" Après trois ans d’effondrement, le gouvernement ne dispose toujours pas de chiffres définitifs ", s’est étonné le président de la commission parlementaire des Finances et du Budget, Ibrahim Kanaan, à l’issue de la réunion consacrée à l’examen de la proposition de loi sur la "répartition des pertes".

Le gouvernement sortant a réalisé mardi un grand exploit : unifier l’ensemble des blocs parlementaires, de tous bords, même ceux qui ne perdent généralement aucune occasion pour échanger entre eux des attaques et des accusations.

En fait, le gouvernement les a tous rassemblés…contre lui. Ils ont, en effet, été unanimes à dénoncer la proposition de loi sur " la régularisation financière ", surnommée " la répartition des pertes ". Soumise récemment à la Chambre par deux députés considérés proches du Premier ministre sortant Najib Mikati, cette proposition a, de l’avis des députés, été élaborée par l’équipe du chef du gouvernement, et plus précisément par le vice-Premier ministre Saadé Chami et ses conseillers.

M. Chami ainsi que le ministre sortant des Finances Youssef Khalil ont ainsi participé à la réunion de mardi, après que l’absence de représentants du gouvernement ait été largement critiquée lors de la première réunion consacrée à ce texte mardi dernier.

On rappelle que cette proposition de loi ainsi que celle sur la restructuration bancaire auraient dû être transmises à la Chambre par le gouvernement. Mais ayant tardé à être finalisées par le Cabinet, devenu un gouvernement d’expédition des affaires courantes dans un contexte de vacance présidentielle, une façon de contourner les procédures a été trouvée. Elles ont été soumises, en tant que propositions de loi, par les députés Georges Bouchikian et Ahmed Rustom. Elles sont considérées comme étant intrinsèquement liées au projet de loi sur le contrôle des capitaux, finalisé lundi en commissions parlementaires mixtes. Les trois textes devraient être examinés ensemble en séance plénière, lorsque les deux derniers auront été approuvés en commissions.

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" Chiffres approximatifs "

À l’issue, mardi, de la réunion de la commission parlementaire des Finances et du Budget, consacrée à l’étude de cette proposition de loi sur la répartition des pertes, le président de la commission, le député Ibrahim Kanaan, s’est exprimé au nom de " plus de 35 députés, membres ou non de la commission, qui ont participé à cette réunion, et qui représentent tous les blocs ".

" Après trois ans d’effondrement, le gouvernement ne dispose toujours pas de chiffres définitifs ", a martelé M. Kanaan, soulignant que la commission ne pouvait pas se fonder sur les chiffres que Saadé Chami a présentés mardi en les qualifiant lui-même "d’approximatifs".

"Le gouvernement estime les pertes accumulées (par l’État, la Banque centrale et les banques) à 73 milliards de dollars, mais ne connait ni le volume des dépôts, ni les actifs des banques, ni les actifs de l’État", a ajouté M. Kanaan, se demandant comment il était possible de répartir les pertes en l’absence de chiffres officiels. Il a précisé avoir demandé au gouvernement d’envoyer rapidement ces chiffres ainsi qu’une analyse financière à la commission. Il s’est par ailleurs étonné du fait que M. Chami a estimé le total des actifs des banques et de la Banque centrale à 25 ou 30 milliards de dollars, alors que les dépôts sont estimés à 96 milliards de dollars.

Rappelant que le Premier ministre sortant Najib Mikati avait proposé le 30 juin 2022, devant la commission, la formation d’un fonds de recouvrement des dépôts, il s’est demandé où en était ce fonds, sept mois plus tard. Il a précisé que le texte prévoit de le financer par l’excédent budgétaire ou la restitution de l’argent volé, notant que des " rentrées garanties " devaient lui être assurées.

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Dépôts éligibles et non-éligibles

Un autre point relevé par M. Kanaan a trait à la distinction qu’établit le texte entre " dépôts non éligibles " (qui étaient en livres libanaises et ont été changés en dollars après le 17 octobre 2019 au taux de 1500 LL pour un dollar) et " dépôts éligibles " (tous les autres). Selon le texte, les dépôts éligibles de moins de 100 mille dollars seraient restitués à leurs propriétaires, sachant que des conditions s’appliquent à cela ainsi qu’aux dépôts de 100 mille dollars et plus.

" On comprendrait que des dépôts soient non éligibles s’ils proviennent de la corruption ou de sources illégales, mais celui qui a travaillé toute sa vie, déposé son argent à la banque et changé ses dollars en livres libanaises, peut-on considérer ses dépots comme non-éligibles ? À l’époque, 100 millions de livres libanaises valaient 60 000 dollars, aujourd’hui que valent-ils ", a-t-il demandé.

" Cette proposition de loi est supposée être une solution, et l’intention du législateur est supposée être de protéger les déposants, or comment le gouvernement compte-t-il protéger les déposants qui ont moins de 100 000 dollars s’il lie la restitution de ces sommes aux liquidités que possède chaque banque, " s’est demandé le député du Metn.

Le texte est d’une importance cruciale, " car si on ne résout pas la question des pertes accumulées et des droits des déposants, comment pourrait-on exercer un contrôle des capitaux, une restructuration bancaire et un plan de redressement économique ? ", a-t-il noté.

Dénonçant le " flou " qui entoure cette proposition de loi, Ibrahim Kanaan a mis l’accent sur le fait que l’objectif des députés n’est pas " l’obstruction " mais une modification de ce texte, et c’est pour cela que la commission tiendra des réunions fréquentes, à commencer par une troisième réunion lundi prochain.