La seconde séance consacrée à la présidentielle libanaise a été levée jeudi en raison d’un défaut de quorum provoqué par le courant aouniste et le Hezbollah. La troisième, dont la date est fixée au 20 octobre, est cruciale. Pourrait-elle créer la surprise? En tous les cas, comme l’a dit le député Marwan Hamadé à Ici Beyrouth, "l’heure de vérité sonnera jeudi prochain".

Le Liban se dirige-t-il vers une vacance présidentielle au terme du mandat de l’actuel chef de l’État Michel Aoun le 31 octobre prochain? Cette possibilité, qui serait catastrophique pour un pays qui vit une crise économique sans précédent, semblait plus probable qu’auparavant, à l’issue de la séance parlementaire de jeudi, la seconde consacrée à l’élection d’un président. Celle-ci a été levée quelques minutes après son ouverture, pour défaut de quorum. Une troisième doit se tenir jeudi 20 octobre à 11 heures.

Pourtant, il y avait Place de l’Étoile au moins 86 députés présents qui auraient ainsi assuré le quorum de deux tiers requis (86 sur 128). Mais, alors que 71 seulement étaient à l’intérieur de l’hémicycle, selon le décompte sur lequel s’est appuyé le président du Parlement Nabih Berry, plus d’une quinzaine, dont certains du groupe parlementaire du Hezbollah, avaient préféré s’installer dans leurs bureaux ou discuter dans un des salons.

Alors qu’ils avaient fait une entrée remarquée dans le hall du Parlement avant la séance, la plupart des parlementaires du Hezbollah ont préféré ne pas participer à la séance. Le chef du groupe, Mohammed Raad, est entré dans l’hémicycle, ainsi que son collègue Amine Cherri. Mais ce dernier s’est empressé d’encourager plusieurs députés à sortir, avant de leur emboîter le pas. Ceci alors qu’une annonce par le Hezbollah qu’il ne boycottera pas la séance avait été relayée par les médias juste avant son ouverture.

D’une façon ou d’une autre, les députés de ce parti se sont ainsi joints à ceux du groupe parlementaire aouniste (Courant patriotique libre et Tachnag) qui avaient annoncé leur boycott de la séance. Celle-ci coïncidait avec la commémoration du départ, le 13 octobre 1990, de Michel Aoun du palais de Baabda par la force, après une offensive menée par l’armée syrienne.

Il convient de noter que cinq députés avaient préalablement notifié le Parlement de leur absence, certains d’entre eux se trouvant en déplacement à l’étranger. Il s’agit de: Cynthia Zarazir (hospitalisée), Waddah Sadek et Élias Jradé (députés du Changement), Tony Frangié (fils de Sleiman Frangié, considéré comme l’un des candidats du 8 Mars), Nadim Gemayel (Kataëb) et Farid el-Khazen.

L’arme du quorum

L’arme du quorum de 86 députés, nécessaire pour la tenue de la séance d’élection d’un président de la République, a donc de nouveau réussi à torpiller le processus démocratique. Lors de la première séance, le 29 septembre dernier, le quorum avait été assuré au premier tour, mais avait vite disparu, empêchant la tenue d’un second.

Cette même pratique avait bloqué l’élection présidentielle pendant deux ans et demi en 2014 par le camp du 8 Mars, qui n’approuvait pas les candidats proposés et qui n’avait "autorisé" la Chambre à se réunir qu’en octobre 2016 pour élire son candidat, Michel Aoun.

Le député du Hezbollah Hassan Fadlallah a clairement souligné jeudi matin, dans une déclaration au Parlement, que seul un "président consensuel" accepté par l’ensemble des députés pourrait être élu. Il a accusé le député Michel Moawad d’être un "candidat de défi", et le "candidat des Forces libanaises", estimant que "les candidats de défi donnent lieu à des séances sans résultat".

Les souverainistes: appui à Moawad

Au niveau des positions, les groupes souverainistes ont montré une nouvelle fois leur cohésion et leur attachement à la candidature de Michel Moawad, qui avait obtenu 36 voix lors de la séance du 29 septembre. Le député Achraf Rifi, membre aux côtés de M. Moawad du bloc du Renouveau, a confié avant la séance s’attendre à ce que le député de Zghorta obtienne 43 voix cette fois.

Avant l’ouverture de la réunion, les députés du Parti socialiste progressiste, des Forces libanaise) et des Kataëb ont annoncé haut et fort qu’ils allaient voter pour Michel Moawad.

M. Georges Okais (FL) a rejeté, dans un entretien avec Ici Beyrouth, l’argumentation du Hezbollah concernant M. Moawad, ajoutant que "si l’attachement à la souveraineté est un défi, alors nous sommes avec ce défi".

Le député Élias Hankache (Kataëb) a quant à lui appelé à saisir l’opportunité d’élire un président "100 pour cent libanais".

Vers un groupe centriste élargi?

Si le 8 Mars s’est efforcé de torpiller la séance en provoquant un défaut de quorum, les députés du Changement s’apprêtaient à placer dans l’urne des bulletins portant des slogans. C’est ce qu’ont confié plusieurs des membres du groupe parlementaire à Ici Beyrouth.

Alors qu’ils avaient voté lors de la première séance pour Sélim Eddé, ils se sont entendus pour ne pas voter pour un candidat cette fois, mais pour définir les critères requis. Ils restent quand même attachés à leur initiative, visant à obtenir un consensus parlementaire autour d’un candidat pour favoriser son élection. Les trois candidats qu’ils appuient sont Ziyad Baroud, Nassif Hitti et Salah Honein.

Cette initiative se recoupant avec celle du bloc de la Modération nationale (regroupant six députés du Liban-Nord, à savoir Walid Baarini, Mohammed Sleiman, Abdel-Aziz Samad, Ahmed Kheir, Sajih Attiyé et Ahmed Rustom), qui lui aussi prêche le consensus, les deux groupes intensifient leurs contacts. Ils se sont d’ailleurs réunis juste après la séance de jeudi, et les points de vue étaient très proches, selon des participants à la réunion.

La volonté "d’élargir le bloc centriste" a conduit une partie des députés du Changement à coordonner leurs positions avec les trois députés indépendants de Saïda-Jezzine, Abdel Rahman Bizri, Oussama Saad et Charbel Massaad. Un déjeuner les a en effet regroupés la veille de la séance.

Un membre du groupe du Changement nous a expliqué que si ces efforts d’élargissement aboutissent, un bloc centriste élargi pourrait plus librement appuyer un candidat déterminé, lequel pourrait peut-être même être Michel Moawad.

Il n’est pas certain que tous les membres du bloc approuvent cette option, sachant que les députés de la contestation reconnaissent avoir des divergences de point de vue sur plusieurs dossiers, qu’ils ont réussi à surmonter jusqu’à présent…

Le député du Changement Rami Finge a confirmé à Ici Beyrouth les efforts en cours pour élargir le groupe centriste.

Moawad: Ils ne veulent pas de solution

Après la levée de la séance, les groupes souverainistes et les députés du Changement ont regretté le recours au défaut de quorum.

Le député Georges Adwan (FL) a souligné à IB que l’incapacité de certains blocs à annoncer un candidat "est un signe de faiblesse".

Pour sa part, Michel Moawad nous a déclaré: "Nous faisons face à une mafia politique irresponsable, qui n’a ni projet ni candidat, et ne veut pas trouver de solution pour le pays".

La troisième séance serait-elle la bonne?

La troisième séance qui se tiendra le 20 octobre sera-t-elle la bonne, ou sera-t-elle aussi levée pour défaut de quorum? La réponse à cette question est difficile. Mais l’importance de cette séance réside dans sa date, le 20 octobre. Dès le lendemain, à partir du 21 octobre, soit dix jours avant la fin du mandat du président Aoun, les députés peuvent se réunir "de plein droit", sans convocation du président du Parlement.

En effet, l’article 73 de la Constitution stipule ce qui suit: " Un mois au moins et deux mois au plus avant l’expiration des pouvoirs du président de la République, la Chambre se réunit sur convocation de son président pour l’élection du nouveau chef de l’État. À défaut de convocation, cette réunion aura lieu de plein droit le dixième jour avant le terme de la magistrature présidentielle ".

C’est pour cela qu’il est possible que Nabih Berry cherche à éviter une telle situation et déploie des efforts en vue d’assurer l’élection d’un président.

Le député Marwan Hamadé, tout en critiquant jeudi le défaut de quorum, a estimé que les députés absents seront là pour la troisième séance. Dans une déclaration à Ici Beyrouth, il a estimé que "l’heure de vérité sonnera jeudi prochain", sans écarter la possibilité de l’élection d’un chef de l’État "qui soit à la hauteur des aspirations des Libanais".