Même si la proposition de loi sur "la régularisation financière" a été présentée à la Chambre par deux députés, leurs collègues ne sont pas dupes, et dénoncent un texte élaboré par le gouvernement afin de faire assumer les pertes financières aux déposants tout en innocentant l’État et la Banque centrale.

Au premier jour de son examen mardi, par la commission parlementaire des Finances et du Budget, la proposition de loi sur "la régularisation financière" ou, en d’autres termes, la répartition des pertes, a soulevé un tollé auprès des députés, qui ont émis de nombreuses critiques sur la forme et sur le fond.

Sur la forme d’abord, les parlementaires ont dénoncé l’absence de tout représentant du gouvernement, mais également des auteurs du texte.

On rappelle que ce texte de loi, ainsi que celui portant sur la restructuration des banques auraient dû être transmis à la Chambre par le gouvernement, en tant que projets de loi. Mais ayant tardé à être finalisés par le Cabinet, devenu un gouvernement d’expédition des affaires courantes dans un contexte de vacance présidentielle, un moyen de contourner les procédures a été trouvé. Ils ont été soumis, en tant que propositions de loi, par des députés considérés proches du Premier ministre sortant, Najib Mikati, notamment Georges Bouchikian et Ahmed Rustom. Or aucun des deux n’a participé à la réunion de la commission des Finances mardi.

Kanaan: Un texte élaboré par l’équipe de Mikati

Crédit photo : Ali Fawaz

Le président de la commission, Ibrahim Kanaan, a d’ailleurs exprimé "l’étonnement" des députés concernant l’absence des parlementaires qui ont soumis le texte et de tout représentant du gouvernement. "Il faut bien que nous parlions avec quelqu’un, plus précisément avec ceux qui ont élaboré le texte", a-t-il souligné.
"Sur le fond aussi, nous avons de nombreuses remarques, notamment en ce qui concerne la classification des dépôts et l’alimentation du fonds de recouvrement des dépôts", a-t-il précisé. Mais avant tout cela, il a tenu à exprimer clairement la position de la commission: "traiter, avec la plus haute responsabilité, ce texte, ainsi que toute proposition financière relative à l’argent des déposants et au regain de la confiance dans le Liban".

Ibrahim Kanaan a dans ce cadre invité le Premier ministre sortant et le vice-Premier ministre, Saadé Chami, à participer à la prochaine réunion de la commission. "Car, a-t-il précisé, il s’est avéré que ce texte, même s’il a été soumis à la Chambre par deux députés, a été élaboré par l’équipe du Premier ministre chargée de rédiger les lois financières". Il a ajouté que le responsable du département légal à la Banque du Liban, Pierre Kanaan, qui a assisté à la réunion, n’a pas caché que la BDL et lui-même ont été consultés lors de l’élaboration du texte.

Les articles de loi et les chiffres doivent être débattus avec leurs auteurs, notamment le chiffre de 72 milliards de dollars de pertes mentionné dans le plan de redressement, a précisé le député du Metn, qui s’est interrogé sur le sort de l’audit juricomptable de la Banque centrale.

"Qui est responsable de l’effondrement? Comment les pertes seront-elles réparties? Ces questions doivent être examinées sérieusement et en toute responsabilité, dans le cadre d’une vision globale qui prend en considération le plan du gouvernement et les différents textes de loi qui nous arrivent d’ici et de là", a poursuivi Ibrahim Kanaan.

"En dépit de l’attitude du gouvernement, nous sommes engagés à aboutir à des résultats au niveau de la répartition des pertes, de la restructuration des banques et de tous les dossiers relatifs aux dépôts et aux droits des citoyens", a-t-il conclu, annonçant qu’il allait convier le Premier ministre à une réunion de la commission des Finances qui se tiendra dans les prochains jours.

Adwan: le masque est tombé

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De son côté, le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, Georges Adwan, a estimé que "le masque est tombé, dévoilant les pratiques d’un gouvernement qui tente depuis deux ans de faire voter des lois qui ne servent pas l’intérêt national, tout en les imputant au Parlement".

"Le plan de redressement réel du gouvernement", a-t-il ajouté, "consiste à rayer l’argent des déposants et à ne faire assumer aucune responsabilité à la structure politique qui nous a conduits à ce point".

Dénonçant le retard au niveau de l’audit juricomptable et l’absence d’un plan global de redressement, il a critiqué le fait que le gouvernement n’établit pas de distinction entre les pertes et les dettes.

"Notre mission en tant que Parlement est de mettre la main sur cette proposition loi, ainsi que sur tous les autres textes qui constituent ensemble un plan de redressement, afin de déterminer les responsabilités, puis d’établir une distinction entre les dettes et les pertes, et enfin de les répartir dans l’ordre suivant: l’État, puis la Banque du Liban, et ensuite les banques", a indiqué M. Adwan.

Les députés vont se fonder sur cette proposition de loi "transmise de façon illégale et inconstitutionnelle" pour développer toutes ces lois, et redresser la situation "au niveau de la loi et aux yeux de l’opinion publique", a précisé le député du Chouf.

"Nous ne laisserons pas le gouvernement faire assumer les pertes aux déposants et innocenter la classe politique, les banques et la Banque centrale", a-t-il conclu.

Moawad dénonce "les ingénieries politiques" du gouvernement

Pour sa part, le député Michel Moawad a dénoncé la tergiversation du gouvernement, soulignant que "chaque jour de retard pour arriver à un accord avec le Fonds monétaire international coûte 25 millions de dollars et accentue l’inflation et la pauvreté".

Le député de Zghorta, et candidat à l’élection présidentielle, a appelé à une solution rapide, constitutionnelle, juste et globale. Le texte de loi sur la répartition des pertes, a-t-il relevé, est en contradiction avec le projet de loi sur le contrôle des capitaux, qui est sur le point d’être finalisé en commissions conjointes.

Michel Moawad a dénoncé "les ingénieries politiques" du gouvernement, précisant que le texte sur la répartition des pertes "vise à empêcher la reddition des comptes et une distribution équitable des responsabilités".

Dans une déclaration à Ici Beyrouth, il a souligné qu’à travers ce texte, "le gouvernement tente de faire assumer la majorité des pertes financières aux déposants" et de dédouaner l’État et la Banque centrale.