Le Hezbollah est-il un parti politique comme un autre ? Fait-il partie intégrante du paysage politique libanais. Ou bien serait-il une forme contemporaine des vieilles sectes à religion politique, dualistes à outrance et souhaitant mettre fin à l’Histoire afin de reconstituer, par la violence extrême, l’utopie d’un Age d’Or.

Les dernières déclarations du cheikh Naïm Kassem, secrétaire général adjoint du Hezbollah, ont fait l’effet d’une douche glacée. En substance, le vénérable personnage a affirmé que le Liban actuel est un modèle à suivre. " Que ceux qui ne sont pas satisfaits cherchent une autre solution ", a-t-il conclu.

Quelle solution à part la noyade en mer ? Certains observateurs chrétiens ont voulu voir dans des propos aussi outranciers un appel du pied pour une formule fédérale et s’en sont réjouis. Ils ne connaissent pas le Hezbollah et sa détermination inflexible à faire du Liban une société guerrière dominée par une caste aristocratique de combattants qui font la pluie et le beau temps. Vous n’êtes pas content de vivre dans l’enfer de l’ordre noir ? Alors, partez. C’est précisément ce que les conquérants sionistes ont dit au peuple de Palestine.

Doit-on craindre une expulsion massive de tous ceux qui refusent de vivre dans l’univers des illuminés iraniens de l’apocalypse générale ? Ce n’est pas impossible car tout indique que de telles gesticulations expriment une nouvelle montée aux extrêmes. Nous avons connu les assassinats individuels successifs. Nous avons connu toutes les formes possibles de la terreur.

Nous avons assisté, sans dire un mot, au démantèlement de l’État libanais et de toutes ses institutions. Nous avons pleuré la ruine de tout ce dont nous étions fiers : nos universités, notre secteur bancaire, nos hôpitaux, nos infrastructures. Nous avons même applaudi la complicité de certains responsables qui ont facilité la tâche à l’étranger.

Naïm Kassem ose affirmer que quiconque n’accepte pas le fait accompli n’est pas digne d’être Libanais. Nous disons à Naïm Kassem et aux siens que nous sommes sur cette terre depuis bien avant la révolution islamique d’Iran. Nous lui affirmons qu’il ne fait pas partie intégrante de notre corps politique, de même que les opportunistes qui lui servent de feuille de vigne.

Il est temps de comprendre que le Hezbollah n’est pas un parti politique libanais mais une secte millénariste, apocalyptique, eschatologique. Nous sommes face à un vaste mouvement millénariste qui s’enracine dans le vieux dualisme des anciennes religions de l’Iran.

Tout ce qui existe, tout phénomène, manifeste le combat permanent entre le dieu de Lumière (Ahura Mazda) et celui de Ténèbres (Ahriman). Certains intellectuels occidentaux, notamment parisiens, ont cru voir dans la cosmogonie iranienne un écho de la gnose judéo-chrétienne qui a tant marqué l’Occident depuis le Moyen-Age et fortement influencé la sécularisation du Christianisme et le développement de la science moderne. Bref, ces érudits d’Occident se sont peut-être vus dans le miroir de cette pensée iranienne revisitée par la pensée de Karl Marx et la pulsion révolutionnaire de Lénine.

Les premiers gnostiques avaient " mal au monde " qui leur semblait étranger. Ces oiseaux en cage n’avaient d’autre souhait que de rentrer en eux-mêmes pour se libérer de cette matière qui les emprisonne. Les idéologies contemporaines ont abandonné la transcendance pour réaliser leur " parousisme " : accomplir le paradis sur terre. Leur plus grave danger est qu’ils reposent sur un monde rêvé dont ils souhaitent hâter la venue par la violence extrême.

Telle est l’idéologie des mollahs de Téhéran. Elle s’abreuve à la même source de la haine du monde de la matière. L’originalité de leur " parousisme " c’est leur conviction que, dès l’origine, la Création souffre d’une erreur qui a mélangé la lumière aux ténèbres. L’entité cosmique qu’ils attendent ne semble pas être de type messianique, un sauveur, mais une sorte d’ange de l’apocalypse qui viendra séparer la lumière des ténèbres et rétablir ainsi le monde dans sa clarté et sa beauté originelle.

Le but final de Naïm Kassem et des siens est justement cette parousie, cette fin de l’Histoire; non pour inaugurer un nouvel ordre du monde mais pour le ramener à son point de départ et reconstituer l’Age d’Or que la Création aurait raté.

Et le Liban dans tout cela ? Il ne compte pas parce qu’il n’existe pas comme État de droit. D’ailleurs quel sens pourrait avoir la règle du Droit pour cette aristocratie guerrière qui est là pour penser à votre place, pour satisfaire vos supposés besoins avant même que vous ne les exprimiez.

L’histoire humaine fourmille de tels exemples de sectes à religion politique. L’erreur impardonnable c’est de s’imaginer qu’une religion politique est un parti politique avec lequel on peut faire des compromis. Autant vouloir l’enfer sans le diable.