
Le mufti de la République, cheikh Abdellatif Deriane, se rendra samedi en Syrie à la tête d’une délégation de Dar el-Fatwa pour y rencontrer le président syrien, Ahmad el-Chareh. Cette visite intervient dans le sillage de la chute du régime de Bachar el-Assad, sous lequel les Alaouites exerçaient une emprise quasi exclusive sur le pouvoir en Syrie. L’accession de M. Chareh au pouvoir marque le retour de la majorité sunnite aux commandes du territoire syrien. Il bénéficie en outre du soutien de l’Arabie saoudite ainsi que des États-Unis, comme en témoigne la levée des sanctions contre la Syrie.
Le mufti Deriane prononcera un discours devant le président syrien et visitera la mosquée des Omeyyades à Damas. Selon des sources proches de Dar el-Fatwa, il insistera sur l’importance d’avoir les meilleures relations possibles entre le Liban et le nouveau pouvoir syrien, tout en réaffirmant le principe de souveraineté pleine et entière de chaque État sur son territoire.
Ce message nuancé vise à rassurer Beyrouth, où certains redoutent que M. Chareh, fort de son ancrage sunnite et de ses soutiens régionaux, ne devienne une figure de référence pour les sunnites libanais. Une inquiétude accentuée par l’absence prolongée de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et par l’affaiblissement des autres pôles sunnites sur la scène nationale.
Selon certains observateurs, le mufti Deriane devrait saluer les premières avancées enregistrées sous la présidence d’Ahmad el-Chareh, en dépit de la brièveté de son mandat jusqu’à présent. Il mettra en avant sa gestion mesurée des tensions persistantes, qu’elles soient d’ordre confessionnel ou liées aux violences visant certains groupes.
Le mufti devrait également condamner l’attentat terroriste qui a récemment visé l’église Saint-Élie à Damas, en soulignant la nécessité de préserver le vivre-ensemble et les lieux de culte. Il insistera par ailleurs sur la profondeur des liens historiques entre le Liban et la Syrie, estimant que le moment est venu de consolider leur coopération dans plusieurs domaines d’intérêt commun.
Cette visite pourrait aussi ouvrir la voie à des discussions sur des dossiers sensibles, en particulier la question des réfugiés syriens au Liban et celle de la gestion des frontières entre les deux pays.
Malgré les efforts déployés pour présenter cette visite comme étant dénuée de toute volonté d’ingérence syrienne dans les affaires sunnites libanaises, elle sera inévitablement perçue comme telle. En effet, une grande majorité des sunnites libanais estime que le rapport de force régional a basculé en sa faveur après la chute du régime Assad, l’affaiblissement du Hezbollah et de la République islamique d’Iran.
Les sunnites du Liban ont longtemps redouté le Hezbollah sans avoir les moyens de lui faire contrepoids – comme l’a dramatiquement illustré l’épisode du 7 mai 2008. C’est également dans ce contexte que certains d’entre eux ont perçu l’arrivée massive des réfugiés syriens dès 2011, à savoir comme un potentiel renfort démographique pour leur communauté.
Dès lors, il est difficile pour la majorité sunnite de ne pas raisonner en termes d’équilibre de puissance. Une Syrie sunnite puissante et proche pourrait devenir, à terme, un appui non négligeable. Mais cette même majorité, qui a adopté le mot d’ordre «Le Liban d’abord» après l’assassinat de Rafic Hariri, se trouve aujourd’hui confrontée à un défi qui consiste à préserver cette ligne politique modérée, nationale, souverainiste, et ne pas glisser dans le radicalisme – une voie dont Ahmad el-Chareh semble lui-même vouloir s’écarter.
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