Le juge d’instruction, Tarek Bitar, a reporté toutes les audiences qu’il avait prévues entre le 6 et le 22 février pour la poursuite de ses interrogatoires dans le cadre de l’enquête qu’il mène au sujet de l’enquête du 4 août 2020, au port de Beyrouth. Le magistrat s’est rendu lundi dans la matinée, au Palais de justice, qu’il n’a pas arrêté de fréquenter depuis le 24 janvier, date à laquelle il a décidé de reprendre en charge le dossier après plus de 12 mois d’interruption.

Normalement, deux personnes auraient dû comparaître devant lui lundi : les anciens ministres Ghazi Zeaïter, proche du mouvement Amal et Nouhad Machnouk (ancien Courant du futur), tous deux mis en cause dans le cadre de cette affaire. Les interrogatoires ne se sont cependant pas tenus pour deux raisons : primo, le processus de notification a été considéré illégal, puisqu’il n’a pas été entrepris via les forces de sécurité, celles-ci relevant du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate. Ce dernier leur avait donné l’ordre, après l’épisode du 24 janvier, lorsque Tarek Bitar avait surpris tout le monde en reprenant son enquête (en dépit des 34 recours en dessaisissement présentés comme lui) de ne pas tenir compte des instructions du magistrat. M. Bitar avait donné les directives suivantes : remettre en liberté cinq des dix-huit détenus dans le cadre de l’enquête et engager de nouvelles poursuites judiciaires contre huit officiels.

De sources judiciaires, on s’accorde d’ailleurs à dire que le juge d’instruction ne peut pas émettre des mandats d’arrêt contre les anciens ministres et députés, puisque la procédure de notification n’a pas été menée selon les textes de loi. L’on se demande alors pourquoi Tarek Bitar, conscient de l’importance d’un respect des règles de procédures administratives, a fixé les dates des audiences et a décidé de les reporter le jour où le premier interrogatoire devait avoir lieu.

Secundo, M. Bitar fait face à un nouvel obstacle, lui qui cherche à tout prix, à soumettre son acte d’accusation dans les plus brefs délais devant la Cour de justice. Démarche qu’il ne pourra entreprendre que si les tensions entre lui et le procureur général près la Cour de cassation s’atténuent. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si les dissensions entre eux ne sont pas résolues, l’acte d’accusation, ainsi que tout le dossier, risquerait de ne pas être transmis à la Cour de justice. La raison en est simple : une fois finalisé, l’acte d’accusation devra passer par le Parquet pour lecture. Le procureur peut décider d’approuver le document à soumettre à la Cour de justice comme il peut ne pas le faire, une considération qui n’annule toutefois pas, ni ne remet en question l’enquête du juge Bitar et ses résultats. " Ce que peut, en revanche, entreprendre le procureur général, c’est conserver l’acte d’accusation ainsi que tout le dossier chez lui et ne pas le remettre aux personnes concernées, puisque M. Oueidate considère que M. Bitar est dessaisi du dossier ", déclare un avocat interrogé par Ici Beyrouth.

La seule solution résiderait dans une " intervention du président du Conseil supérieur de la magistrature, le juge Souheil Abboud ", confie un avocat proche du dossier. D’après lui, M. Abboud " étudie actuellement les multiples voies qui pourraient permettre une éventuelle sortie de crise ".

La discorde entre les deux magistrats Bitar et Oueidate s’est déclenchée au lendemain du 24 janvier dernier, lorsque le premier a décidé de relancer l’enquête bloquée depuis décembre 2021, en raison des multiples recours présentés contre lui par d’anciens ministres et députés et sur lesquels l’Assemblée plénière de la Cour de cassation n’a pas pu statuer, faute de quorum. Le timing d’une telle démarche reste énigmatique, même si certains observateurs la relient à la venue au Liban, en janvier, des juges français qui instruisent l’enquête à Paris, des victimes françaises ayant péri au lendemain de l’explosion du port, le 4 août 2020. Hostile à la décision du juge Bitar, le Parquet l’a considéré nulle.

Rappelons que le procureur général Ghassan Oueidate, dont le mandat prend fin dans un an, s’était récusé à cause de son lien de parenté à l’ancien député Ghazi Zeaïter, proche du mouvement Amal et mis en cause dans le cadre de cette affaire. Depuis, MM. Oueidate et Bitar s’accusent mutuellement de n’être plus en mesure de s’engager dans ce dossier. A qui le dernier mot ?