A son départ de notre “paradis perdu”, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a posté sur son compte Twitter qu’il avait été honoré de visiter à nouveau le Liban, “mais cela me chagrine de voir les gens de ce beau pays souffrir autant”.

M. Guterres avait souligné durant son séjour sa solidarité avec le peuple libanais et exprimé sa crainte de voir “l’effondrement économique et social se poursuivre, sans que les institutions étatiques libanaises puissent assurer les services fondamentaux, ce qui sape l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité”.

Les positions du secrétaire général de l’ONU n’étaient pas très différentes de celles du Premier ministre libanais Nagib Mikati, qui est “triste” depuis l’entrée des premières cargaisons de mazout iranien au Liban.

Il est d’ailleurs rare de trouver une photo de M. Mikati affichant un sourire depuis la formation du gouvernement. L’on se souvient même de ses larmes après sa nomination, lorsqu’il avait évoqué les défis qui l’attendaient. Il souhaite montrer toute l’étendue de sa peine face aux violations continues par une partie de la souveraineté du Liban, et de son angoisse face aux souffrances des Libanais.

Les deux hommes ont sans doute raison. Leurs déclarations répercutent un désespoir qui n’est pas sans évoquer la gravité du médecin qui annonce aux proches du malade que l’issue fatale n’est plus qu’une question de temps, et qu’il ne leur reste donc plus que la tristesse, l’inquiétude… et les prières au Très-Haut pour qu’Il abrège ses souffrances.

Mais quel sort attend donc le Liban lorsque le responsable d’une organisation planétaire chargée d’imposer la justice et l’égalité entre les peuples et d’en préserver la dignité et la sûreté fait état de son “désespoir” ? Ou encore lorsque son Premier ministre n’a rien d’autre à proposer que le fait d’arrondir les angles pour satisfaire ceux qui accaparent pratiquement le système politique ?

Le grand paradoxe est que le triste sir Mikati fait partie de ce système, et tout prouve jusque’à présent qu’il ne souhaite pas à en sortir.

Il est vrai que depuis l’appel téléphonique qu’il a reçu du président français Emmanuel Macron et du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, M. Mikati tente de vendre aux Arabes et à l’Occident des prises de position à même de lui donner quelque crédit. Mais il est tout aussi vrai qu’il s’astreint toujours à ne pas franchir les lignes rouges qui lui sont imposées afin de ne pas couper les ponts avec ceux qui contrôlent le pays et ses institutions.

Il ne sortira pas du système pas, en dépit du fait qu’il lui est interdit d’exercer son pouvoir exécutif, ne serait-ce qu’à minima.

Un autre paradoxe est qu’Antonio Guterres fait partie d’un système international qui fait passer ses intérêts avant les souffrances des peuples et qui contrôle les décisions de l’ONU sur base de ces intérêts.

Il ne lui reste plus, partant, qu’à arrondir les angles pour obtenir le consensus nécessaire à l’adoption de résolutions qui restent pour la plupart sans application.

Il en reste plus également aux Libanais qu’à retourner à la question initiale. Qu’est-ce qui les attend ?

L’optimisme n’est pas de mise. Surtout lorsque ceux qui ont accaparé le pouvoir se mobilisent dès le départ de Beyrouth du secrétaire général pour adresser leurs messages.

Ceux-là n’ont pas apprécié son inquiétude et ses craintes concernant “la diminution des capacités des forces armées libanaises à poursuivre leurs opérations dans la zone d’opération de la Finul”, et sa demande, partant, “de soutien aux institutions sécuritaires, notamment les forces armées libanaises en tant que seule force armée légale au Liban, ce qui est d’une importance capitale”.

La réponse a été fulgurante, avec la confrontation entre la patrouille du contingent finlandais de la Finul et les habitants du village de Chacra, dans le caza de Bint Jbeil (Liban-Sud).

Résultat: le bureau médiatique de la force multinationale a annoncé que la Finul avait “perdu sa liberté de circulation”, évoquant “une agression inacceptable contre ceux qui sont au service du maintien de la paix” et “une atteinte à l’accord sur les règle d’engagement de la Finul signé par le Liban”.

Le bureau a rappelé qu’Antonio Guterres avait souligné la nécessité pour la Finul de pouvoir accéder sans entraves à tous les régions de sa zone d’opérations en vertu de l’accord avec le gouvernement libanais et des dispositions requises par la 1701.

Mais les effets de ce rappel resteront virtuels. Dans la réalité, l’ “on” agitera l’environnement acquis au Hezbollah contre la Finul à chaque fois que cela est nécessaire.

Le maître-mot du jeu reste le blocage pour que le pays reste sous l’emprise de ceux qui le dominent. Ils n’ont que faire de tous les communiqués arabes et autres déclarations internationales qui les accusent directement d’être à l’origine du blocage et de de la corruption, d’empêcher toute réforme et de transformer le Liban en arène qui échappe à la légalité internationale et en carte aux mains de Téhéran pour son chantage vis-à-vis des autres à la table des négociations.

La tristesse et l’inquiétude n’empêcheront pas non plus le président Michel Aoun et son gendre Gebran Bassil de faire pression pour réaliser leurs objectifs et ouvrir la voie à l’avènement de M. Bassil au palais présidentiel. C’est pourquoi il faut aplanir les obstacles et se rallier autour de la non-décision du Conseil constitutionnel.

Peu importe comment. L’essentiel est d’atteindre l’objectif. Il en est ainsi depuis l’accord de Mar Mikhaël avec le Hezbollah, et il en sera toujours ainsi.

Michel Aoun, seul dans son coin, possède encore beaucoup d’atouts en mains qu’il peut exploiter avant la fin de son mandat, ce qui rajoute à la tristesse de Nagib Mikati et aux inquiétudes d’Antonio Guterres.

Son inquiétude est certainement moins importante que la leur. Les équations locales, régionales et internationales font du surplace. M. Aoun continue de parier sur ces dernières, espérant en tirer profit pour le compte de son gendre. L’affaire est dans la poche si lui comme son gendre continue de respecter les exigences de l’agenda iranien en suivant le mot d’ordre du Hezbollah.

Partant, il n’y a pas lieu de s’inquiéter et pas le temps d’être triste tant que les rapports de force ne changent pas. Et tout ce qui se produit en dehors de celles-ci n’a pas d’importance. Ni les positions du président de la Chambre Nabih Berry, ni la paralysie du Conseil des ministres, ni l’éventualité d’un report des législatives, qui entraînerait une prorogation du “mandat fort”, ni même la tenue de ces élections. Dans ce cas précis, l’ “on” obligerait les “frères ennemis " au pouvoir à s’allier et manipuler les résultats, comme d’habitude, plaçant ainsi la communauté internationale face à une Chambre élue avec une majorité parlementaire guère différente de l’actuelle.

MM. Mikati, Guterres et les autres responsables locaux et internationaux devront alors se mettre à la recherche des moyens facilitant l’adaptation à une situation d’hypothèque de la souveraineté libanaise et de transformation du Liban en foyer de famine, de pauvreté et d’asservissement de ceux qui restent en vie.

Les Libanais devraient pouvoir décider de leur sort sans être forcés de choisir entre l’exil, la soumission, le refus de s’adapter, et la résistance par des moyens qui ne les enferment pas entre l’inquiétude et la tristesse.