La cérémonie d’hommage aux martyrs des services de renseignement de l’armée (SR), organisée récemment par le commandement de l’armée libanaise, a revêtu un caractère coutumier. Sauf que cette cérémonie a eu lieu à la suite des opérations récentes menées par les SR dans le courant du mois de septembre. Partant, quels sont les tenants et aboutissants de ces opérations ?

Le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, a indiqué sur les réseaux sociaux " qu’une grande quantité de pilules de Captagon a été saisie par les services de sécurité libanais au port de Beyrouth ". Les pilules avaient été dissimulées dans une cargaison de raisins, dont la destination première était le Soudan, puis le Koweït.

Pour rappel, le 29 décembre 2021, le ministre de l’Intérieur avait également révélé qu’une cargaison d’oranges contenant environ 9 millions de pilules de Captagon destinées aux pays du golfe a été saisie au port de Beyrouth. Entretemps, une tentative d’introduire au port de Dubaï plus d’un million de pilules de cette même drogue en provenance de Beyrouth a été déjouée.

Toutefois, le ministre Maoulaoui et les autres organes officiels se sont abstenus d’évoquer les changements intervenus courant septembre au niveau des services de renseignement de l’armée, notamment dans la Békaa. De leur côté, les habitants de la région évoquent des opérations sécuritaires qui se sont récemment intensifiées dans la plaine de la Békaa, surtout dans la partie nord qui s’étend vers la frontière syrienne, dans la région du Hermel.

À vrai dire, ce qui a réellement changé aujourd’hui, c’est le renforcement des descentes et des interpellations, ainsi que la traque des réseaux et des personnes qui se livrent à des activités illégales (telles que le trafic de drogue, les enlèvements, les vols et les crimes). Partant, la question reste de savoir quelles sont les raisons qui sous-tendent cette montée en puissance des SR ?

Les réponses apportées par un ancien ministre de la Défense et un officier supérieur à la retraite se recoupent. Ces derniers imputent cette amélioration qualitative des performances de la troupe aux dernières nominations effectuées par le commandement de l’armée au niveau de la direction des SR. Selon certaines informations, la nomination d’un nouveau commandant des SR a favorisé le regain d’efficacité de cette structure dans la région de la Békaa, en imposant une nouvelle méthodologie.

Selon les informations obtenues au sujet des récentes nominations au sein de l’institution militaire, les opérations des services de renseignement de l’armée sont désormais entourées du plus grand secret, afin d’empêcher que les personnes qui font l’objet de mandats de recherche, ne puissent disposer d’informations sur les horaires des raids et fuir leurs caches, devenues exposées, vers d’autres lieux plus sûrs, notamment dans un village bien connu au nord de la Békaa du fait de son contrôle par le Hezbollah.

En revanche, dans les milieux médiatiques proches du Hezbollah, on assure que cette formation a choisi de se distancier du dossier des personnes recherchées dans la Békaa depuis un moment, laissant l’affaire entre les mains de l’État et de ses services de sécurité. Selon ces mêmes milieux, le parti pro-iranien qui a pris conscience de la complexité de ce dossier épineux, en raison de son lien avec des situations familiales, claniques et tribales, a préféré s’en détacher vu son incapacité à le gérer.

Mais ce prétexte avancé par les médias concernant la position du Hezbollah sur ce qui se passe au niveau sécuritaire dans la Békaa a été remis en question par l’ancien ministre de la Défense, qui a déclaré : " Comment le parti (chiite) justifie-t-il le fait que les endroits où les personnes recherchées se réfugient se situent dans ses propres fiefs ? De plus, comment justifie-t-il l’existence de ‘passes sécuritaires’ qui facilitent l’évasion vers la Syrie de repris de justice ? " Ces passes sécuritaires, distribués par le Hezbollah, permettent à leurs titulaires de franchir les frontières sans être contrôlés, sous prétexte qu’ils exécutent des tâches qui leur ont été confiées par les " autorités " leur ayant délivré ces documents, le Hezbollah en l’occurrence.

Et l’ancien responsable de conclure : "L’on pourrait comprendre que l’armée tienne compte de l’importance du rôle du Hezbollah dans la lutte contre Israël au Liban-Sud. Mais il est incompréhensible que le chaos sécuritaire qui prévaut dans la Bekaa aille de pair avec les activités du Hezbollah dans cette région. "

Pour en revenir à la dernière saisie de Captagon, le ministre Maoulaoui a annoncé à la chaîne télévisée Al-Hurra que l’opération de sécurité a abouti à identifier certains trafiquants dont la majorité sont de nationalité syrienne et libanaise.

Le trafic qui avait pour point de départ la Békaa a été intercepté, selon les déclarations du ministre de l’Intérieur, " alors que le Captagon était en train d’être préparé et que la marchandise déchargée du pick-up était placée dans un conteneur, dans la région de Ferzol, une zone proche de la ville de Zahlé ".  Et M. Maoulaoui d’ajouter : " Nous disposons des numéros de téléphone des personnes impliquées dans l’empaquetage au Liban ainsi que dans la livraison au port de Beyrouth. De plus, nous avons identifié la société en charge du transfert de la marchandise. Les services de sécurité recourent à des informateurs qui les aident dans la surveillance de ces opérations, et les alertent le cas échéant ".

M. Maoulaoui a indiqué que les usines de production du Captagon et son trafic sont concentrés dans la chaîne de l’Anti-Liban, le long de la frontière libano-syrienne. Il a souligné que " la localisation des usines de Captagon situées du côté syrien, près de la frontière libanaise, est un secret de polichinelle. Cela vaut également pour le Liban où les usines situées à proximité de la chaîne de l’Anti-Liban sont pour la plupart bien connues des services de sécurité et de l’armée libanaise qui y organisent des descentes régulières. "

De leur côté, les autorités libanaises ont récemment confirmé qu’elles redoublaient d’efforts pour endiguer le trafic de Captagon, suite aux critiques formulées par les pays du golfe, notamment l’Arabie saoudite. À ce titre, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal ben Farhan ben Abdallah, a mis l’accent sur le dossier de la drogue au Liban lors de son allocution prononcée durant la 77ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Le ministre saoudien a également souligné l’importance de "mettre en œuvre des réformes politiques et économiques structurelles globales qui permettraient au Liban de surmonter sa crise politique et économique ", tout en affirmant "le soutien du Royaume à la souveraineté, la sécurité et la stabilité du Liban ".

M. Faisal ben Farhan ben Abdallah a aussi insisté sur le fait que le pays du Cèdre ne doit pas constituer une plaque tournante pour le terrorisme, le trafic de drogue ou autres activités criminelles qui menacent la sécurité et la stabilité régionales. De plus, ce dernier a rappelé l’importance pour l’État libanais d’asseoir son contrôle sur tout le territoire libanais et d’appliquer les dispositions des résolutions du Conseil de sécurité le concernant ainsi que l’Accord de Taëf.

Le 10 septembre, l’Observatoire syrien des droits de l’homme avait, quant à lui, préparé un rapport sur la production de drogue et la culture de cannabis dans les zones d’influence iranienne à Deir el-Zor, de même que sur les milices concernées par ce dossier. Ce rapport a explicitement établi l’existence de sept usines de production de Captagon et de terrains servants à cultiver le cannabis, contrôlés par le Hezbollah et les Gardiens de la révolution iranienne.

Ceci dit, les milices affiliées à l’Iran ont toujours acheminé la drogue dans leurs zones d’influence à Deir el-Zor, en provenance des lieux de fabrication, soit à partir d’Al-Qusayr (ville du sud-est de Homs), ou des zones frontalières avec le Liban (dans le Rif de Damas), qui sont tous deux sous l’influence du Hezbollah, le principal fournisseur de drogue à Deir el-Zor.

Enfin, le retour du port de Beyrouth sur le devant de la scène a coïncidé avec une intensification des opérations sécuritaires en Jordanie pour empêcher le trafic de drogue en général, et du Captagon en particulier, à travers sa frontière avec la Syrie. Cela explique le repli des trafiquants sur le port de Beyrouth devenu une plateforme essentielle pour le trafic de drogue, qui permet de contourner les mesures jordaniennes entravant le trafic par la voie terrestre. Cependant, la recrudescence des opérations menées par les forces de sécurité libanaise conjuguées à celles des services de renseignement de l’armée, a complètement changé la donne.