L’entente irano-saoudienne commence à se concrétiser sur la scène politico-économique libanaise. L’échéance présidentielle semble se profiler à l’horizon. C’est ce qui peut, du moins, être déduit du lancement du projet de construction d’un nouveau terminal à l’aéroport international Rafic Hariri de Beyrouth (AIB). Pourquoi ?

Au lendemain du rétablissement de leurs relations diplomatiques après sept ans de rupture, sous l’égide de Pékin, Riyad et Téhéran sont prêts à collaborer. L’un des terrains d’interaction entre eux est sans doute l’aéroport international de Beyrouth. Situé dans la zone d’influence du Hezbollah, il s’étendra, d’ici quatre ans, soit en 2027, sur une surface plus large… surtout que rien ne vient s’opposer aujourd’hui au contrat de gré à gré conclu entre le gouvernement libanais et la société LAT (Lebanese Air Transport), dont le nouvel actionnaire depuis quelque temps (celui qui en détient une grande part) n’est autre que le prince saoudien Moukrine ben Abdelaziz el-Saoud.

Soucieux de se maintenir en place, le Premier ministre du gouvernement intérimaire, Nagib Mikati, aurait convaincu l’Arabie saoudite de réintégrer la scène économique (et politique ?) libanaise et d’investir quelque 122 millions de dollars américains pour la construction du Terminal 2 qui sera inauguré en 2027, en place et lieu de l’ancien terminal de fret.

Une somme qui dépasse de loin celle prévue, en juin 2022, par le ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Ali Hamiyé. À l’époque, les frais de construction avaient été estimés à 70 millions de dollars. La même année, le ministre avait également estimé que le terminal permettrait à l’aéroport d’augmenter ses capacités de 8 millions à 20 millions de passagers par an d’ici 2030, un chiffre qui a été réduit à quelque 10,5 millions de passagers au total; des chiffres exposés lors du lancement du projet, mardi (7 millions étant la capacité actuelle à laquelle s’ajouteraient les 3,5 millions que pourrait accueillir le nouveau terminal).

On rappelle qu’au lendemain de la guerre civile libanaise de 1975, l’aéroport international de Beyrouth, le seul du pays, avait fait peau neuve. Depuis, son espace n’a été élargi qu’une seule fois, en 1998. Il fonctionne aujourd’hui à pleine capacité et connait de considérables goulots d’étranglement. Pour y remédier, le ministre sortant des Travaux a trouvé utile, avec M. Mikati, de procéder à l’agrandissement de l’aéroport. Une décision qui aurait été prise en 2016. Il a fallu néanmoins attendre 2023 pour que cette initiative voie le jour. Timing anodin ? Quoi qu’il en soit, ce projet semble plaire à certains, d’autant que, selon les dires de MM. Mikati et Hamiyé, cette nouvelle construction devrait créer plus de 500 emplois directs et 2000 emplois indirects. Le terminal aurait également pour objectif d’attirer des compagnies aériennes à bas prix (low-cost) et d’encourager le tourisme tout au long de l’année. En apparence, cela présagerait des lendemains qui chantent. Mais dans les coulisses de ce dessein, la loi aurait été contournée.

Controverses juridiques

Dans un pays où les institutions n’existent que par leur nom, les auteurs de contrats de gré à gré font désormais la loi. Mardi, le Premier ministre sortant a ainsi révélé la grande surprise qu’il avait réservée aux Libanais pour 2023. Celle du lancement du projet de construction de ce nouveau terminal. Une initiative pour laquelle M. Mikati ainsi que le ministre sortant auraient outrepassé leurs prérogatives.

Avant que la Lebanese Air Transport (LAT) ne se voit octroyer la mission de procéder aux travaux de construction du Terminal 2, aucun appel d’offre n’a été lancé. La direction des adjudications n’a même pas été avertie du projet qui n’a donc pas été soumis aux règlementations que dicte la loi sur les marchés publics.

Pour justifier son recours à un contrat de gré à gré avec la société LAT, M. Hamiyé a expliqué, dans une conférence de presse, mardi, avoir eu recours à une loi (celle relative à l’aéroport) qui permet aux sociétés d’investir dans des projets aéroportuaires au Liban sans passer par la direction des adjudications. Il se défend aussi en avançant l’argument suivant : "Si l’on veut appliquer la loi sur les marchés publics, toute société se présentant pour investir dans un tel projet devra le faire sur une période de quatre ans ". Or au vu de la situation déplorable par laquelle se trouve le Liban, "quelle entreprise voudrait verser des sommes supérieures à un million de dollars sur une durée de quatre ans uniquement ? Aucune ! ", indique-t-il. C’est la raison pour laquelle "nous avons trouvé une issue juridique à ce problème : la loi relative à l’aéroport qui permet à une société d’investir de tels montants sur une longue durée, dans notre cas de figure 25 ans, au bout desquels la ‘propriété’ du Terminal 2 reviendrait à l’État libanais".

" Faux ", proteste le directeur des adjudications, Jean Ellieh. Il précise que pour des projets d’une telle ampleur, un appel d’offre doit être lancé, surtout que l’on sait que pour entreprendre n’importe quel achat, la direction de l’aéroport doit nécessairement passer par les procédures imposées par la loi. Plus encore, " il existe un article qui précise que lorsque tout texte vient contredire celui de la loi sur les marchés publics, c’est ce dernier qui est appliqué, puisqu’il annule et rend caduque le premier ", explique une source judiciaire sous couvert d’anonymat.

Admettons que MM. Mikati et Hamiyé aient agi en toute légalité… Pourquoi n’en feraient-ils pas de même pour le secteur de l’électricité?