Depuis que la crise des déchets a éclaté en 2015, le Liban peine à préserver ses ressources naturelles, ainsi que la santé de ses citoyens. La méthanisation des déchets organiques se présente comme l’une des solutions majeures au problème. Elle permettra aussi de régler les problèmes des secteurs énergétiques et agricoles.

Incinération à l’air libre, abandon dans les décharges ou enfouissement sous terre. Tel est le destin des déchets au Liban, où plus de 40% des ordures finissent sans aucun traitement dans des décharges à ciel ouvert. Moins de 8% des déchets ménagers sont traités. En 2018, la dégradation de l’environnement causée par la mauvaise gestion des déchets a coûté au Liban 4,4% du PIB, soit l’équivalent de 2,39 milliards de dollars.

Une situation grave qui a poussé la Banque mondiale à financer un projet visant la "réduction de polluants organiques persistants non intentionnels grâce à la gestion des déchets dans une économie circulaire", dans certaines régions du Liban-Nord et du Liban-Sud. Un accord a été récemment signé à cet effet entre le ministre sortant de l’Environnement, Nasser Yassine, et le directeur des opérations de la Banque mondiale (BM) pour le Moyen-Orient, Jean-Christophe Carret. D’une valeur de 8,86 millions de dollars, ce projet vise à réduire les émissions nocives provenant de la combustion à l’air libre des déchets solides, améliorer la gestion de ces déchets, et réduire l’exposition aux substances dangereuses des habitants des régions qui en profiteront.

Et pour cause, puisque lors des dernières années, les décharges et les incinérateurs de déchets solides à ciel ouvert ont augmenté de manière considérable au Liban. Un rapport de Human Rights Watch, rendu public en 2017, faisait état de près de 941 décharges sauvages dont 150 qui étaient incendiées de manière régulière. Or, la combustion à l’air libre de déchets solides libère des polluants organiques persistants non intentionnels (POP). Ce sont des polluants chimiques dangereux, reconnus comme une menace pour la santé humaine et les écosystèmes dans le monde. À cela s’ajoutent des résidus qui s’infiltrent dans les ressources hydrauliques.

Un grand danger

Le projet de la Banque mondiale est d’autant plus important que les décharges libanaises sont de véritables désastres écologiques. Les déchets y sont entreposés de façon aléatoire, sans tri ni traitement. Ces conditions d’entreposage, ainsi que les précipitations, entraînent l’infiltration dans le sol des matières organiques, des polluants chimiques, des métaux lourds et des radionucléides formant le lixiviat (liquide résultant des déchets, qui est polluant, toxique et dangereux).

Le lixiviat évolue en cinq phases. Durant la première, l’humidité des déchets bouche les alvéoles du sol, ce qui va accélérer la digestion anaérobie (fermentation) des déchets et décupler leurs émanations, formant ainsi le lixiviat (deuxième phase). Lors de la troisième phase, la fermentation des déchets rend le milieu, supposé être neutre, acide. Au cours de la quatrième phase, une méthanisation (formation de méthane et de gaz carbonique – CO2) a lieu, rendant le milieu basique. Ces changements de milieux acidobasiques (passage d’un milieu acide à un autre basique et vice versa) favorisent les réactions chimiques. Il y aura alors un phénomène de précipitation de métaux lourds. Durant la cinquième phase, dite de maturation, les polluants se fixent dans le lixiviat. La qualité du lixiviat et le passage de la première à la dernière phase dépend de la nature des déchets et du volume des précipitations.

Pour empêcher que le lixiviat ne s’infiltre dans les sous-sols et les nappes phréatiques, le sol des décharges est souvent recouvert de bâches en plastique. "Cette solution n’est pas très efficace car elle dépend de la qualité et de l’épaisseur des bâches et surtout de la quantité de déchets stockés", explique à Ici Beyrouth Judy Zeineddine, consultante dans le domaine de la gestion des déchets solides. "Si la bâche se déchire ou devient perméable, le lixiviat contaminera les sous-sols et les nappes phréatiques, poursuit-elle. Ces contaminants génotoxiques (substances capables d’altérer le génome d’êtres vivants) et carcinogènes ont un impact négatif aussi bien sur l’être humain que sur l’environnement."

Une ressource précieuse

Depuis que la crise des déchets a éclaté en 2016, après la fermeture de la déchargé de Naamé, plusieurs solutions ont été avancées, sans qu’aucune n’aboutisse. "Il n’existe pas de solution miracle pour la crise des déchets", avance Zeina Hobeika, cheffe de département de sciences de la vie et de la terre – biochimie à la faculté des sciences de l’USJ et chercheuse dans le domaine de la conversion déchet-énergie. Elle prône une "approche intégratrice" du problème qui prenne en compte tous les aspects du problème. "Il est capital que la population réduise, recycle et réutilise ses déchets, insiste-t-elle. Vu que la majorité des déchets au Liban sont organiques (80% selon des études, NDLR), donc riches en eau, la méthanisation constitue l’une des principales solutions qui devrait faire partie d’un plan d’action de l’État. La méthanisation est une technique qui consiste à fermenter les déchets organiques afin de produire du méthane et du digestat (reste de déchets organiques après méthanisation utilisés comme engrais). Le méthane produit pourrait être utilisé pour le chauffage ou pour produire de l’électricité."

Selon Mme Hobeika, ce qui rend cette solution intéressante, c’est le fait qu’elle touche à trois des secteurs les plus problématiques au Liban: ceux des déchets, de l’énergie et de l’agriculture. "Nous avons entamé en 2013, des études sur la méthanisation avec le marc de raisin, qui s’est avéré très prometteur, se félicite-t-elle. Nous avons également développé et optimisé la méthanisation du marc d’olive et de café, ainsi que des déchets des pommes de terres et des industries laitière et aviaire. Ce sont les secteurs les plus actifs de l’industrie agroalimentaire au Liban. L’idée était de créer un centre de méthanisation dans la Békaa (et ensuite dans tout le pays) où tous les déchets seraient centralisés pour fournir, de façon équitable, de l’électricité gratuite à tous les industriels. Il y a quelques années, une étude de faisabilité a été entamée, mais le projet a été suspendu en raison des crises."

Il convient de noter que plusieurs pays, comme la France, appliquent déjà cette technique et la développent surtout depuis la guerre en Ukraine.

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