L’émissaire français, Pierre Duquesne, chargé de la coordination du soutien international au Liban, s’est rendu à Beyrouth, lundi dernier, pour une mission diplomatique qui a duré trois jours, dans le cadre des efforts menés par Paris pour sortir le pays du Cèdre de sa crise, exacerbée par un blocage politique sur le plan interne et par des tensions diplomatiques avec les pays du Golfe sur le plan externe.

M. Duquesne était au Liban pour un suivi des réunions de Jeddah (tenues entre le président français, Emmanuel Macron, et le prince héritier saoudien, Mohamad ben Salmane au début du mois de décembre) ; ainsi que pour “un suivi des avancées des discussions en cours avec le Fonds monétaire international (FMI), qui a pour but d’encourager les Libanais à progresser dans la mise en œuvre et l’application des réformes attendues par la communauté internationale”, selon une source diplomatique française. Cependant, les entretiens de l’envoyé français ont uniquement porté sur le volet économique de la crise libanaise, dans la mesure où il n’a rencontré que des responsables et autorités du secteur économique. De plus, Pierre Duquesne s’est abstenu de toute activité médiatique lors de son passage au Liban.

Rencontre avec le Premier ministre libanais

Le premier entretien de l’ambassadeur français était réservé au Premier ministre, Nagib Mikati. Ce choix, loin d’être anodin, a sans doute envoyé un message politique fort aux locataires de Baabda et de Aïn el-Tiné. Selon une source libanaise proche du dossier, cette décision est principalement motivée par le fait que les présidents de la République et de la Chambre, Michel Aoun et Nabih Berry, “assurent une couverture politique au Hezbollah”, dont le rôle déstabilisateur au double plan local et régional a été pointé du doigt dans le communiqué conjoint d’Emmanuel Macron et de MBS.

Dans ce contexte, il est utile de rappeler que le président Macron n’a toujours pas pris contact avec son homologue libanais Michel Aoun après sa visite en Arabie saoudite, alors qu’il était question de l’appeler dès son retour à Paris. Il n’en demeure pas moins que “l’appel aura bien lieu lorsque l’agenda des deux présidents le permettra”, note une source française. Emmanuel Macron s’était donc contenté d’appeler Nagib Mikati avec qui MBS s’était aussi entretenu à l’annonce de l’initiative franco-saoudienne. M. Mikati serait ainsi devenu de facto l’interlocuteur de Paris.
Cette théorie ne tient pas, estime pour sa part une source proche du cabinet Mikati. Selon elle, “M. Duquesne s’est réuni avec le Premier ministre car le gouvernement est en fonction. Si le gouvernement était démissionnaire, M. Duquesne se serait alors entretenu avec le chef de l’Etat”.

Pour revenir à la visite de M. Duquesne au Grand Sérail, celle-ci s’est axée autour de deux revendications: presser une reprise des réunions du Conseil des ministres, afin que ce dernier puisse finaliser et avaliser les projets sur lesquels s’attellent les comités ministériels, dans le cadre du processus censé permettre au Liban de sortir de sa crise, d’une part ; et s’assurer que “les négociations avec le FMI sont sur la bonne voie et que l’accord qui en résulterait permettra d’éventuelles discussions pour la tenue de la conférence CEDRE (Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises)” d’autre part.

Néanmoins, le gouvernement Mikati ”est pris en otage” pour reprendre les termes d’une source politique libanaise suivant l’affaire de près. Depuis le 12 octobre, le tandem Amal-Hezbollah tente de dessaisir le juge d’instruction, Tarek Bitar, de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, sous prétexte que M. Bitar serait en train de " la politiser ", puisqu’il avait engagé des poursuites contre des responsables politiques proches de leur camp politique. Par conséquent, M. Mikati serait en train de redoubler d’efforts pour convoquer le gouvernement à l’heure actuelle, au risque de provoquer une implosion de son équipe, même si elle n’aura pas lieu – comme il l’a expressément souligné vendredi – afin de déboucher sur un déblocage politique.
Quant aux tensions politiques et diplomatiques avec les pays du Golfe – facteur additionnel de l’aggravation de la crise gouvernementale – elles résultent, entre autres, de propos controversés de l’ancien ministre de l’Information, Georges Cordahi, qui avait critiqué l’intervention politique et militaire de l’Arabie saoudite au Yémen, lors d’une interview diffusée par la chaîne de télévision al-Jazira en octobre dernier.

Rencontres techniques

Lors de sa tournée à Beyrouth, M. Duquesne s’est entretenu avec plusieurs ministres du gouvernement Mikati, dont le vice-président du Conseil des ministres, Saadé Chami, le ministre des Finances, Youssef el-Khalil, le ministre de l’Economie et du Commerce, Amine Salam, le ministre du Transport et des Travaux publiques, Ali Hamiyé et la ministre du Développement administratif, Najla Riachi, soulignant ainsi le caractère “technique” des réunions effectuées.

Les réunions de l’émissaire français chargé de la coordination du soutien international au Liban, ont, pour la grande majorité, portées sur la mise en œuvre des réformes requises dans le cadre de l’initiative franco-saoudienne, parallèlement aux bilans relatifs aux différentes entrevues que les membres du cabinet Mikati auraient eues avec des instances et hauts responsables de la communauté internationale.

Menaces de sanctions

La menace de sanctions envers des responsables politiques libanais bloquant le système politique et l’application des réformes semble toujours être de mise, bien que les avis divergent à ce sujet. Selon une source précitée, “une vague de nouvelles sanctions s’abattra sur des hommes politiques libanais, car une dynamique internationale s’articule dans ce sens. Ceci se traduit notamment par la politique de zéro tolérance envers la corruption qu’adopte l’administration Biden-Harris”.

Pour sa part, Ziad el-Sayegh, expert en politiques publiques, pense que “l’infliction de sanctions ne se fera pas dans l’immédiat, mais qu’elle aura toutefois lieu. Il faudra s’armer de patience et d’optimisme, car c’est une bataille qui changera le cours de l’Histoire”. Cependant, une source proche du gouvernement, s’oppose à cette lecture des faits. Pour elle, “Paris n’ira pas jusqu’à infliger des sanctions, car il n’a pas l’intention d’aliéner Téhéran”.

Quoiqu’il en soit, le chemin à parcourir pour sortir le Liban de la crise reste long et tortueux. Il n’y a pour le moment aucune traduction concrète de l’initiative franco-saoudienne tant sur le plan économique que sur le plan politique. La communauté internationale réitère son soutien, comme l’a reporté plusieurs officiels libanais dans les médias, mais avec la condition que les principes énoncés dans le communiqué joint Macron-MBS soient appliqués dans leur intégralité.