Le député Michel Moawad a unifié les blocs "souverainistes" et remporté 36 voix, alors que le 8 Mars a voté blanc. Les députés du changement ont opté pour Salim Eddé. La première séance électorale a été cependant levée à l’issue du premier tour, pour défaut de quorum.

Photos: Ali Fawaz

Après avoir planché, lundi, sur les chiffres du budget 2022, ce sont d’autres chiffres que les députés libanais, et avec eux l’ensemble de la population, s’attellent à analyser: Ceux de la première séance parlementaire convoquée jeudi, Place de l’Étoile, pour élire un nouveau président de la République.

Sur les 122 députés présents, 36 ont voté pour le député de Zghorta Michel Moawad et 11 pour l’homme d’affaires Salim Eddé. Soixante-trois députés ont opté pour le vote blanc alors que onze autres ont placé le mot "Liban" dans l’enveloppe. Les deux derniers suffrages ont été respectivement pour Mahsa Amini, la jeune Iranienne tuée par les autorités de la République islamique à Téhéran et devenue le symbole de la rébellion contre la répression dans ce pays, et pour "la ligne de Rachid Karamé" (Premier ministre libanais assassiné en 1987).

La séance, qui a duré près de 45 minutes et a été levée après la perte du quorum à l’issue du premier tour de vote, a démontré qu’aucun des deux camps en présence, à savoir le 8 Mars et l’opposition qui se veut souverainiste, ne peut actuellement imposer un candidat.

Pour être élu dès le premier tour, le candidat doit obtenir 86 voix, mais dès le second tour, 65 voix suffisent. On rappelle que l’article 49 de la constitution stipule que "le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés". Il précise qu’"aux tours de scrutins suivants, la majorité absolue suffit".

Or une perte – visiblement préméditée – du quorum des deux tiers (86 députés), requis à chaque tour, a marqué la fin de la première séance jeudi. L’arme du défaut de quorum a d’ailleurs souvent été utilisée pour garantir au final l’élection de candidats spécifiques, dont notamment le chef de l’État actuel, Michel Aoun.

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"L’opposition souveraine"

Lors du vote de jeudi, l’opposition "souverainiste" a démontré son unité. C’est ainsi que Michel Moawad a recueilli 36 suffrages déposés par les blocs parlementaires de la République forte (Forces libanaises), du Rassemblement démocratique (Parti socialiste progressiste), du parti Kataëb et du bloc du Renouveau. Ce bloc regroupe M. Moawad ainsi qu’Achraf Rifi, Fouad Makhzoumi et Adib Abdelmassih.

Le député de Zghorta n’a pas pu cependant, obtenir les votes des "députés du changement". Ces derniers, comme l’a confié l’un des membres de leur bloc, Michel Doueihy, à Ici Beyrouth avant la séance, étaient convenus de voter pour Sélim Eddé, et c’est ce qu’ils ont fait.

M. Moawad n’a pas non plus obtenu les voix d’un regroupement de députés de Beyrouth et du Liban-Nord, majoritairement sunnite, mais qui compte parmi ses membres des parlementaires d’autres confessions. Certains parmi eux sont d’ailleurs des proches de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri. Ces élus ont voté pour "le Liban", car, comme l’a expliqué le député Nabil Badr à Ici Beyrouth, ils étaient convenus de donner leurs voix à un candidat qui, à la fois, satisfaisait leurs critères politiques et avait des chances d’être élu, or un tel candidat n’était pas en lice, selon lui, lors de cette séance.

Photos: Ali Fawaz

Le 8 Mars vote blanc

Si les députés de l’opposition souverainiste ont réussi à s’accorder entre eux sur un nom, celui de Michel Moawad en l’occurrence, ceux des blocs du 8 mars, eux, n’ont réussi à s’entendre que sur un vote blanc. En effet, les députés du Courant patriotique libre, du Hezbollah et du mouvement Amal, ainsi que leurs alliés ont glissé 63 bulletins blancs dans l’urne.

Les noms de Sleiman Frangié qui bénéficie notamment du soutien du Hezbollah, ou de Gebran Bassil étaient totalement absents de la séance. Cela induit une double explication. Le vote blanc du 8 Mars peut indiquer l’absence d’entente entre les blocs concernés sur un candidat, comme il peut être expliqué par une volonté de ces derniers de garder leurs cartes secrètes.

Quoi qu’il en soit, les chances d’élection du chef du CPL sont très faibles, en raison notamment des sanctions internationales qui pèsent sur lui, mais aussi du fait que le président Berry ne le porte pas dans son cœur, et que les deux formations ont souvent eu des échanges acerbes. Une entente des forces du 8 Mars autour de M. Frangié n’est cependant pas à exclure. Comme le souligne une source proche de ce camp, les députés aounistes pourraient être encouragés à voter pour le leader zghortiote dans le cadre d’un marché qui vaudrait d’autres gains au CPL…

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La séance

Pour en revenir à la séance elle-même, elle s’est tenue dans une ambiance bon enfant. Aucun diplomate n’était présent dans les tribunes. En revanche, quatre candidats non-issus des formations politiques y ont pris place. Il s’agit de Ziad Hayek, économiste et ancien secrétaire général du Haut conseil à la privatisation, May Rihani, écrivaine et experte en développement international, ainsi que Béchara Abi Younes et Milad Abou Malhab, qui était habillé aux couleurs du drapeau libanais.

Six députés n’ont pas pris part à la réunion, dont quatre qui avaient officiellement notifié la Chambre de leur absence, à savoir Ibrahim Mneimné, Najat Aoun, Fouad Makhzoumi et Neemat Frem, et deux qui ne l’avaient pas prévenue, comme l’a précisé M. Berry, à savoir Sethrida Geagea et Salim Sayegh.

Une partie des ministres étaient présents, mais pas le Premier ministre sortant, Najib Mikati. Interrogé sur ce point, M. Berry a indiqué que le seul ministre qui doit assister à la séance est celui qui est également député. Il s’agit de M. Georges Bouchikian. Pour ce qui est de M. Mikati, le chef du Législatif a précisé, d’un air amusé, lui avoir lui-même dit que sa présence n’était pas nécessaire.

Les députés ont déposé leurs bulletins dans l’urne transparente à tour de rôle, à l’appel de leur nom, par mohafazat.

Le vote a été assez rapide. Le dépouillement aussi. Après l’annonce des résultats, plusieurs députés ont commencé à quitter l’hémicycle. À la question de savoir quand le second tour aura lieu, M. Berry a répondu: maintenant. Ayant rapidement constaté que le nombre des parlementaires présents était de 85, sans qu’aucun décompte n’ait réellement lieu, il a levé la séance.

Le président de la Chambre a saisi l’occasion pour annoncer qu’il convoquera les députés à une nouvelle séance lorsqu’il sentira qu’il y a une entente sur un candidat. "En l’absence d’une entente entre les 128 députés, nous ne pourrons pas sauver le Parlement, ni le Liban", a-t-il précisé.

Photos: Ali Fawaz

Appels à l’unité

Dès leur arrivée dans le grand hall, plusieurs députés ont fait des déclarations résumant les positions de leurs blocs respectifs. Ali Hassan Khalil (Amal) a estimé que la séance de jeudi devrait pousser tous les blocs à se concerter pour s’entendre sur un nom et éviter une vacance présidentielle.

De leur côté, MM. Georges Adwan (FL), Samy Gemayel (Kataëb) et Michel Moawad ont appelé à une unification des rangs de l’opposition.

M. Moawad a rappelé que quatre des députés absents, Mme Geagea et MM. Makhzoumi, Frem et Sayegh, lui ont exprimé leur appui, ce qui porte à 40 le nombre de votes effectivement en sa faveur. Dans une déclaration à Ici Beyrouth, il a appelé à "une unité totale de l’opposition", soulignant que "le Liban ne peut pas élire un président gris", et que "seul l’État peut réunir les Libanais".

Quand le président Berry convoquera-t-il les députés pour une deuxième séance consacrée à l’élection d’un président de la République? Sera-t-elle la bonne? Il est difficile de répondre aujourd’hui à ces questions. Mais il n’est pas improbable que le successeur de Michel Aoun, dont le mandat expire le 31 octobre prochain, soit originaire de Zghorta, et que son père, ou son grand-père, ait déjà occupé ce poste.

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Twitter: Rolla Beydoun