Le duopole chiite se rend à l’évidence et élit Aoun
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“Je ne suis pas venu faire de la politique, mais pour construire un État fondé sur la justice et l’égalité.” Cette déclaration du général Joseph Aoun, premier président de la République libanaise élu après le centenaire de la création du pays, lors de sa première réception officielle, résume parfaitement sa vision et ses objectifs.

Cet homme tenace, qui a sauvé l’armée libanaise lors des crises les plus graves, a conclu son discours d’investiture par une promesse: “Ce mandat sera celui du respect de la Constitution, de la construction de l’État et de l’application des lois. Ce mandat est celui du Liban.”

Joseph Aoun a été élu avec 99 voix sur 128 lors du second tour, mettant ainsi fin à plus de deux ans de vacance présidentielle. Il a annoncé le début d’une nouvelle ère, se définissant comme le premier serviteur de la nation et promettant de préserver le Pacte national et l’accord de Taëf. Placé sous le signe de la loi et de la légalité, son mandat se donne pour ambition de restaurer l’autorité de l’État (faisant allusion à l’élimination du rôle de l’axe pro-iranien), notamment dans les camps palestiniens, en conférant le monopole des armes à l’État. Il n’y a plus de temps à perdre.

Un membre de l’opposition souligne que c’est la première fois en trente ans qu’un président est élu sans allégeance au camp de la Moumanaa. Joseph Aoun est le fruit des nouvelles dynamiques régionales: la guerre israélienne contre le Hezbollah et l’assassinat de ses dirigeants, la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie, ainsi que le recul de l’influence iranienne dans la région.

Ces changements, bousculant les rapports de force, ont poussé certaines parties à accélérer l'élection d'un président, amenant l'axe iranien à accepter la nouvelle réalité.

Les parties concernées ont donc validé l'équation et soutenu le candidat du changement soutenu par le Quintette (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte et Qatar) et la troïka composée des États-Unis, de la France et de l'Arabie saoudite.

Un ancien responsable souligne qu’il s’agit du premier président à aborder dans son discours d’investiture la question de l’État, des institutions et de la souveraineté nationale. Un diplomate a même vu dans ses propos un mélange des visions de Fouad Chéhab et de Bachir Gemayel.

Son discours d’investiture rompt avec le triptyque traditionnel “peuple, armée, résistance”, remplacé par “peuple, armée, État”. Il réaffirme donc le rôle exclusif de l’État dans la défense contre Israël, la riposte à l’agression et le monopole des armes.

Un ancien responsable affirme que le président de la République ne porte pas un projet, mais plutôt une vision, un climat favorable, un fonctionnement ordonné des institutions et le respect des équilibres. Son but est de préserver la stabilité et assurer de bonnes relations entre le Liban et l’étranger, tout en s’éloignant des jeux des axes régionaux. La question reste de savoir si la classe politique est disposée à collaborer avec le nouveau président pour tenir ses promesses.

Le Liban se trouve désormais sous l’égide de la Pax Americana, sous supervision politique du Quintette et contrôle sécuritaire, pour mettre en œuvre l’accord américano-français de cessez-le-feu au Liban. Cet arrangement, impliquant aussi Israël et l’ONU, a permis l’élection de M. Aoun, un président capable d’accompagner les transformations régionales et de négocier au nom du Liban, tout en apportant sa contribution dans la résolution des crises en Syrie, en Ukraine et ailleurs.

Les forces politiques ont perçu les changements en cours dans la région, notamment le recul de l’influence iranienne. Et ce, qu’il s’agisse de la chute du régime de Bachar el-Assad, l’assassinat de dirigeants du Hezbollah, ou encore le refus de l’Irak de s’opposer aux évolutions et transformations régionales, rejetant ainsi les diktats de Téhéran.

Ces forces se sont alignées pour soutenir Joseph Aoun. Certains blocs ont tenté de s’attribuer le mérite de son accession à la présidence, tandis que d’autres s’en sont octroyé la victoire.

De son côté, le duopole chiite a cherché à consolider ses acquis et à préserver ce qu’il considère comme ses droits. En soutenant M. Aoun, celui-ci a surtout voulu affirmer son rôle comme passage incontournable pour l'élection des présidents.

Des sources au sein de l'opposition affirment que le duopole n'avait d'autre choix que de soutenir l’ancien chef de l’armée. Cela s'est notamment reflété dans le retrait de son candidat, Sleiman Frangié, de la course.

Le nouveau mandat présidentiel doit adopter une approche novatrice pour revitaliser l’État, en instaurant un mode de gouvernance et une autorité basés sur l’égalité de tous devant la loi. Il n’y aura plus de partage des quotas, mais une séparation des pouvoirs tout en renforçant leur collaboration, une dissociation entre les fonctions législatives et ministérielles, ainsi qu’un rejet des gouvernements d’unité nationale et de la démocratie consensuelle, considérés comme contraires au système démocratique. Le respect de la Constitution, de l’accord de Taëf et des lois est aussi impératif.

Le prochain gouvernement devra répondre à plusieurs critères, notamment en ce qui concerne la personnalité de son chef, la composition de ses membres et la répartition des portefeuilles. L’État, ses institutions et le gouvernement devront fonctionner dans le cadre défini par le discours d’investiture du président Aoun, qui présente une vision et une feuille de route claires.

Le président Aoun s’engage à résoudre la crise et non la gérer. Son discours d’investiture se base sur des promesses concrètes et des engagements d’exécution fermes, évitant les clichés stériles. Il doit donc travailler avec le gouvernement pour revitaliser le pays, s’engageant non pas avec des paroles pompeuses, mais des actions inscrites sous l’autorité des institutions, de la loi et de la justice.

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