La présence à Beyrouth du chef du bureau politique du Hamas à l’étranger Khaled Mechaal, à la tête d’une délégation de haut niveau, ne saurait masquer les préjudices considérables subis par les réfugiés palestiniens au Liban du fait de deux explosions: celle qui s’est produite dans un dépôt d’armes dans le camp de Borj el-Chemali, à l’est de Tyr (Liban-Sud), et celle, subséquente, qui a frappé de plein fouet les relations palestiniennes internes et palestino-libanaises. D’autant que l’explosion de Borj el-Chemali survient dans une zone sous le contrôle de la Finul, soumise aux dispositions pertinentes de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, selon lesquelles aucune arme ne devrait s’y trouver en dehors de celles de l’armée libanaise. Il s’agit d’un accord international que le Hezbollah a approuvé et appliqué en repliant ses bases militaires au nord du Litani.

Pour compléter ce tableau politico-sécuritaire palestinien complexe, les funérailles de l’une des victimes de l’explosion n’ont pas empêché des échanges de tirs entre les deux pôles palestiniens, le Fateh et le Hamas, faisant encore plus de blessés et de morts et causant davantage d’autodestruction au sein du camp. Il s’agit d’un précédent dans les relations internes palestiniennes au Liban, du jamais vu, même lors du coup d’État sanglant orchestré par le Hamas contre l’Autorité palestinienne à Gaza à l’été 2007. Les relations internes ont aussitôt été rompues entre les deux formations, comme en attestent les communiqués officiels de part et d’autre, si bien que la scène palestinienne au Liban se retrouve mise à nu et exposée aux vents de la crise locale et des tempêtes régionales explosives.

Ce faisant, le réfugié palestinien a perdu son positionnement politique et pragmatique de distanciation vis-à-vis des conflits libanais internes. De même, les appels officiels palestiniens aux différentes parties libanaises à cesser d’instrumentaliser la présence palestinienne dans leurs conflits locaux et régionaux sont restés lettre morte. Il n’y a rien à espérer d’un comportement qui persiste à stocker des armes dans les camps, à faire monter la surenchère politique au point de se vanter ouvertement d’avoir créé un centre d’opérations militaires avec le Hezbollah et d’être prêt à ouvrir un front parallèle au Liban-Sud, au cas où cela serait nécessaire pour défendre la bande de Gaza !
Le Hamas n’avait jamais adopté une telle approche par le passé. Quel que soit le degré de sérieux de ces déclarations, il faut reconnaître qu’elles sont en contradiction totale avec les intérêts du peuple palestinien notamment au Liban, car elles contreviennent aux fondements des relations bilatérales officielles entre les légalités libanaise et palestinienne, qui se sont développées sur la base du respect du droit international et des usages diplomatiques qui régissent les relations entre les peuples.

Ce qui s’est produit jusqu’à présent dévoile une nouvelle face du Hamas au Liban et renvoie l’Autorité palestinienne à l’ère de la guerre civile et ses ravages, qui ont touché ensemble les Palestiniens et les Libanais, un état de fait qui avait donné lieu à une autocritique globale documentée dans la Déclaration de la Palestine au Liban, parue début 2008.

Il aurait été souhaitable qu’un responsable du calibre de M. Mechaal, qui se considère comme un leader national et un interlocuteur flexible en lutte contre l’extrémisme au sein de son parti, prenne l’initiative, suite à l’explosion du dépôt d’armes et de munitions, de présenter ses excuses aux habitants du camp afin de contenir leur colère et leur rage ; excuses au peuple libanais également, au vu du préjudice causé par cette affaire et de l’atteinte à la souveraineté libanaise. Or le Hamas a fait face à cet événement par une mobilisation militaire d’envergure sous le prétexte des funérailles et d’un étalage de force, à travers lequel le Hamas a voulu montrer à toutes les parties qu’il a désormais établi sa mainmise sur les camps. Résultat: davantage de morts et de blessés qui laissent présager une implosion interne sur la scène palestinienne si des mesures politiques efficaces et différentes ne sont pas prises pour contenir la situation. Se fendre d’une déclaration dans laquelle M. Mechaal se contente de rappeler que le réfugié palestinien est un invité respectueux des lois au Liban et que le Hamas respecte la souveraineté libanaise, ne suffit pas.

Les Libanais ne croient plus à ces déclarations stéréotypées, et ils n’ont d’ailleurs pas à le faire, lorsque les pratiques prouvent tout le contraire. La question est de savoir si Khaled Mechaal saura reconnaître les torts du Hamas ou s’il poursuivra des politiques qui desservent les intérêts de la Palestine, radicalement antagoniques avec les intérêts du Liban. C’est le défi qui se pose à lui et reste à savoir s’il le relèvera en adoptant une approche critique et vertueuse.

Cependant, entre les attentes et la réalité, l’écart reste grand et vaste. Tout comme celui qui sépare les Palestiniens des camps de leur désir de retourner dans leur pays et leur souhait de vivre dignement et de préserver leurs droits humains, d’une part, et d’autre part la réalité de leur vie dans les camps – qu’on peut qualifier sans l’ombre d’une hésitation de ghettos où les concepts relatifs à cet état de ghettoïsation se développent -, avec des conditions économiques qui poussent les jeunes à s’engager dans l’action armée, sous le prétexte de subvenir à leurs besoins et de préserver leur sécurité individuelle.

Depuis deux décennies et jusqu’à présent, des tentatives pour briser ce cercle vicieux ont été entreprises par l’Autorité palestinienne, qui a réussi dans certains cas et a échoué dans beaucoup d’autres parce que des forces palestiniennes, libanaises et arabes continuent d’alimenter l’approche violente et la militarisation au sein des camps au Liban pour des raisons qui n’ont absolument rien à voir avec la cause du peuple, même si elles sont labellisées “palestiniennes” et flanquées de la maquette d’al-Aqsa. Aujourd’hui, nous disposons d’un exemple concret qui se traduit par ce qu’on appelle la lutte entre les différentes branches du Hamas, où certains voient dans le Hezbollah un modèle à suivre tandis que d’autres veulent suivre l’exemple des Talibans pour gagner la reconnaissance américaine en premier lieu.

C’est ce qui est également alimenté par la fracture verticale énorme au sein du mouvement des Frères musulmans, entre la branche égyptienne sous la houlette de Mahmoud Hussein, basé à Istanbul, un adepte qui prône la violence pour accéder au pouvoir selon les préceptes de Sayyid Qutb, et la branche du guide Ibrahim Mounir, qui jure allégeance à l’internationale des Frères et bénéficie du soutien américain à Londres, où il a élu domicile. Il est d’ailleurs bien connu que Khaled Mechaal, proche idéologiquement de l’émir du Qatar et du président turc Recep Tayyip Erdogan, a sa lecture de l’expérience des Frères avec la violence en Syrie, en Égypte et en Palestine, de même pour leur expérience en Tunisie, au Soudan et au Maroc.

Il est difficile de faire l’impasse sur la position négative et vindicative du Hezbollah vis-à-vis de la visite au Liban de M. Mechaal, contrairement à l’accueil chaleureux réservé au chef du Hamas, Ismaïl Haniyé, lors de sa fameuse visite l’été dernier. Il s’avère ainsi que le dépassement des clivages entre le Hezbollah et le Hamas répond à un utilitarisme qui sert l’intérêt politique sans pour autant annuler les représailles. A travers ce mélange entre pragmatisme et esprit vindicatif s’opère une tentative de mater l’autre partie " alliée " au service des besoins du plus fort et du développement de son rôle, poussant ainsi le Hamas vers plus d’extrémisme. Par conséquent, il n’est pas étonnant de voir des dirigeants politiques libanais accéder à la demande du Hezbollah et s’abstenir de recevoir Khaled Mechaal, sans même évoquer le blackout médiatique total sur la visite…

Encore une fois, l’échec du directoire palestinien légal à traiter la dernière crise survenue dans les camps et avec le Hamas, ne laisse pas présager que le calme ambiant apportera la solution de facto. L’événement a démontré un changement dans les politiques adoptées par le Hamas tout au long de la période écoulée, et de nouvelles politiques liées à la lutte des axes dans la région vont également émerger.. Si le directoire palestinien officiel ne parvient pas à y trouver une solution préventive, les cohabitations ne permettront pas d’éluder les conséquences dures et amères, d’autant que les autorités libanaises dans leur état actuel sont tout aussi incapables de générer une solution positive.

Cet état de fait nécessite sans doute de s’adresser à la communauté internationale et aux Nations unies en tant qu’organe de tutelle sur les camps palestiniens au Liban afin de trouver un mécanisme consenti permettant de préserver la sécurité des réfugiés, loin des armes miliciennes, et de leur garantir une vie humaine élémentaire, à l’heure où les demandes se trouvent réduites à leur plus simple expression et se résument à la quête d’une émigration vers les contrées les plus lointaines.