La séance parlementaire de mardi a été marquée, parallèlement à l’approbation de la levée du secret bancaire,  par les mauvais scores enregistrés par " les députés du changement " lors des élections du bureau de la Chambre et des commissions, ainsi que l’annonce du retrait de l’un des membres du bloc, Michel Doueihy.

Si les membres du bloc parlementaire des " députés du Changement " ont été les " stars " de la séance parlementaire matinale du mardi 18 octobre, qui a tourné à leur désavantage, la séance du soir a été marquée par deux évènements : une longue polémique sur la marginalisation du rôle du Parlement dans l’examen de l’accord délimitant les frontières maritimes entre le Liban et Israël, et le vote de la loi réaménageant le secret bancaire.

Dès son ouverture à 17 heures, la séance plénière a été axée sur le texte délimitant les frontières maritimes, et cela suite à la réclamation par le député Nadim Gemayel (Kataëb) qu’il soit débattu au Parlement. Le député d’Achrafieh a d’ailleurs fait remarquer qu’en Israël, l’accord a été examiné par le gouvernement et le Parlement.

À son tour, le député Melhem Khalaf (Changement) a rappelé qu’en vertu de l’article 52 de la Constitution, un tel accord ne peut être signé avant d’avoir été approuvé par le Parlement. La même insistance a été exprimée par le député Pierre Bou Assi (Forces libanaises) et Michel Moawad (Renouveau).

Alors que M. Berry faisait valoir que tout "accord" doit être avalisé par le Conseil des ministres, et laissait entendre que ce texte ne pouvait pas vraiment être qualifié d’accord, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil s’est voulu plus explicite. "Ce texte n’est pas un accord, il s’agit uniquement d’un échange de lettres avec les Nations-Unies", a-t-il déclaré.

La même position a été exprimée par le Premier ministre sortant Najib Mikati, qui a rappelé que le Parlement a approuvé en 2011 la délimitation de la Zone économique exclusive libanaise. "Nous n’avons pas modifié les frontières, donc pas besoin de revenir au Parlement", a-t-il lancé.

Ces justifications ont été rejetées par le député Samy Gemayel (Kataëb), qui a souligné que "ce texte est un accord entre deux parties, l’État libanais et l’État israélien, et nous avons le droit de l’examiner au Parlement".

La discussion en est restée là, et le président Berry a rapidement entamé l’examen des cinq projets de loi qui figuraient à l’ordre du jour. Les deux premiers, relatifs à des indemnités à l’armée et aux forces de sécurité intérieure, ont rapidement été votés.

Le troisième, concernant un prêt de 150 millions de dollars de la Banque mondiale consacré au blé, est passé sans grande discussion. Le quatrième, relatif également à un prêt de la Banque mondiale consacré à la réponse au Covid-19, a été approuvé après des précisions du gouvernement sur son utilisation.

Le secret bancaire

Quant au cinquième texte, qui est en fait la raison essentielle justifiant la tenue de cette séance législative, son étude a duré plus de deux heures. Il s’agit du décret 10016, en vertu duquel le président de la République Michel Aoun a rendu au Parlement, pour une seconde lecture, la loi aménageant le secret bancaire, approuvée le 26 juillet dernier.

La levée du secret bancaire est l’une des principales exigences du Fonds Monétaire International, qui avait désapprouvé la version votée il y a trois mois.

Les différents blocs ont exprimé leurs positions mardi, critiquant le fait que le gouvernement envoie des textes individuels et s’abstient de soumettre à la Chambre un plan global.

Certains députés ont proposé d’oublier le texte qui leur a été rendu, et de procéder différemment pour aménager le secret bancaire. D’autres parlementaires ont critiqué le FMI, notamment Melhem Riachi (FL) qui a estimé que cette institution devrait déléguer des représentants plus expérimentés que ceux qui dialoguent avec le Liban, "et qui sont plus jeunes que la crise libanaise".

Ce à quoi M. Berry a répondu que "ces propos sont dangereux au Parlement", ajoutant : "Je ne suis les ordres de personne. Je recherche l’intérêt du Liban. Ni le FMI ni personne d’autre ne peut contrôler le Liban. Le secret bancaire doit être levé pour que les corrompus soient punis".

Le député Ali Fadlallah (Hezbollah) a pris soin de ramener toute l’attention des députés sur le texte renvoyé par le président Aoun, rappelant que l’article 57 de la Constitution stipule que la Chambre se doit d’examiner tout texte de loi renvoyé par le chef de l’État, avant de l’approuver ou l’amender.

Un à un, les articles ont été examinés. Ils ont été approuvés, avec de légers amendements. La date de l’effet rétroactif a été fixée à 1988, au lieu du 22 novembre 1989, suite à une intervention du député Marwan Hamadé.

Les principaux amendements concernent la définition des appareils judiciaires et des instances concernées par la demande de la levée du secret bancaire, sachant qu’un décret ministériel doit définir des garde-fous pour préserver les données personnelles.

Les élections matinales

Pour en revenir à la séance matinale, il va sans dire qu’elle ne constituera pas un bon souvenir pour les membres du bloc parlementaire du Changement. D’une part, leurs tentatives d’obtenir davantage de sièges au sein du bureau de la Chambre et des commissions parlementaires n’ont pas abouti et ont démontré, à eux comme à leurs collègues et à tous les observateurs, qu’ils étaient bel et bien limités par leur nombre. D’autre part, les tractations qui ont précédé la séance de mardi, et se sont poursuivies pendant son déroulement, ont révélé les divergences du " groupe des 13 " et leur répartition en deux groupes : les durs d’un côté et les plus pragmatiques de l’autre. Sachant qu’en fin de compte, tous les "députés du changement" ont dû se rendre à l’évidence, et ont cessé de présenter des candidatures vouées à l’avance à l’échec. Cela leur a permis de "sauver les plumes" et de préserver leur présence au sein de la plupart des commissions dans lesquelles ils étaient déjà présents.

Un membre du bloc a cependant payé le prix de la confrontation tous azimuts lancée par ses collègues. Il s’agit d’Ibrahim Mneimé, qui a été écarté de la commission des Finances et du Budget, où il a été remplacé par Adnane Traboulsi (Ahbaches), qui ne s’attendait probablement pas à être élu.

Retrait de Doueihy

Un autre membre a créé la surprise en journée en annonçant son retrait du bloc. Il s’agit de Michel Doueihy, député de Zghorta, qui a écrit sur son compte Twitter : "Je suis entièrement hors du bloc du Changement dans sa forme actuelle. Je suis en faveur de la transformation du bloc en une rencontre consultative mensuelle (ou selon les besoins) avec une marge de liberté pour tous les députés sur toutes les questions".

Il a ajouté : "Après ce qui s’est passé depuis la séance du 31 mai, l’expérience du bloc doit s’achever, par respect pour les Libanais et nos électeurs, et par respect pour la politique. Bien sûr, nous resterons amis, mais pour moi, il y a une étape qui s’est terminée ".

Ce retrait est venu confirmer les divergences entre les membres du bloc, que plusieurs d’entre eux ne cachaient plus, tout en soulignant leur détermination à maintenir une certaine cohésion.

Les secrétaires

Comment tout cela est-il arrivé ? La séance avait en fait commencé par l’élection du bureau de la Chambre.

Dès son ouverture, et après une minute de silence observée à la mémoire du député Camille Ziadé, le président du Parlement Nabih Berry a invité les députés à élire les deux secrétaires de la Chambre. Il a précisé que si aucun candidat ne souhaitait se présenter, les secrétaires sortants Hadi Aboulhosn (Parti socialiste progressiste) et Alain Aoun (CPL) garderaient leurs postes.

" Je suis candidat ", a tout de suite annoncé Mark Daou (Changement). L’élection des membres du Bureau respectant généralement une répartition communautaire, M. Berry a demandé aux députés de voter pour Mark Daou ou Hadi Aboulhosn (tous les deux druzes). "Moi aussi je suis candidat", a déclaré le député Elias Hancache (Kataëb). Le chef du Parlement a indiqué que le vote pour M. Alain Aoun ou Elias Hancache (tous les deux maronites) sera organisé par la suite. Il n’a pas pu s’empêcher de lancer " allez-y, perdez autant de temps que vous voulez ".

Pendant que les 118 députés présents glissaient leur bulletin dans l’urne, afin de choisir le premier secrétaire, M. Hancache s’est approché d’Alain Aoun, avec lequel il a eu une petite discussion. Le dépouillement n’a pas été trop long, les bulletins ne comprenant qu’un seul nom. Le score a ensuite été annoncé : 85 voix pour Hadi Aboulhosn, 30 pour Mark Daou et trois bulletins blancs.

Alors même que le candidat malheureux félicitait celui qui avait été réélu, et que ce dernier l’en remerciait, M. Hancache a annoncé qu’il retirait sa candidature. Cela a permis à Alain Aoun de maintenir son poste.

Les commissaires

Après les secrétaires, les commissaires. Une seule nouvelle candidature a été présentée, celle de Paula Yacoubian (Changement). Alors que deux des commissaires, Michel Moussa (grec-catholique, bloc du président Berry) et Abdel-Karim Kabbara (sunnite, indépendant) ont été réélus d’offices faute de rivaux, les députés ont voté pour choir entre les deux députés arméniens, Mme Yacoubian et le commissaire sortant Hagop ¨Pakradounian (Tachnag).

Mme Yacoubian a obtenu 23 voix, et M. Pakradounian a été réélu avec 85 voix, alors que sept bulletins blancs ont été retrouvés dans l’urne et deux autres ont été annulés.

Vote en commissions

Si l’élection des membres du Bureau a été plutôt rapide, celle des membres des commissions allait s’avérer interminable. La première commission, celle des Finances et du Budget, comptant 17 membres, le dépouillement et la lecture des noms inscrits sur chaque bulletin a duré près de deux heures.
L’élection a eu lieu après l’annonce, de nouveau, par Mark Daou, de sa candidature. Il a été suivi par Adnan Traboulsi.

Alors que certains députés, notamment Samy Gémayel, protestaient contre la procédure d’élection des membres des commissions, qui allait nécessairement profiter à la majorité parlementaire, aux dépens de plus petits blocs, le président Berry s’est empressé de déclarer : "Il n’y a pas de majorité dans ce Parlement, et tout député peut assister aux réunions de toutes les commissions".

Lors du dépouillement, deux tendances se sont vite dégagées. D’abord, de nombreux députés ont rayé le nom d’Ibrahim Mneimné (Changement) et l’ont remplacé par celui de Adnan Traboulsi. Ensuite, plusieurs bulletins avaient la particularité de comporter les noms des actuels membres de cette commission, à l’exception de ceux des députés du mouvement Amal et du Hezbollah.

Résultat du vote : Les députés du Changement, qui ont voulu obtenir un membre de plus, à savoir Mark Daou, ont perdu le seul qu’ils avaient au sein de cette commission, Ibrahim Mneimné. Les scores étaient assez significatifs : 22 voix pour M. Daou, 44 pour M. Mneimé et 60 pour M. Traboulsi. D’autres députés ont obtenu beaucoup plus de voix, à l’instar de Raji Saad (109), Ghada Ayoub (108) ou Jean Talouzian (107).

De son côté, le député Michel Moawad, candidat à la présidence, a obtenu 100 voix. Lors du dépouillement, qui avait semblé très long aux députés, Hadi Aboulhosn avait tenté de dérider l’atmosphère en précisant que M. Moawad avait déjà dépassé les 86 voix, en allusion aux deux-tiers de la Chambre. Ce chiffre, on rappelle, est requis pour garantir le quorum lors de l’élection présidentielle, ainsi que pour l’élection du président dès le premier tour.

La réponse du Hezbollah à cette remarque n’a pas tardé, par la voix du député Hassan Fadlallah, qui a précisé que M. Moawad a obtenu ce score "comme membre d’une commission seulement".

Tractations

Après l’élection des membres de la commission des Finances et du Budget, les députés devaient passer à celle de l’Administration et de la Justice. Une autre députée du bloc du changement, Halimé Kaakour, a annoncé sa candidature.

Réagissant à cela, le président Berry a rappelé que des tractations ont eu lieu avant la séance, par l’intermédiaire du vice-président du Parlement Elias Bou Saab, pour encourager les députés non représentés dans des commissions, et notamment les députés de la contestation, à une entente qui leur garantirait les sièges qu’ils souhaitent dans les commissions, et éviterait d’interminables élections. Ces efforts ont échoué dimanche soir, a souligné le chef du Législatif, alors même qu’il était disposé à leur assurer les sièges requis aux dépens de membres de son propre bloc, à condition que ce soit dans le cadre d’une entente globale qui concerne toutes les commissions.

Certains membres, notamment Melhem Khalaf, se sont montés réceptifs à cette offre. Mais ça n’a pas été le cas d’autres députés de la contestation. Mme Kaakour ayant refusé de retirer sa candidature, les élections de la commission de l’Administration et de la Justice se sont poursuivies. Pendant que le vote se déroulait, le député Waddah Sadek se concertait avec le président Berry. Il est parvenu à un accord en vertu duquel les députés du changement garderaient les sièges qu’ils ont au sein des commissions, et arrêteraient de se porter candidats à toutes les commissions. L’accord n’englobe cependant pas les commissions où une élection a déjà eu lieu, notamment celle des Finances, semble-t-il.

Alors que Mme Kaakour a obtenu 18 voix, et n’a donc pas été élue, les autres commissions ont réélu leurs membres d’office.

On rappelle que le Parlement actuel, issu des législatives de mai 2022, avait procédé en mai et juin derniers à l’élection de son président, de son vice-président et des membres de son bureau, ainsi que des présidents, rapporteurs et membres des commissions parlementaires. Mais à l’ouverture de la session d’automne, en octobre, la Chambre élit traditionnellement les membres de son bureau et des commissions parlementaires.