Au-delà des motivations — certes absolument normales constitutionnellement – de la convocation du Parlement, par le président de la Chambre Nabih Berry, à une séance plénière, jeudi, consacrée à l’élection d’un nouveau chef de l’État, c’est le timing qui interpelle. Et pour cause : le chef du Législatif avait affirmé explicitement durant la première séance du débat budgétaire, le 14 septembre, qu’il attendait " un consensus minimal " autour des candidatures à la présidence pour convoquer le Parlement. Il n’est pas étonnant dès lors que son initiative, mardi, ait pris de court toute la classe politique, dans la mesure où ce consensus fait toujours défaut et, surtout, parce que le numéro 2 de l’État est réputé pour son attachement à ses positions, une fois qu’il les a adoptées, commente-t-on de sources qui suivent de près le dossier de la présidentielle.

Celles-ci ne semblent pas exclure un mobile caché, derrière l’annonce-surprise de mardi, que Nabih Berry chercherait à concrétiser, avec son habileté habituelle, pour favoriser l’accession à la tête de l’État d’une personnalité qu’il considère consensuelle et dotée, grâce à ses compétences, son poids politique, et son réseau de relations arabes et internationales, de qualités qui lui permettent d’accéder à la Magistrature suprême et de lancer le chantier de redressement d’un Liban exsangue.

Il est devenu notoire que le tandem Amal-Hezbollah ne soutiendra pas la candidature du chef du CPL, Gebran Bassil, à la succession de son beau-père, Michel Aoun, pour des raisons que M. Bassil est d’ailleurs le premier à deviner. Les deux formations chiites tendent plutôt à appuyer la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, quand bien même elles savent que les chances de son élection sont pratiquement inexistantes. Face à ce groupe, les forces politiques dites souveraines, notamment les Kataëb, les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste ainsi que les députés sunnites qui se sont retrouvés samedi autour du mufti de la République, cheikh Abdel Latif Deriane, – à la faveur d’une réunion politique extraordinaire à Dar el-Fatwa – sont sur le point de couronner leurs concertations par une entente sur un candidat unique qui serait Michel Moawad, député de Zghorta, selon les mêmes sources. Ce dernier, avance-t-on de mêmes sources, part avec un nombre de voix parlementaires supérieur à celui d’autres candidats que ces forces pourraient soutenir.

Les chances de M. Moawad sont fondées sur du concret : le député de Zghorta et fils de l’ancien président assassiné René Moawad (1989) est considéré comme un candidat fort pour plusieurs raisons, dont l’entente dégagée autour de sa personne au niveau d’une frange parlementaire importante et parce qu’il est loin d’être un candidat de défi. La voie vers Baabda se serait ainsi entrouverte pour Michel Moawad, même s’il s’agit pour l’heure que de pronostics. Il reste que M. Moawad bénéficie d’un soutien local, mais aussi international puisqu’il a tissé un réseau de relations important qui s’étend des pays du Golfe jusqu’aux États-Unis en passant par l’Europe. À cela, il faut ajouter ses bases et sa culture chéhabistes, synonymes donc du respect de l’État, dans toute l’acception du terme. Il ne faut pas oublier qu’il est issu d’un milieu qui place en tête de ses priorités l’appartenance au Liban et la neutralité du pays, ce qui lui a permis de succéder à son père, assassiné le 22 novembre 1989 à sa sortie du siège provisoire de la présidence du Conseil à Sanayeh, peu de temps après son élection, le 5 du même mois, par des forces qui voulaient étouffer dans l’œuf toute chance pour le Liban de sortir de l’ornière.

Il est quasiment certain que la séance parlementaire de jeudi ne débouchera pas sur l’élection du quatorzième président de la République libanaise. Il n’en demeure pas moins que les séances qui suivront resteront marquées par un flou autour des scénarios électoraux possibles, en attendant que se décante le schéma que Nabih Berry semble directement ou indirectement dessiner grâce à des canaux de communications ouverts en permanence avec les différentes forces politiques, à commencer par Moukhtara, en passant par Meerab et la banlieue sud de Beyrouth.

À quoi faudra-t-il s’attendre dès lors demain jeudi ? S’il faut imager, la réunion pourrait surtout permettre de passer au tamis certaines candidatures parmi les plus faibles notamment, pour laisser aux prochaines séances celles qui sont considérées parmi les plus fortes. Un tel scénario pourrait éventuellement favoriser l’accession à Baabda d’une personnalité de confiance, acceptée par une majorité parlementaire, souveraine, capable de négocier ou d’engager un dialogue, ayant une ligne nationale claire et attachée aux constantes nationales qui dictent l’action politique au Liban ou à l’étranger. En somme, une personnalité modérée, qui comprend parfaitement les rouages du jeu politique libanais et moyen-oriental et qui ressemblerait, grâce à ses caractéristiques, à l’ancien président Elias Sarkis, un homme consensuel, modéré, afin de pouvoir sortir le Liban de l’enfer dans lequel il ne fait que s’enfoncer.

Il est certain, confie-t-on de mêmes sources, qu’une personnalité parmi celles dont la candidature devrait être annoncée ou soutenue demain, est dotée de toutes ses qualités. Reste à savoir si les intérêts des forces ayant une allégeance libanaise certaine convergeront pour favoriser son élection à l’heure où le Liban vit des moments charnières qui engagent son avenir.

*Rédactrice en chef de l’agence Al-Markaziya