C’est dans un lieu très symbolique – l’espace Simone Veil du musée de la Résistance – que l’association Am2Li (Amitié Limousins Libanais), par le biais du très dynamique Ahmad Issawi, a organisé samedi 18 décembre à Limoges une conférence intitulée " le Liban, une histoire, des mémoires ".
L’occasion pour l’historien Farouk Mardam Bey et les politologues Ziad Majed et Wissam Saadé de retracer les grandes lignes de l’histoire du Liban depuis l’Antiquité, devant un parterre de Français curieux d’en savoir plus sur ce pays lié de longue date à leur pays.
Le débat était animé par l’historienne Chryssoula Georgiou Fayad, représentant Ici Beyrouth.

Rupture entre la ville et la montagne

Wissam Saadé, journaliste et enseignant-chercheur à l’Institut de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, a rappelé que les villes qui forment aujourd’hui le littoral libanais étaient des cités phéniciennes qui étaient totalement indépendantes les unes des autres et qui n’avaient aucun lien entre elles. Le nom de Phéniciens leur a été donné par les Grecs, qui, comme les autres peuples de l’Antiquité, méprisaient ces " commerçants ".
La Montagne commence à jouer un rôle après la conquête musulmane et particulièrement après les Croisades.
En effet, les communautés druze, maronite et chiite, en opposition avec les courants religieux dominants, trouvent refuge dans la Montagne.
La bataille de Marj Dabeq en 1516 marque le début de la période ottomane qui s’étendra jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale et la création de l’Etat du Grand Liban en 1920.
M. Saadé insiste sur l’idée que, pendant cette période, la rupture est nette entre la Montagne libanaise, qui jouit d’une relative indépendance, et le vilayet de Beyrouth, créé en 1888, intégré à l’Empire, cosmopolite et ouvert. Ces deux entités, qui forment le Liban d’aujourd’hui, ont évolué différemment.

L’entente, au cœur du système libanais

Ziad Majed, détenteur d’un doctorat en sciences politiques de l’Institut d’études politiques de Paris et enseignant à l’Université américaine de Paris (AUP), a ensuite pris la parole pour évoquer le Liban contemporain, rappelant les différentes crises par lesquelles le pays du Cèdre est passé depuis sa création, mais surtout depuis son indépendance en 1943, avec l’accord entre les deux principales communautés à l’époque, les maronites et les sunnites, le Pacte National.
Après avoir brièvement évoqué la crise de 1958, M Majed s’arrête plus longuement sur la guerre de 1975, en évoquant les différentes interventions de la Syrie et d’Israël dans le conflit.
L’année 2000 marque une rupture importante avec la mort du président syrien Hafez el-Assad, qui avait réussi à imposer la domination de son pays sur le Liban, et la libération du Liban-Sud avec le retrait des troupes israéliennes.
En 2005, l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri est le point de départ de l’intifada de l’Indépendance qui mène au retrait des troupes syriennes du Liban.
Depuis, le clivage n’est plus entre chrétiens et les musulmans, mais plutôt entre sunnites et chiites, avec les chrétiens divisés entre les deux camps, note M. Majed.
L’alignement idéologique et politique du Hezbollah sur l’Iran et son intervention dans la guerre en Syrie qui débute en 2011, ont eu un impact majeur sur les difficultés que connaît actuellement le Liban, précise-t-il.
En octobre 2019, les manifestations que connaît le pays, et qui s’étendent sur l’ensemble du territoire, ne débouchent pas sur un changement, parce que la classe politique libanaise, corrompue et incapable, est protégée par le Hezbollah, ajoute-t-il. L’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, est la conséquence de cette corruption, indique M. Majed.
Ziad Majed insiste tout au long de son exposé sur le fait qu’au Liban, aucun acteur ne peut dominer les autres. Selon lui, le système ne peut fonctionner s’il n’est pas basé sur une entente entre les différentes communautés qui font la richesse du Liban, dit-il.

Le malentendu libano-syrien

Farouk Mardam Bey, responsable de la collection Babel aux éditions Acte Sud, commence son exposé en rappelant qu’il est Syrien mais qu’il est présent à la conférence parce qu’il " aime le Liban ". M. Mardam Bey insiste sur la place importante du Liban chez les intellectuels arabes pour la liberté qui y existe et pour le rayonnement culturel qui le caractérise dans l’ensemble du monde arabe.
Pour lui, les relations entre les Libanais et les Syriens sont fondées sur un malentendu, parce que ces derniers considèrent la création du Liban comme une amputation. L’historien rappelle que la Syrie n’a jamais existé comme entité politique indépendante dans l’histoire.
Le vilayet de Syrie, créé par les Ottomans, n’avait rien à voir avec la Syrie actuelle.C’est la perspective d’une tutelle française qui a donné naissance à l’utilisation du vocable Syrie.
Farouk Mardam Bey rappelle la réaction des députés syriens en 1943: ils ont applaudi l’indépendance du Liban, ce qui montre bien que les relations entre ces deux pays n’ont pas toujours été tendues. Les nombreux mariages entre Libanais et Syriens en attestent également.

Une relation franco-libanaise duelle

A l’issue de ces deux heures de conférence, plusieurs questions ont été posées par le public.
Une interrogation portait notamment sur la relation particulière qui lie la France au Liban.
Wissam Saadé y a répondu en expliquant que la relation est duelle :
Romantique d’abord, fondée sur l’histoire, avec une présence chrétienne francophile dans la montagne et la diffusion de la francophonie à Beyrouth, héritage de l’empire ottoman cosmopolite.
Réaliste ensuite, dépendamment des intérêts politiques, économiques et stratégiques de la France.
La vision romantique est souvent mise au service de la politique.
Les intervenants sont unanimes pour constater que le rôle politique de la France est aujourd’hui limité pour de multiples considérations.
Malheureusement, la crise sanitaire a empêché l’organisation du pot de l’amitié qui devait clore cette rencontre.
Cette conférence, qui a montré la richesse et la complexité de l’histoire du Liban et de ses relations avec la Syrie, met surtout en lumière l’intérêt que continuent de porter les Français pour le Liban et surtout le dynamisme de la diaspora libanaise qui ne ménage pas ses efforts pour contribuer à sortir le Liban du marasme politique et de la terrible crise économique qu’il traverse aujourd’hui.

Ici Beyrouth