"Le Hezbollah et l’ensemble des chiites au Liban sont face à un choix. Choisir la démocratie et le Liban, ou faire, eux-mêmes, le choix du pire." Emmanuel Macron ne pouvait être plus clair. Il n’avait pas manqué, en septembre 2020, d’interpeler nommément ceux qui jouent avec le feu. Mais peine perdue! D’ailleurs, qui aurait pu croire qu’ils allaient s’amender?

Qui a dit que le Hezbollah cherchait la confrontation? Le dimanche 25 décembre, et par ses soins, fut livré aux autorités libanaises l’assassin présumé de Sean Rooney, le casque bleu irlandais de la Finul tombé à Al-Aqibiya. Tout ça pour vous dire que le parti des mollahs iraniens joue franc jeu. Aussi toutes les supputations quant à la survenue de "trois incidents successifs"1, deux au sud et un à Beyrouth, l’impliquant dans une quelconque conjuration, n’auraient-elles été que vues de l’esprit et insinuations malveillantes. Et c’est d’autant plus évident que la vive polémique qui s’en est suivie a été "menée essentiellement par des parties chrétiennes"2.

Par le sang versé.

Politique du pire ou du bord du précipice?

La rumeur court et accuse le Hezbollah, et par extension son affidé le mouvement Amal, de pousser le pays à la dérive pour pouvoir s’en emparer ou, au figuré, pour n’avoir plus qu’à se baisser pour le ramasser. Et à y regarder de plus près, le tandem chiite semble procéder sur deux axes principaux, en adoptant:

– d’une part, une attitude négative, même si parée d’une certaine régularité formelle, attitude qui vise à "gripper la machine" de l’État. Un exemple: les multiples procédures dilatoires visant à paralyser une saine administration de la justice dans l’affaire de la double explosion du 4 août. Un autre exemple: le blocage du scrutin présidentiel dans la stricte application des textes constitutionnels relatifs au quorum et à la majorité. En se retranchant derrière un usage abusif du droit, en manœuvrant au bord du précipice, il ne viendrait cependant pas à l’idée de ce tandem de tuer la poule aux œufs d’or, le Liban pouvant encore servir de paravent à ses activités réprouvées sur la scène mondiale.

– d’autre part, une attitude volontariste sur le terrain faite d’incitations ou de recours à la violence, comme pour se rappeler à notre bon souvenir et à celui de la communauté internationale. Attentats, trafics, corruption, recel de brigands, mainmise sur des propriétés foncières, "rodéos urbains et férias de mobylettes" comme dirait l’autre, etc. Et tout cela, en toute impunité!

Est-ce bien là la "rupture démocratique" qu’on pouvait espérer de la part de Hassan Nasrallah, le suprême résistant, ou de Nabih Berri, le leader indémontable des déshérités?

En septembre 2020, le président Macron n’avait pas manqué de tenir à ces messieurs des propos qu’ils feraient bien de méditer: "Sur le Liban, il y a deux lignes aujourd’hui. Il y a une ligne qui est de s’engager derrière notre initiative (française). Il y en a une autre, qui est la politique du pire. Elle consiste à dire, qu’au fond, il faut déclarer maintenant la guerre au Hezbollah, que le Liban s’effondre avec le Hezbollah. J’ai décidé clairement de ne pas la suivre, car je pense qu’elle est irresponsable. Le Hezbollah et l’ensemble des chiites au Liban sont face à un choix. Choisir la démocratie et le Liban, ou faire, eux-mêmes, le choix du pire. La question est entre les mains du Hezbollah et du président Berry: voulez-vous la politique du pire aujourd’hui?"

Deux drapeaux ne peuvent coexister sous le même toit.

N’est-ce pas plutôt du "breadcrumbing"?

Par politique du pire, il faut entendre le choix de solutions exécrables, celles qui engagent un cycle de provocations-réactions et qui donnent du grain à moudre à la violence et à la surenchère3. Le but étant d’entraîner le pays sur une pente vertigineuse et d’accélérer sa déliquescence dans l’idée de tirer, le moment venu, les marrons du feu.

Peut-être bien que souffler le chaud et le froid, procède-t-il de ladite politique du pire? Roland Barthes4 aurait été en mesure d’analyser toute l’ambiguïté de l’action menée par le Hezbollah, lui le spécialiste de la relation amoureuse. Car il s’agit là de "breadcrumbing" dans un béguin non réciproque: une liaison sentimentale où l’un des partenaires ne donne que quelques miettes en tout cas assez pour faire espérer l’autre, "sans jamais totalement s’investir, se projeter et réellement bâtir cette relation".

Et pour preuve, si le Hezbollah a livré l’assassin présumé du soldat irlandais, mort pour le Liban, qu’en est-il des six autres poursuivis par la justice militaire? On nous dit qu’ils sont recherchés par les services de renseignement de l’armée. Et qu’en est-il de Salim Ayach et des deux autres coauteurs du crime du 14 février, et de l’enquête sur l’exécution de Lokman Slim? La liste des forfaits est longue, elle s’étendrait sur des pages. Alors qu’on ne vienne pas nous dire que livrer un suspect, qui d’ailleurs ne risque rien et sera bientôt libéré, est une preuve de bonne volonté des autorités d’occupation du Sud libanais. Le tandem chiite, qui nous a pris en otages, ne veut de ce pays que ce qui l’arrange ou sert ses intérêts. Il ne peut de ce fait remplir les conditions d’un "associé légitime", et toute relation avec lui est marquée du sceau de l’adultère, donc viciée dès le départ.

Car ne joue pas franc jeu, celui qui le joue à sa guise!

1- Scarlett Haddad, "Trois incidents successifs impliquant le Hezbollah: simple coïncidence ou plan minutieux?", L’Orient-Le Jour, 24 décembre 2022.
2- Ibid.
3- Denis Sieffert, "Politique du pire et pire des politiques", Politis, 9 décembre 2020.
4- En sa qualité d’auteur de Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977.