Au cours d’une conférence de presse dimanche, Gebran Bassil a ratissé large, alternant menaces et  messages à ses alliés et  adversaires.

De plus en plus isolé sur la scène politique locale et incapable d’imposer ses quatre volontés, comme il le faisait lorsque le parti qu’il préside, fondé par son beau-père l’ex-président Michel Aoun, contrôlait tous les rouages de l’État sous le mandat de ce dernier, Gebran Bassil fait aujourd’hui feu de tout bois.

Au cours d’une très longue conférence de presse dimanche, le chef du Courant patriotique libre a alterné menaces et messages à ses alliés et adversaires, dans une rhétorique qui révèle non seulement son isolement, mais surtout la détérioration continue de ses relations avec son principal et seul allié, le Hezbollah. En vrac, il s’est déchaîné sans surprise contre le Premier ministre sortant Najib Mikati, qui ignore superbement ses avertissements au sujet de l’inopportunité d’une tenue de Conseils des ministres en l’absence d’un chef de l’État. Il a mené sans vergogne une attaque frontale diffamatoire contre le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, qu’il a accusé d’avoir "détourné les fonds des Libanais", ainsi que contre le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, qui " s’arroge par la force les prérogatives du ministre de la Défense et dispose à sa guise de millions de dollars parmi des fonds privés". Si Gebran Bassil règle des comptes avec Riad Salamé pour lui attribuer, avec son parti, l’entière responsabilité de la crise financière, afin de détourner les regards des politiques calamiteuses qui ont marqué le mandat de son beau-père, Joseph Aoun représente pour lui un redoutable adversaire. Et pour cause: les ambitions politiques, notamment présidentielles du chef du CPL, seraient compromises avec une éventuelle accession du général Aoun à la tête de l’État. Gebran Bassil a aussi descendu en flèche "la classe dirigeante" dont il a fait pourtant partie intégrante, dans une énième tentative désespérée de s’en démarquer. Populisme oblige. Mais il n’a surtout pas ménagé le Hezbollah qui refuse jusqu’à aujourd’hui de lâcher le chef des Marada, Sleiman Frangié. Un autre présidentiable que M. Bassil perçoit comme une menace pour son avenir politique.

Jusque-là, le chef du CPL a tenté par tous les moyens et toujours sans succès de faire plier la formation pro-iranienne et de la convaincre de renoncer à son soutien au leader chrétien du Nord au profit d’un candidat consensuel, c’est-à-dire faible et manipulable, ne représentant aucun danger pour son avenir politique. Sa dernière tentative a consisté à menacer de nommer un candidat à la dernière séance parlementaire électorale et à lâcher ainsi son allié chiite, avec qui il partage avec le mouvement Amal, la responsabilité du blocage de la présidentielle. Il n’avait pas osé cependant aller jusqu’au bout de sa menace. Aujourd’hui, Gebran Bassil a recours à une autre manœuvre: proposer sa propre candidature au cas où le Hezbollah continuerait d’ignorer ses gesticulations, en sachant bien que cette initiative ne manquera pas d’importuner la formation pro-iranienne qui, bien qu’elle soit irritée par le comportement de son allié chrétien, n’a toujours pas rompu les ponts avec lui.

L’accord de Mar Mikhaël

Le chef aouniste s’est dit dans le même temps "préoccupé" par l’avenir de l’accord de Mar Mikhaël, scellé en 2006 avec le Hezbollah, reprochant à cette formation une conception de l’État qui ne correspond pas selon lui à celle de son propre parti. "Nous sommes d’accord avec le Hezbollah au sujet de la Résistance, mais nous sommes en désaccord avec lui au sujet du concept d’édification de l’État. Il doit savoir que ce qui empêchera la Résistance d’être poignardée dans le dos, c’est le ralliement des Libanais autour d’elle et pas seulement son propre milieu. C’est aussi un projet d’État, non celui d’une personne (en allusion au secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah) ni d’un chef de l’État", a-t-il dit.
Selon lui, l’accord de Mar Mikhaël a commencé à "vaciller lorsqu’un État n’a pas été édifié". "Il tenait sur trois piliers, l’édification de l’État, le partenariat et l’unité nationale, mais les deux premiers sont tombés et il ne tient plus qu’à un seul", a-t-il ajouté en se disant prêt à conclure une nouvelle entente avec le parti chiite à condition qu’elle porte sur un projet d’édification de l’État. Il a dans le même temps plaidé pour un partenariat "authentique" dans le pays et rejeté les tentatives d’"imposer un président de la République".
Tout ce discours au sujet du Hezbollah et de Mar Mikhaël est surtout un signe indicateur de l’échec des pourparlers entre les deux formations. Après une période de froid marquée par des critiques sporadiques de Gebran Bassil contre le parti pro-iranien, celui-ci avait dépêchée lundi deux représentants, Wafic Safa et Hussein Khalil, auprès du chef du CPL. La rencontre avait été présentée comme étant positive par Hussein Khalil. Elle semble loin de l’être pour Gebran Bassil.

Appel de phares aux FL

Mais pendant qu’il opérait, sur base de ses mots, un pas en arrière qui l’éloignait davantage de son allié chiite, le chef du CPL amorçait une nouvelle fois une tentative de rapprochement en direction de ses adversaires chrétiens, notamment les Forces libanaises, aujourd’hui majoritaires parmi les députés chrétiens au Parlement. Opportunisme oblige. Après s’être déchaîné pendant des années contre le parti de Samir Geagea, le chef aouniste a estimé qu’"il incombe désormais aux chrétiens de s’entendre pour définir leur choix". "Et là, je fais assumer la responsabilité du vide présidentiel et de l’affaiblissement de la présidence de la République à ceux qui refusent le dialogue ou qui rejettent dans l’absolu le principe de l’entente. Le chef de l’État doit être issu de son milieu (chrétien) et soutenu par des forces représentatives. Il n’y aucune raison pour ne pas essayer d’aboutir à une entente. Si nous n’y parvenons pas, le patriarcat maronite devrait intervenir pour éviter qu’un groupe parlementaire (chrétien) ne soit marginalisé", a-t-il dit. "Ce serait un coup de folie politique et national de songer à élire un président sans les chrétiens", a fulminé Gebran Bassil qui répondait ainsi indirectement à Amal et au Hezbollah dont des cadres avaient annoncé la semaine dernière qu’ils élirait sans hésiter un président si un candidat pouvait réunir 65 voix.
Il a accusé "la structure dirigeante" (une terminologie née dans la foulée du soulèvement du 17 octobre 2019 pour désigner une nébuleuse énigmatique, responsable de tous les dysfonctionnements qui ont ruiné le pays et employée par chaque composante de la classe dirigeante pour essayer de se dérober à ses responsabilités dans l’effondrement spectaculaire dans lequel le Liban est plongé) de vouloir élire un président "qui annulera l’audit juricompable de la Banque du Liban et l’enquête sur l’explosion au port et qui lui permettra de se regénérer afin de pouvoir contrôler le pays".
M. Bassil a ensuite annoncé avoir établi avec son bloc une liste de candidats à la tête de l’État et qu’il compte engager des consultations avec tous les groupes parlementaires pour raccourcir cette liste "dans l’espoir d’une entente sur un nom". En cas d’échec, il a dit vouloir "examiner les positions du candidat jugé favori, lequel doit s’engager à exécuter des réformes souhaitées par tous les Libanais". "Si les deux initiatives n’aboutissent pas, je songerai sérieusement à présenter ma candidature pour souligner mon attachement aux droits (des chrétiens), sans tenir compte des chances de succès ou des risques de perte. Si la volonté d’exclusion nous ciblant se confirme, nous nous orienterons vers une opposition féroce", a-t-il enfin averti.
Reste à voir si le Hezbollah réagira aux propos du chef du CPL ou s’il compte continuer de l’ignorer.