Syriens au Liban: retours en hausse, mais les arrivées se poursuivent
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Près d’un an après la chute du gouvernement de Bachar el-Assad en décembre 2024, le débat sur l’avenir des réfugiés syriens au Liban refait surface.

À mesure que la situation évolue en Syrie, le Liban et les organisations internationales, notamment le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), coordonnent des opérations de «retour volontaire». Elles naviguent entre les enjeux juridiques, politiques et humanitaires liés au rapatriement de plus de 1,5 million de Syriens installés au Liban depuis plus d’une décennie.

«Le statut de déplacé n’est plus en vigueur»

Pour l’avocat Mark Habka, spécialiste des affaires pénales et internationales, les Syriens présents au Liban ne peuvent plus être légalement considérés comme des déplacés.
«Pour être reconnus comme réfugiés ou déplacés de guerre, ils doivent avoir fui un conflit ou un régime oppressif mettant leur vie en danger. Aujourd’hui, aucune de ces conditions ne s’applique. La Syrie n’est plus une zone de guerre ni un État isolé ou sanctionné au niveau international. Elle rétablit ses liens avec la communauté internationale», explique-t-il à Ici Beyrouth.

Selon lui, les Syriens, autrefois considérés comme déplacés, ont désormais perdu ce statut, et la majorité demeure donc illégalement au Liban.

Il estime que l’État libanais possède à la fois «le droit et l’obligation» d’œuvrer à leur retour. «Si l’État ne demande pas leur rapatriement, il manque à son devoir et doit en rendre compte.»

Pour M. Habka, la solution est simple: le ministère des Affaires étrangères doit saisir officiellement l’ONU et le HCR et exiger un calendrier clair pour le rapatriement.

HCR: des centaines de milliers de retours déjà effectués

Selon la porte-parole du HCR, Lisa Abou Khaled, les retours se sont accélérés en 2025. «Plus de 335.000 Syriens sont rentrés dans leur pays depuis le début de l’année et leurs dossiers ont été annulés. Nous prévoyons environ 400.000 retours d’ici la fin de l’année», indique-t-elle à Ici Beyrouth.

La crise de financement du HCR a entraîné des coupes majeures dans les programmes d’aide au Liban. L’accès aux soins primaires a été stoppé et le programme d’hospitalisation prendra fin prochainement. L’aide financière n’est désormais accordée qu’aux cas «les plus vulnérables».

Les agences onusiennes continuent néanmoins de coordonner le transport, l’assistance juridique, les services psychosociaux ainsi que des programmes de moyens de subsistance pour les ressortissants syriens. Le forfait comprend 100 dollars par personne au départ du Liban et 600 dollars par famille à l’arrivée en Syrie.

La Sûreté générale libanaise facilite également les départs, en annulant les frais de sortie, les amendes pour dépassement de séjour et les interdictions de retour visant Syriens et Palestiniens originaires de Syrie.

Depuis décembre 2024, le HCR estime que plus de 843.994 Syriens sont rentrés depuis les pays voisins, notamment la Turquie, la Jordanie, l’Égypte et le Liban.

«La présence illégale des Syriens doit prendre fin»

Maroun Khawli, coordinateur général de la Campagne nationale pour le rapatriement des déplacés syriens, décrit la situation sans détour: «Nous avons une présence illégale de Syriens déplacés. Ils sont considérés comme des résidents étrangers en situation irrégulière», affirme-t-il.

Il souligne que, malgré l’augmentation des retours, les réseaux de contrebande restent actifs. Les Syriens continuent de revenir au Liban via des passages illégaux le long de frontières poreuses, souvent en transportant marchandises et produits de contrebande.

Malgré la stabilisation de nombreuses régions syriennes, les arrivées se poursuivent. Depuis la chute d’Assad, l’ONU estime que 69.000 Syriens, principalement des Alaouites fuyant des violences de représailles, sont entrés au Liban. Le chiffre réel pourrait être bien plus élevé, certaines sources évoquant jusqu’à 150.000 entrées illégales.

Un grand nombre de Syriens ayant tenté de rentrer ont retrouvé leur maison détruite ou leurs moyens de subsistance inexistants. Cela les a poussés à revenir au Liban, où ils devraient être considérés comme des migrants économiques illégaux, selon M. Khawli.

Par ailleurs, il critique l’absence de décision politique unifiée au Liban: «Le déplacement des Syriens doit cesser, car ses raisons d’être n’existent plus. Mais il n’y a toujours pas de décision officielle pour organiser leur retour.»

Du côté syrien, M. Khawli observe une réticence similaire. Les nouvelles autorités de Damas s’appuient largement sur les transferts d’argent envoyés par les Syriens vivant au Liban, l’une des rares sources de devises étrangères. Damas utilise également le dossier des réfugiés comme carte de pression dans les négociations et accuse le Liban d’être responsable des pertes des déposants syriens dans les banques libanaises.

«Il n’y a aucune négociation entre les deux pays, même pas une commission dédiée au rapatriement. Le régime ne s’intéresse qu’au retour des prisonniers syriens loyalistes au Liban», affirme-t-il.

Le Liban à la croisée des chemins

Le Liban, qui a accueilli jusqu’à 1,5 million de Syriens, soit près d’un quart de sa population, demeure lourdement affecté par l’effondrement économique, la paralysie politique et la pression sur ses infrastructures. Alors que les voix réclamant la fin du déplacement se multiplient, faisant écho aux débats européens, la voie à suivre reste minée de défis juridiques, politiques, économiques et humanitaires.

Sans politique coordonnée entre Beyrouth, Damas et les agences internationales, le Liban risque d’entrer dans une nouvelle phase d’incertitude face à l’un des dossiers les plus sensibles de son histoire moderne.

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