle, notamment le principe selon lequel seul l’État détient la décision de guerre et de la paix.
Le Premier ministre a précisé que Washington va examiner les observations libanaises sur sa feuille de route, avant de transmettre une réponse aux autorités libanaises. «Quand les choses seront mûres, elles seront tranchées en Conseil des ministres», a-t-il insisté, rejetant toute idée de négociation parallèle ou de mécanisme de troïka, critiqué la veille, par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea. «Aucune décision ne sera prise en dehors du cadre gouvernemental, et personne ne peut imposer quoi que ce soit au Liban», a-t-il martelé.
Concernant le Hezbollah, Nawaf Salam a affirmé que le mouvement reste, selon lui, attaché à l’accord de Taëf ainsi qu’aux arrangements du cessez-le-feu avec Israël. «Je ne pense pas qu’il ait décidé de s’en écarter», a-t-il conclu, tout en soulignant que le Liban s’efforce de mobiliser un large soutien international en faveur d’un retrait israélien.
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