La conférence sur Taëf, organisée samedi à l’Unesco par l’ambassade d’Arabie Saoudite, accompagne un regain d’intérêt saoudien pour le Liban. L’Arabie, à l’instar des puissances occidentales, est consciente du fait que l’Iran a la haute main sur la situation au Liban, mais entend contribuer sur "ce terrain iranien" aux solutions à la crise, auxquelles le Hezbollah lui-même ne serait pas réfractaire.

L’ambassade d’Arabie saoudite organise samedi à l’Unesco une conférence consacrée au document d’entente nationale de Taëf, dont le 33ᵉ anniversaire est célébré cette année. Ce document, avalisé dans la province saoudienne éponyme, n’est pas inclus en tant que tel dans la Constitution, mais comporte des amendements constitutionnels retenus par le Parlement en 1990, donnant ainsi le coup d’envoi de la IIᵉ République. Il marque surtout la fin de la guerre de 1975 sur base d’une reconnaissance chrétienne de l’arabité du Liban et d’une adhésion musulmane à la pérennité de l’entité libanaise, rappelle l’ancien député Farès Souhaid à Ici Beyrouth.

La conférence se tient dans un contexte de remise en cause de la Constitution et du document de Taëf, sous l’impulsion du Courant patriotique libre, et implicitement du Hezbollah, s’accompagnant d’initiatives de dialogue, intérieures et extérieures, qui font craindre une révision du système.

L’événement prévu vise à rappeler l’importance du document en question en tant que "contrat national" de paix, selon l’expression de M. Souhaid.

La communiqué conjoint saoudo-franco-américain

Le fait que ce soit l’ambassade saoudienne qui l’organise a aussi en soi plus d’une signification. "Cet événement s’inscrit dans la continuité de la position adoptée le 23 septembre dernier en marge des travaux de l’Assemblée générale de l’ONU sous forme d’un communiqué conjoint saoudo-franco-américain en soutien à Taëf, à la Constitution libanaise et aux résolutions internationales" concernant la crise libanaise, indique Farès Souhaid, président du Conseil national de la levée de l’occupation iranienne au Liban. La conférence de samedi "est le premier événement politique qui traduit dans la pratique ce communiqué par l’un des trois États qui en sont les auteurs", ajoute-t-il.

Concrètement, l’Arabie saoudite s’affirme comme gardienne de Taëf, ce qui n’est pas sans porter d’abord des effets au niveau diplomatique. C’est une manière de répondre à l’initiative récente, étouffée dans l’œuf, de l’ambassade suisse, via une organisation non gouvernementale, de convier différentes parties à un dialogue autour de la crise économique et politique.

L’Arabie entend donc rappeler d’emblée que si un réexamen de Taëf doit avoir lieu, il ne le sera que sous son égide, en vertu d’un certain parallélisme des formes, en partenariat avec la France et les États-Unis.

"Le Liban, terrain iranien où l’Arabie fait pression"

Cet acte de présence accompagne un regain d’intérêt saoudien pour le Liban. L’Arabie, à l’instar des puissances occidentales, est consciente du fait que l’Iran a la haute main sur la situation au Liban – l’accord sur le tracé de la frontière maritime, essentiellement américano-iranien, serait une reconnaissance tacite du Hezbollah par Washington, comme son interlocuteur effectif au Liban.

Bien que consciente de cet état des lieux, l’Arabie aurait compris qu’il vaut mieux qu’elle soit présente qu’absente du Liban. "L’Arabie a compris qu’elle ne peut pas tourner le dos au Liban, lequel la rattrapera" de différentes manières, explique à Ici Beyrouth le journaliste Ali al-Amine.

Cela, à la différence toutefois que désormais "Riyad voit dans son implication sur le terrain libanais, l’opportunité de faire pression sur l’Iran, plutôt que de subir une pression de la part du camp du Hezbollah", explique-t-il. Autrement dit, "le Liban est un terrain iranien où l’Arabie fait pression", dit-il. Le Royaume maintient donc une certaine présence sans prendre de risques coûteux.

La conférence sur Taëf en serait une manifestation.

Sur le fond, la question se pose de savoir comment Taëf serait un outil de pression face à l’Iran. Le Hezbollah veut-il vraiment d’une révision constitutionnelle?

Les médias du 8 Mars, ayant annoncé l’événement de l’Unesco, assimilent toute initiative saoudienne en faveur de Taëf à une tentative de circonscrire les armes du Hezbollah, voire de les éliminer, puisque le document prévoit de désarmer les groupes présents sur le territoire libanais.

Mais cette position déclarée du 8 Mars paraît autant exagérer l’importance de l’initiative saoudienne, qu’occulter "l’état d’incertitude" où se trouverait le Hezbollah, de l’avis d’opposants au parti pro-iranien. En effet, le Hezbollah ayant complété sa mainmise au Liban, n’aurait (paradoxalement) pas intérêt à faire usage de sa force militaire, ni ne serait programmé à gérer la situation économique, explique Ali al-Amine. Il chercherait donc à provoquer, par le chaos ou d’autres moyens, une action diplomatique internationale qui amènerait un consensus national, mais sous ses conditions. Il aurait dès lors besoin de toute contribution étrangère à cette fin, y compris saoudienne.

Le blocage de la présidentielle est symptomatique de cet attentisme du Hezbollah: l’absence jusqu’à nouvel ordre d’un candidat du 8 Mars à la présidentielle serait le signe que le parti armé pro-iranien, pourtant capable d’imposer un président issu de son camp, est conscient des retombées d’un tel choix. Il plancherait donc pour un candidat consensuel, comme l’a affirmé d’ailleurs le secrétaire général du Hezbollah, mais un candidat "qui souscrive à ses conditions", relève Ali al-Amine.

Cette retenue du parti chiite de se mettre en avant, en dépit de sa supériorité militaire, déteint aussi sur son rapport à Taëf. Pour Farès Souhaid, après le tracé de la frontière maritime avec Israël, la question est de savoir "si le Hezbollah s’orientera vers l’action politique après avoir garanti sa présence militaire, en légalisant ses armes par un vote au Parlement".

Une répartition du pouvoir par tiers (sunnite-chiite-chrétien) par opposition à la parité islamo-chrétienne instaurée par Taëf serait une velléité du Hezbollah depuis la réunion de la Celle-Saint-Cloud en 2007, ajoute-t-il. Mais pour Ali al-Amine, le Hezbollah n’y aurait pas intérêt puisque la marche institutionnelle est dictée par des pratiques extra-légales dont il est l’arbitre. "Le Hezbollah renoncerait à tout sauf à son arsenal, qui signerait sa fin", ajoute le chiite démocrate.

Faible dynamique interne en faveur de Taëf

Cela ne l’empêche pas, néanmoins, de dénaturer le texte et de s’employer à en empêcher l’application, par l’intermédiaire de son allié chrétien, le Courant patriotique libre. Si bien qu’à l’heure actuelle, "une confusion a été semée dans les esprits, entre crise nationale et accords de Taëf", explique M. Souhaid.

L’absence de contrepoids politique chrétien solide à la surenchère aouniste sur les prérogatives du président de la République sous-tend le constat de différents observateurs sur un affaiblissement avéré, de facto, de Taëf.

Cette faible dynamique interne en faveur des textes expliquerait en partie, selon Farès Souhaid, que c’est l’Arabie qui organise une conférence sur Taëf plutôt que des parties internes amies du Royaume.

En dépit de craintes formulées par certaines voix favorables à Taëf, comme l’avocat Hassan Rifaï, à Ici Beyrouth, d’une entente tacite saoudo-franco-américaine de revoir, in fine, le texte plutôt que de le préserver, la position saoudienne serait à recentrer autour d’une volonté de préserver l’essence de Taëf. "Le message saoudien est le suivant: cet accord soutenu par les Saoudiens en 1989 reste jusqu’à nouvel ordre valable pour sortir le Liban de la crise, avec une couverture arabe", explique Farès Souhaid. Des milieux diplomatiques occidentaux continuent de poser d’ailleurs comme condition à une révision des textes, leur bonne application préalable.

Et, dans ce contexte, la conférence sur Taëf viendrait confirmer le rôle de l’Arabie comme "partie à la solution politique de la crise", dans l’esprit pacificateur de Taëf, relève Ali al-Amine. La présence confirmée à l’événement de Lakhdar Brahimi, diplomate algérien ayant mené les pourparlers avec les différentes parties libanaises pour le compte de la Ligue arabe préalablement à la conclusion de l’accord de Taëf, servirait cet objectif.