Le Liban, paillasson de la levée des sanctions contre la Syrie
©Ici Beyrouth

Bachar el-Assad est tombé depuis bientôt six mois. Personne ne le regrette. La page est tournée. Place à Ahmad el-Chareh, ex-islamiste devenu homme de compromis, qui pose tout sourire aux côtés de Donald Trump à Riyad. La Syrie change de visage, elle devient fréquentable. Du moins, c’est ce que l’Occident s’empresse de vouloir croire. Et surtout, les sanctions américaines et européennes sont levées.

Mais pendant que les poignées de main scellent les retrouvailles avec Damas, le Liban, lui, reste enterré sous les ruines d’un conflit syrien dont il n’est ni le déclencheur, ni le vainqueur, ni même un acteur, n’était-ce le catastrophique soutien du Hezbollah au régime de la famille Assad. Il continue d’accueillir sur son sol plus de 2,5 millions de réfugiés syriens. La Syrie est «libérée», mais les Syriens restent… au Liban!

Pire, les déplacés qui «fuyaient» le régime Assad – mais qui, en réalité, sont des déplacés économiques – ont été rejoints par ceux qui craignent les exactions des milices islamistes, qui viennent de commettre une série de massacres sur le littoral syrien et d’attaquer les zones à majorité druze.

Il faudrait peut-être expliquer cela aux Libanais. Leur dire en face que la realpolitik a ses priorités et qu’ils n’en font pas partie. Que le Liban peut bien s’éteindre à petit feu, du moment que le monde peut tourner la page syrienne avec élégance. Qu’un pays exsangue peut bien continuer à servir de camp de rétention géant pour le compte de la communauté internationale. Un sas humanitaire à durée indéterminée. Et tant pis pour les infrastructures et le coût exorbitant de cette générosité obligatoire. L’hôpital public peut bien soigner sans moyens. Les écoles surchargées peuvent bien accueillir, sans profs ni matériel éducatif approprié.

Expliquer aussi aux Libanais que leurs routes délabrées, leur réseau électrique défaillant, leurs nappes phréatiques épuisées peuvent encore encaisser l’équivalent de près de la moitié de leur population. Sans parler de la délinquance. Ce n’est plus un effort. C’est une saignée. L’infrastructure du Liban, déjà fragile avant 2011, est aujourd’hui à genoux. Aucun réseau ne tient. L’électricité est un luxe. L’eau potable, une loterie. Les ordures et déchets s’entassent sans traitement. Les villes étouffent…

C’est dans ce décor que la communauté internationale et les ONG demandent au Liban de continuer à accueillir, à «patienter». Les sanctions sont levées, mais aucune feuille de route pour le retour des réfugiés. Aucune pression sur le nouveau pouvoir syrien pour faciliter le rapatriement. Les contacts diplomatiques reprennent, les projets de reconstruction fleurissent, mais rien, absolument rien, n’est fait pour organiser un retour progressif, digne, encadré, des réfugiés vers leur pays.

Aucun plan. Aucune exigence. Aucun calendrier. Juste le silence. Aucune aide massive non plus pour un Liban à bout de souffle. Et le vieux refrain humanitaire: «Ce n’est pas encore le moment, il faut des garanties, de la sécurité, un processus…»

Dans la réalité, ce que craignent par-dessus tout les pays de l’Union européenne par exemple, c’est l’afflux de millions de Syriens dans leurs pays. Leurs opinions publiques ne l’accepteraient pas. Mieux vaut donc continuer à déverser des centaines de millions de dollars via les ONG pour les «fixer» au Liban. Le plus grand scandale, ce n’est pas que les sanctions soient levées. C’est que tout le monde fasse semblant de croire que rien ne doit bouger au Liban. Que les Syriens doivent rester, indéfiniment, parce que c’est plus simple, plus confortable, moins risqué. C’est ce cynisme, cette lâcheté diplomatique, qui sont révoltants.

Si la Syrie est réhabilitée, alors qu’elle assume. Qu’elle rouvre ses frontières. Qu’elle reprenne ses enfants. Qu’elle paie, elle aussi, sa part du prix.
Il n’y a plus d’excuse. Si Ahmad el-Chareh est suffisamment fréquentable pour rencontrer le président américain, il l’est aussi pour répondre de ses citoyens déplacés.

Le Liban a tout donné. Il n’a plus rien. Le garder dans cette position, ce n’est pas de la solidarité, c’est du mépris maquillé en compassion.

Aimé Césaire disait: «La solidarité est la tendresse des peuples.» De grâce, nous avons grandement besoin d’un peu de cette tendresse.

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