Les dix séances parlementaires de 2022 n’ont pas abouti à l’élection d’un président de la République. Aucun rendez-vous n’a encore été fixé pour la prochaine séance.

Même si le Père Noël était présent jeudi dans l’hémicycle, lors de la dixième séance consacrée à l’élection d’un président de la République, les Libanais n’obtiendront pas cette année le cadeau souhaité, à savoir un nouveau chef de l’État apte à les sortir de la crise politique et socio-économique qui les oppresse. Le candidat déclaré à la présidence, Milad Abou Malhab, qui avait troqué, cette fois, ses vêtements aux couleurs du drapeau libanais pour un véritable costume de Saint Nicolas, bonnet inclus, a crié de joie lors du dépouillement des bulletins à la lecture de son nom. Il venait ainsi d’obtenir sa première voix, le bulletin de la semaine dernière ayant comporté une erreur, car le prénom inscrit était Faouzi, et non Milad.

Si M. Abou Malhab a gentiment été escorté hors des tribunes par les responsables de la sécurité du Parlement, pour avoir lancé un " Allah Akbar " tonitruant en pleine séance, les députés qui provoquent à chaque fois un défaut de quorum à l’issue du premier tour sont, eux, sortis volontairement de la salle, avant l’annonce des résultats du vote.

Il s’agissait principalement, sans surprise, de membres du bloc du Hezbollah qui en quelques minutes ont vidé les deux rangs qu’ils occupent généralement. Quelques autres députés alliés, notamment du mouvement Amal, les ont rejoints. Il n’en fallait pas plus, puisque 19 parlementaires s’étaient absentés de la séance.

Pour ce qui est des votes des 109 députés présents, ils ont continué à refléter le bras de fer entre les blocs et députés souverainistes (Forces libanaises, Parti socialiste progressiste, Kataëb, Renouveau et indépendants) qui votent en faveur du député Michel Moawad, et les élus du 8 Mars (Amal, Hezbollah, Marada et alliés) qui déposent des bulletins blancs.

Crédit photo : Ali Fawaz

Moawad dépasse les blancs

On peut toutefois relever deux faits notables : d’abord, et pour la première fois, les voix du candidat Moawad, 38, ont dépassé le nombre de bulletins blancs, 37. Ensuite, le bloc aouniste a choisi de se démarquer plus clairement de ses alliés du 8 Mars, auxquels il s’était joint lors des huit premières séances en votant blanc.

Après avoir réparti la semaine dernière ses votes, en glissant notamment quelques bulletins portant le prénom Michel, ou le nom Moawad, ainsi que d’autres votes qui ne changent rien à la donne, cette fois-ci, neuf députés du Courant patriotique libre ont voté en faveur du " Pacte ", en référence au Pacte national (1943) sur le partage communautaire du pouvoir. Ghassan Atallah, député du CPL, a d’ailleurs confirmé que ce sont les députés de son bloc qui ont glissé ces bulletins dans l’urne, soulignant que  " tout procédé qui n’est pas conforme au Pacte et au partenariat politique porte atteinte à la formule libanaise " . Cet attachement au Pacte et au " partenariat ", notent des observateurs, était loin d’être clair dans les relations du CPL avec ses " partenaires " précisément, et les Premiers ministres qui se sont succédé pourraient tous témoigner de l’ingérence des dirigeants du CPL dans les prérogatives de la présidence du Conseil.

Les autres votes se sont répartis comme suit: 8 pour le professeur Issam Khalifé (des députés du Changement et le député de Saïda, Oussama Saad), 2 pour l’ancien ministre Ziad Baroud (dont un déposé par le vice-président du Parlement Elias Bou Saab), 2 pour l’ancien député Salah Honein (dont un déposé par le député Michel Doueihy, qui avait déjà voté pour lui lors de la dernière réunion), 1 pour Chafic Merhi (ancien directeur des douanes, arrêté dans l’affaire de l’explosion au port le 4 août 2020), 2 bulletins avec la mention " l’entente " (dont un déposé par Faycal Karamé) et 6 bulletins avec la mention " Liban nouveau " (déposés par le bloc de la Modération nationale) .

Trois bulletins ont été annulés, parmi lesquels un vote en faveur de Martin Luther King (symbole de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis), un autre mentionnant " les priorités présidentielles " et un troisième portant ce commentaire : " C’est une mascarade ".

Ce terme est d’ailleurs utilisé par de nombreux députés pour décrire ces séances, qui se déroulent toutes selon le même scénario.

Chamoun : la mafiocratie et l’Iran

Le député Camille Chamoun, président du Parti national libéral, a ainsi dénoncé, dans une déclaration à Ici Beyrouth "la parodie" qui se joue au Parlement, "et qui montre l’absence de volonté d’élire un président capable et réformiste". Il a en outre souligné que " la mafiocratie " et l’Iran bloquent la présidentielle libanaise.

La séance de ce jeudi a également été marquée par sa rapidité, en raison notamment du fait que, mis à part quelques plaisanteries, aucun député n’a pris la parole, avant ou après le vote.
Quant aux prises de position dans le hall, à la fin de la séance, elles étaient également limitées.

Des députés du 8 Mars, notamment Ali Hassan Khalil (Amal), ont de nouveau appelé à un dialogue en vue d’un accord sur un candidat de compromis.

Pour sa part, le député Michel Moawad a indiqué que l’année se terminera en l’absence d’un chef de l’État, relevant que ce sont malheureusement les citoyens qui en paient le prix chaque jour qui passe. Il a de nouveau appelé les forces de l’opposition à unifier leur attitude, soulignant que sa candidature vise, depuis le début du processus électoral, à libaniser cette échéance. " Je vais profiter de ces trois semaines pour poursuivre mes contacts avec les forces politiques, en espérant qu’il y ait un nouveau président en début d’année ", a-t-il ajouté.

Crédit photo : Ali Fawaz

Prochaine séance ?

En levant la séance, le président Berry n’a pas fixé la date de la prochaine session plénière et a souhaité de " bonnes fêtes " aux députés.

Jeudi dernier, il avait indiqué qu’il pourrait transformer la séance du 15 décembre en une réunion de dialogue parlementaire, si les blocs et députés acceptent cette proposition, sinon ce serait la dernière séance électorale de l’année. La table de dialogue ayant été rejetée par les blocs des Forces libanaises et du CPL, le chef du législatif a annoncé qu’il s’agirait d’une séance électorale.

Notons qu’à l’issue d’une réunion, mercredi, avec le président Berry, M. Bou Saab avait indiqué avoir "perçu" que la situation actuelle ne durera pas éternellement. "Un délai est accordé aux discussions en vue d’une entente, mais passé ce délai, des efforts différents et sérieux seront déployés dès le début de l’année prochaine ", avait-il souligné.

Crédit photo : Ali Fawaz

De quels efforts "différents" est-il question ? À quand la prochaine séance électorale ? Qu’adviendra-t-il de la proposition de dialogue? Un nouveau président sera-t-il élu en début d’année? De qui s’agira-t-il ? Il est très difficile, pour l’heure, d’apporter des éléments de réponse à l’ensemble de ces interrogations.

Crédit photo : Ali Fawaz

En attendant de voir ce que le vrai Père Noël apportera aux Libanais, les députés qui sortaient du Parlement après la séance de jeudi, ainsi que les citoyens qui se trouvaient par hasard sur cette place, auront au moins eu un premier cadeau : une médaille dorée représentant le candidat Milad Abou Malhab, attachée à un ruban aux couleurs du drapeau libanais.